La décision du président de la République de gracier de nombreux condamnés de droit commun remet au goût du jour l'impératif redéploiement de l'appareil judiciaire en vue de le libérer du joug des cercles décisionnels militaires et politiques et de l'assainir de ses éléments faussaires. Plusieurs condamnés de droit commun dont les peines sont définitives, qu'ils soient incarcérés ou en liberté, ont été graciés hier suite à la décision que le chef de l'Etat a prise par décret 20-37 du 1er février 2020. De nombreuses condamnations sont exclues de cette grâce présidentielle à l'exemple de celles prononcées par la Cour de justice militaire relatives à la trahison, l'atteinte à la sécurité de l'Etat, et d'autres liées au trafic de drogues, transferts illicites et violation de la réglementation des changes... Enfin, toutes les inculpations dont ont fait l'objet les hauts responsables de l'Etat sous la présidence de Bouteflika ainsi que de nombreux hommes d'affaires. Le droit constitutionnel de grâce qu'a fait valoir hier le président de la République doit diriger le débat sur les pouvoirs qui lui sont conférés en tant que premier magistrat du pays, de ceux de l'institution militaire et de ceux de la justice. La séparation des pouvoirs est plus qu'exigée en ces temps ou d'effrayantes confusions ont été et continuent d'être faites à tous les niveaux de l'Etat. Dans son chapitre III -Du pouvoir judiciaire-, la Constitution stipule dans son article 156 que «le pouvoir judiciaire est indépendant. Il s'exerce dans le cadre de la loi. Le président de la République est garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire». Soumise à une profonde révision, la Constitution devrait en être la référence sûre et incontournable dans toutes les circonstances. Le président de la République doit en outre en être effectivement le garant infaillible et invincible. Quand la justice se trompe de procédures L'acquittement en janvier dernier de directeurs exécutifs du groupe Sonatrach et des responsables de l'ENIE et de Saipem par la justice italienne vient comme pour obliger le chef de l'Etat à veiller scrupuleusement sur le respect des lois de la République pour pouvoir instaurer un véritable Etat de droit, garant de toutes les libertés reconnues par les lois universelles. Si les accusations de corruption, de blanchiment d'argent et d'autres tout aussi lourdes de malversations prononcées par la justice algérienne au titre de l'affaire Sontrach I et II ouverte en août 2013, avaient fait pendant longtemps les choux gras de la presse nationale, leur acquittement par la justice italienne n'a pas été autant ébruité en Algérie. L'on rappelle que c'est au temps où Mohamed Charfi était ministre de la Justice et Belkacem Zeghmati procureur général près le tribunal de Sidi M'hamed d'Alger que cette affaire a éclaté. A l'époque, d'importants indices ont prouvé que le dossier a été confectionné par les services du patron du renseignement, le général Toufik, pour acculer le président Bouteflika et l'obliger à renvoyer les hommes qui lui étaient proches en premier Chakib Khelil. De hauts responsables affirmaient alors que «l'affaire Sonatrach est un enfant dans le dos du président». L'on note que dans ces mêmes colonnes, il a été rapporté que Bouteflika avait exigé du DRS de retirer le dossier ou il constituerait, entre autres pressions, une commission qui exigerait des explications sur la mort du général Saïdi en 1995 dans un accident de voiture. Ce dernier devait remplacer dans la même année le général Mohamed Médiène dit Toufik à la tête du DRS. C'est Belkacem Zeghmati qui avait lancé un mandat d'arrêt international contre Chakib Khelil. Mandat qui a été retiré pour cause de nullité. Aujourd'hui, des juristes tentent d'expliquer cet acte en soutenant qu'en tant que procureur général qu'il était, Zeghmati n'avait pas le droit de l'émettre parce que les lois algériennes ne lui en donnaient pas la prérogative. La gestion du cas Chakib Khelil a été d'ailleurs selon eux en contradiction avec la Constitution et le Code pénal qui consacrent l'exigence du passage des hauts responsables de l'Etat devant la Cour suprême -à défaut de l'existence de la Haute Cour de l'Etat- au cas où ils font l'objet de quelconques accusations. De procès en procès, l'affaire Sonatrach semblait patiner en l'absence, disaient des juristes, de preuves concrètes. Le procédé d'une demi-journée Juste avant le limogeage de Toufik en 2015, des sources sûres du