La réunion consultative des ministres des Affaires étrangères des pays voisins de la Libye tenue jeudi dernier à Alger a permis, sous toute réserve, le recadrage du rôle de leurs pays respectifs dans le règlement du conflit libyen en raison de leur proximité géographique, politique et sociale des zones de conflits. Le communiqué que le MAE algérien a rendu public à l'issue de ce conclave précise, en effet, que « les ministres des Affaires étrangères ont exprimé leur profonde préoccupation vis-à-vis de la gravité de la situation que traverse la Libye et son impact négatif sur la sécurité et la stabilité des pays voisins, la nécessité de la coordination et de la coopération de tous les pays de la région ainsi que ceux du Sahel(...).» Ignorés et éliminés par les pays occidentaux et arabes qui ont d'une manière ou d'une autre précipité la Libye dans une guerre sans fin, les pays de la région sont aujourd'hui appelés à convaincre les antagonistes libyens de se réunir pour se réconcilier, dialoguer ensemble et régler le conflit qui les désunit depuis près de dix longues années. Ils se disent disposés à le faire mais loin des ingérences étrangères qui ont défié toutes les résolutions onusiennes et le droit international en soutenant, en encourageant et en armant les nombreuses milices qu'ils ont aidées à se constituer et à s'entretuer. La conférence internationale pour la paix en Libye qui s'est tenue dimanche dernier à Berlin en présence de 8 pays occidentaux et trois autres arabes dont l'Algérie, semble avoir ainsi permis au moins de recentrer les rôles des uns et des autres pays concernés et menacés par les effets collatéraux de la crise libyenne. Pour ce faire, désignée comme chef de file, l'Algérie a réuni l'Egypte, la Tunisie, le Soudan, le Tchad, le Niger et le Mali en présence du MAE allemand, Heiko Maas, que la chancelière Angela Merkel à envoyé pour leur faire lecture des conclusions de la Conférence de Berlin. Alger disposée à abriter un dialogue inter-libyen Outre le ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum et le secrétaire d'Etat chargé de la communauté nationale et des compétences à l'étranger, Rachid Bladehane, étaient présents le ministre par intérim des Affaires étrangères de la Tunisie, Sabri Bachtobji, le MAE de l'Egypte, Sameh Choukri, et du Tchad, Chérif Mahamat Zene, du ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Tiébilé Dramé, ainsi que les représentants des ministres des Affaires étrangères du Niger et du Soudan. Ils veulent « la préservation de la sécurité en Libye, son indépendance et son intégrité territoriale, rejettent les interventions étrangères(...), insistent sur la nécessité pour toutes les parties libyennes à rester engagées dans le maintien du cessez-le-feu, exprimant leur espoir que les frères libyens s'engagent dans un règlement pacifique de leur crise, loin de toute solution militaire et d'intervention étrangère, y compris les milices et les mercenaires, pour favoriser l'organisation des élections transparentes qui répondent aux aspirations du peuple libyen et préservent l'indépendance de la Libye, son unité et sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire », dit le communiqué d'Alger. L'Algérie a rappelé qu'elle a fait part, au cours de la Conférence de Berlin, « de sa disposition à abriter des rencontres entre les frères libyens aux fins d'en rapprocher les vues et de les appeler à revenir à la table des négociations et au dialogue(...). » Lors de la conférence de presse qu'il a animée jeudi au CIC à la fin des travaux, Sabri Boukadoum a précisé que le rendez-vous algérois « n'est pas un mécanisme mais plutôt une réunion de concertation et de coordination pour faire entendre la voix des pays voisins(...) et leur nécessaire participation et celle de l'Union africaine (UA) aux initiatives visant à trouver une solution à la crise libyenne et à appuyer la solution politique ». En recevant en audience les participants à la réunion d'Alger, le président de la République a insisté sur « la détermination de l'Algérie à ne ménager aucun effort en vue d'empêcher l'effusion du sang dans ce pays frère et mettre fin aux souffrances du peuple libyen, à travers le rapprochement des vues entre les frères libyens, en les incitant à mettre fin aux hostilités et à retourner à la table du dialogue inter-libyen(...) », a précisé jeudi un communiqué de la présidence. Quand l'ONU et l'UA transgressent leurs propres règles Tebboune a souligné «la nécessité de renforcer la coordination et d'intensifier la concertation entre les Etats voisins et avec les acteurs internationaux, en vue d'accompagner les Libyens dans le processus de règlement politique de cette crise». Boukadoum avait avant lui recommandé que «les pays voisins doivent consentir davantage d'efforts pour mettre fin à cette tragédie qui nous touche directement». Berlin demande ainsi à ces pays, en tête l'Algérie, de se réapproprier le processus politique de règlement du conflit libyen. La tâche n'a rien d'aisée. Elle oblige ces nouveaux anciens acteurs à réfléchir sur les moyens de «nettoyer» les territoires libyens des millions d'armes qui circulent entre les nombreuses milices et de convaincre de la solution politique les milliers