L'ex-ministre de l'Energie, Chakib Khelil, est officiellement convoqué par la Cour suprême, après avoir été extirpé des mains de la justice pendant six ans par le clan Bouteflika. L'instruction en cours concerne la conclusion de deux contrats par la compagnie Sonatrach avec deux entreprises étrangères en infraction avec la loi. Dans le prolongement de l'affaire Sonatrach 1, dont l'instruction avait été clôturée le 14 octobre 2012 avec l'inculpation de neuf personnes et Saipem en tant que personne morale, une enquête judiciaire avait bien été ouverte en 2013 sur un réseau international avec des ramifications sur l'ensemble des continents qui pratiquaient la corruption pour obtenir des contrats avec l'entreprise pétrolière. D'énormes commissions avaient été versées aux intermédiaires pour les transférer directement vers les comptes des responsables du secteur de l'énergie algérien ou vers ceux des membres de leurs familles. "Les montants de chacune de ces opérations varient entre 20 millions de dollars et 175 millions d'euros. Une partie de ces fonds a été investie dans l'achat de biens immobiliers en Europe", avait révélé à l'époque le procureur général d'Alger, Belkacem Zeghmati, qui avait affirmé que "ces fonds avaient été transférés avec des techniques bancaires complexes vers certains pays européens, asiatiques et du Golfe, ainsi que vers les Etats-Unis". À la lumière de ces données, un mandat d'arrêt international avait été lancé contre Chakib Khelil, son épouse et ses deux enfants, mais aussi contre Farid Bedjaoui, Réda Hemche, ancien chef de cabinet du P-DG de Sonatrach, et trois commerçants ayant la double nationalité, qui avaient aussi joué le rôle d'intermédiaires lors de ces transactions. Chakib Khelil avait été alors accusé de "corruption, blanchiment d'argent, conclusion de contrats contraires à la réglementation, constitution de bandes criminelles organisées et abus de pouvoir". Cette décision avait valu à Belkacem Zeghmati son limogeage en septembre 2015 par l'ex-président de la République. Il retrouvera ce poste le 16 mai dernier. Trois ans après l'enclenchement des poursuites contre lui, l'ancien ministre de l'Energie, rentré de son exil aux Etats-Unis en 2016, avait bénéficié de l'abandon des charges contre lui par le juge d'instruction de la neuvième chambre pénale du tribunal de Sidi M'hamed. La justice n'a pas communiqué sur les raisons de ce non-lieu. Pendant cette mise en berne en Algérie, Chakib Khelil est rattrapé par de nombreuses révélations à l'étranger. Le P-DG de l'ENI, Paolo Sarconi, poursuivi par le parquet de Milan pour corruption dans le cadre de huit marchés conclus entre Saipem, filiale de l'ENI, et Sonatrach pour un montant d'environ 10 milliards d'euros, négocie une réduction de sa peine. Saipem aurait versé 197,9 millions d'euros, entre 2007 et 2010, de pots-de-vin aux responsables publics algériens. Selon Tullio Orgi, ex-directeur général de Saipem Algérie, le montant de ces commissions aurait été négocié par les dirigeants de l'ENI dont Paolo Sarconi et les dirigeants du secteur de l'énergie algériens dans des palaces tels George-V à Paris et le Bulgari à Milan. Plusieurs contrats, objet de suspicions En septembre 2018, un autre événement renforce les soupçons autour de Chakib Khelil. Le parquet de Milan condamne par contumace Farid Bedjaoui, l'un des principaux accusés dans l'affaire Sonatrach-Saipem, à une peine de cinq ans de prison. Farid Bedjaoui était le principal intermédiaire entre les deux entreprises. Le procureur général du tribunal de Milan avait, à l'époque, affirmé détenir des preuves sur le versement de pots-de-vin par la société italienne Saipem en "contrepartie des faveurs" de Chakib Khelil. Ce magistrat a également cité "des paiements actifs" versés à la société Pearl Partners à Hongkong, appartenant à Farid Bedjaoui. En dépit de nombreuses requêtes de la défense, l'ex-ministre de l'Energie a été exfiltré également du dossier Sonatrach 1 portant sur des marchés de gré à gré accordés à la société Saipem pour la réalisation du lot 3 du gazoduc GK3, sur le réaménagement du siège de Sonatrach à Ghermoul assuré par le bureau d'études CAD et sur le contrat conclu avec l'entreprise allemande Contel-Funkwerk pour l'équipement de 123 infrastructures de l'entreprise pétrolière en matériel de télésurveillance et d'un système anti-intrusion. L'ancien P-DG de Sonatrach, Mohamed Meziane, condamné dans le cadre de Sonatrach 1, avait pourtant affirmé qu'il ne faisait qu'appliquer les ordres de Chakib Khelil d'octroyer des marchés de gré à gré et que les contrats pour lesquels il était poursuivi avaient été traités et étudiés par le comité exécutif de l'entreprise et les commissions des marchés. Nissa Hammadi