ministère de la Justice avaient affirmé que le dossier devrait être clos. Il est vrai qu'en ce temps l'affaire Sonatrach ne faisait plus les unes des journaux notamment ceux spécialisés dans la publication de rapports des services du renseignement. L'ex-ministre de l'Energie allait et revenait en Algérie sans complexe. Intellectuel racé qu'il est, il a d'ailleurs fait l'erreur de médiatiser ses allées et venues au niveau de certaines zaouïas du pays, un verre de lait à la main et un burnous sur les épaules. En acquittant les accusés, la Cour de Milan a mis en avant l'absence de fondements de toutes les accusations retenues contre eux. Son verdict innocente en évidence Chakib Khelil en Algérie puisque les accusations retenues contre lui sont liées à celles des accusés acquittés. Accusations démantelées par la force de la loi et de la règlementation codifiant la conclusion de transactions commerciales dans le monde. Sept ans après, c'est une justice étrangère qui rend public son verdict dans la sale affaire Sonatrach. L'on se demande qui va payer les préjudices moraux notamment qu'elle a causés aux présumés accusés, aujourd'hui totalement blanchis ainsi qu'à leurs familles. Le dossier Sonatrach n'est pas le seul à avoir été fabriqué dans des officines aux pouvoirs absolus. En mars 2019, les séries interminables d'arrestations de hauts responsables, d'hommes d'affaires et de simples «activistes politiques » de réseaux sociaux ont défrayé la chronique. Le procès des quatre responsables accusés de «haute trahison et d'atteinte à l'institution militaire et à l'Etat » a été mené avec une rapidité étonnante. La gravité des accusations tranchaient avec son expédition en à peine une demi-journée et avec un verdict prononcé le lendemain. Les chefs d'inculpation sont trop lourds pour être prouvés ou même contestés en quelques heures. Aucun texte de loi en vigueur n'interdit des réunions à plus de deux personnes. Et pourtant, Saïd Bouteflika, Toufik et Louisa Hanoun ont été accusés de s'être réunis pour faire tomber le chef d'état-major, vice-ministre de la Défense, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah. C'est un communiqué de la présidence de la République qui a fait état de son limogeage. Les preuves qui manquent A ce jour, aucune autorité militaire, politique ou judiciaire n'a prouvé à la défense des inculpés encore moins à l'opinion publique l'identité de celui qui a signé ce communiqué ni précisé l'état dans lequel se trouvait le président Bouteflika à quelques heures de sa démission forcée. L'on ne saura peut-être jamais si c'est lui qui l'avait fait ou pas. Sinon, tout l'édifice judiciaire qui a été construit autour de ces arrestations et leurs procès serait nul et non avenu dans la mesure où la Constitution consacre le droit au président de la République de nommer et limoger tous les responsables aux hautes fonctions civiles et militaires de l'Etat. Autre fait surprenant rapporté déjà dans ces mêmes colonnes, l'annonce par l'actuel ministre de la Justice, garde des Sceaux, de la date du procès des deux Premiers ministres, de ministres et des hommes d'affaires essentiellement concessionnaires de voitures. En effet, c'est Belkacem Zeghmati, encore lui, qui a annoncé avec jubilation l'ouverture de ces procès en soutenant «vous allez voir de quoi est capable le juge algérien !» L'article 164 de la Constitution stipule que «la justice est rendue par des magistrats. Ils peuvent être assistés par des assesseurs populaires, dans les conditions fixées par la loi». L'article 165 affirme que «la justice n'obéit qu'à la loi». Or, pour s'en réjouir autant, le ministre de la Justice qui est un politique, semblait connaître les verdicts à l'avance jusqu'à s'en réjouir en s'appuyant sur ce fameux «ce dont est capable le juge algérien». L'on s'interroge sur la suite à donner à des procès et à des condamnations qui ont laissé un goût affreux d'inachevé, d'incomplet, de douteux et un sentiment flagrant de règlements de comptes. Une nette et réelle séparation des pouvoirs, si elle arrive à être imposée comme règle de gouvernance, pourra à elle seule lever les zones d'ombre sur cette affreuse période où la justice s'est saisie de dossiers trop lourds pour avoir été confectionnés en à peine quelques jours. Nombreux sont les magistrats qui étaient en poste à la date où les faits rapportés dans les dossiers des inculpés ont eu lieu. Leur silence est synonyme de complicité et est passible de sanctions pénales.