de mercenaires et de terroristes qui se font la guerre. Les 5 pays voisins viennent d'être mis en avant dans un conflit dont ils ne sont pas responsables et n'ont comme moyen de le résoudre que de convaincre toutes les parties en guerre en Libye de déposer leurs armes pour construire un consensus autour d'une solution politique à tous les problèmes qui les divisent. Si l'Algérie a déclaré par la voix de son président de la République qu'elle a des traditions de médiation qu'elle accepte de faire valoir entre les belligérants libyens, encore faut-il qu'elle ait la garantie réelle des pays fossoyeurs de la paix en Libye d'accepter de ne plus perturber le processus politique que la réunion d'Alger veut (ré)enclencher en Libye. Les MAE des 5 pays voisins de la Libye en appellent d'ailleurs à partir d'Alger à l'aide des Nations unies et au concours de l'Union africaine pour les aider à parvenir à un règlement global de la crise libyenne, loin de toute interférence étrangère tout en soulignant «leur soutien (...) aux efforts et initiatives de l'envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU, Ghassan Salamé, dans le processus politique et de réconciliation nationale en Libye». C'est à ce niveau que toutes les réserves sont de mise. Cet appel à l'ONU et à l'UA risque d'être un vœu pieux au regard de l'impuissance de ces deux entités à faire respecter leurs propres résolutions voire même les textes régissant leur raison d'être et d'agir par des pays qui inventent des guerres pour préserver des intérêts géostratégiques colossaux. Le temps du partage des zones d'influence africaines Les faits sont têtus. Berlin est la capitale tout indiquée qui pèse convenablement les richesses des pays de la région pour avoir abrité entre le 15 novembre 1884 et le 26 février 1885 une conférence pour le partage de l'Afrique (de l'Ouest) en zones d'influence au profit des puissances coloniales européennes. La fermeture des terminaux pétroliers par les pro-Haftar a plus fait réagir le monde que les tueries de civils par les bombardements des alliés ou par les armes de militaires de pays bien identifiés. Ces derniers savent tous qui pompent et vendent les 1,6 million de barils par jour de pétrole libyen et à qui profitent-ils. Les Nations unies n'ont jamais pu faire respecter la résolution imposant un embargo sur les armes en Libye. Ce sont des pays membres du Conseil de sécurité qui décident des guerres en général contre les Arabes et les musulmans pour protéger Israël. L'Union africaine viole elle aussi ses propres règlements. Elle vient d'enfoncer le Sahara Occidental dans les travers de sa colonisation par le royaume du Maroc. C'est ce que dénonce l'Algérie dans un communiqué qu'elle a rendu public jeudi dernier après avoir pris connaissance « des décisions unilatérales des gouvernements de la République centrafricaine et du SaoTomé-et-Principe d'ouvrir des représentations consulaires à Laayoune, ville occupée du Sahara Occidental » et avant eux la Guinée, la Gambie, le Gabon et les Comores. Ces décisions, dit-elle, ne peuvent en aucun cas avoir un quelconque effet sur le statut juridique du Sahara Occidental, dernière colonie d'Afrique. Elles représentent cependant une nouvelle violation des normes du droit international, des décisions et des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations unies, relatives à la question du Sahara Occidental. Elle affirme en outre qu'elles transgressent les fondements mêmes des relations entre les pays africains tenus de se conformer en toutes circonstances aux règles et principes de l'Union africaine, lesquels impliquent un devoir d'unité et de solidarité entre les pays fondateurs de l'Union », lit-on dans ce communiqué. Complémentarité ou parallélisme des initiatives ? L'Algérie avertit que «ces décisions ne concourent pas à favoriser l'interaction requise entre les pays africains et risquent de compromettre sérieusement leur marche résolue vers la réalisation des objectifs qu'ils se sont assignés et qu'ils ont consignés dans l'acte constitutif de l'Union». Si l'UA ignore les efforts du Front Polisario en faveur de l'indépendance de ses territoires, l'on se demande pourquoi s'investirait-elle dans le règlement du conflit libyen créé de toutes pièces par des pays occidentaux qui visent à reconquérir l'Afrique par des moyens néocolonialistes avérés. L'envoyé spécial onusien pour la Libye semble par ailleurs avoir en main le canevas d'un processus politique en parallèle de celui devant être initié à Alger. Ghassan Salamé a déjà fait savoir qu'il avait adressé plus de 200 invitations aux belligérants libyens pour dialoguer prochainement à Genève. L'on s'interroge qui des deux pays, l'Algérie ou la Suisse, abritera les premiers rounds des négociations inter-libyennes. L'on craint que la communauté internationale compte sur l'Algérie et les pays voisins pour déblayer le terrain dans ce sens mais les empêchera d'en abriter les étapes. L'histoire rappelle que cette même communauté a poussé à l'émiettement du dialogue inter-libyen mené entre 2012 et 2015 et a fait un pied de nez à l'Algérie, qui en avait pourtant parrainé plusieurs rounds, pour faire signer les Libyens leur premier accord à Skhiret, au Maroc.