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Le droit des femmes toujours menacé: 8 mars 1910 - 8 mars 2020: 100 ans ont passé
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 05 - 03 - 2020

Femmes d'ici, femmes d'ailleurs, femmes d'aujourd'hui, femmes de demain, femmes enfants, femmes nubiles, caméristes, servantes, chefs d'entreprise ou ministres, soumises ou battantes, martyrisées ou résistantes, quel que soit leur statut social, professionnel ou familial, toutes sont logées à la même enseigne.
Comment tolérer encore plus longtemps le sort fait à nos mères, nos sœurs, nos épouses, nos filles ou nos amies, au foyer comme aux champs, à l'usine comme au bureau, dans l'entreprise comme dans la rue ? Certes, des progrès notables ont été accomplis durant ce dernier siècle. Le combat des femmes a gagné du terrain. Ce énième anniversaire est là pour nous rappeler que les luttes en faveur de l'égalité n'ont pas été vaines. Mais, à ce jour, les acquis demeurent fragiles et le chemin qui reste à parcourir demeure parsemé d'embûches.
Décidée le 8 mars 1910 à Copenhague, par la Confédération internationale des femmes socialistes qui venait de voir le jour, pour réclamer le droit des femmes à participer au vote, cette date symbole est aujourd'hui un événement mondial. L'ordonnance du 24 avril 1919 leur a donné le droit au vote. Depuis lors, les revendications n'ont cessé de s'affirmer à l'échelle de la planète. Les défilés réunissent des millions de femmes qui marchent pour réclamer leurs droits. Chose curieuse, les Nations unies n'observent cette journée internationale consacrée à la femme que depuis 1975. En France, il a fallu attendre 1982 pour que le gouvernement français se décide à instaurer le caractère officiel de l'événement. Un siècle après le premier vote des hommes, les Françaises ont fini par affirmer leurs voix.
Durant les années soixante, ces dernières ne pouvaient ni gérer leurs biens ni ouvrir un compte en banque et encore moins exercer une profession sans l'autorisation de leur mari. Elles vivaient sous le diktat de leurs époux. En parlant de la situation féminine, l'auteur du Deuxième Sexe faisait scandale. Aujourd'hui, partout dans le monde, la gent féminine est autorisée à festoyer durant une journée, voire parfois une simple demi-journée, les hommes s'autorisant à exercer leur hégémonisme dans les domaines politique, financier, économique et social, durant toute l'année. Ainsi, consacrer une journée aux femmes, rendre hommage à leur héroïsme, à leur courage, souligner leurs talents et leur persévérance, c'est bien ! Mais lorsqu'on sait que 364 jours durant, tout est fait pour régenter leur vie, pour les empêcher de décider de leur sort et de prendre une part active à la vie sociétale, le 8 Mars n'est qu'une hypocrisie de plus. Cette journée offre paradoxalement la preuve évidente de la persistance d'une discrimination honteuse. Comment festoyer alors que la «décolonisation» des femmes, comme le disait Simone de Beauvoir, est loin d'être une réalité ? Comment se réjouir alors que les pratiques ségrégationnistes font toujours de la femme un être mineur ?
Le code inique, une chape de plomb implacable...
Libérées du joug colonial, les Algériennes, maquisardes ou civiles, ont très vite constaté, au lendemain de la guerre, que la souveraineté venait de leur être confisquée au nom d'une idéologie archaïque et rétrograde. Les moudjahidate qui ont soigné, transporté des armes et même parfois combattu l'arme au poing dans les maquis, tout comme les intellectuelles, les femmes de lettres, les artistes, les sportives et les femmes au foyer, qui ont hissé très haut le drapeau de l'Algérie, ont, pour la plupart, été dépossédées de leur combat. Ces oubliées de l'Histoire, qui ont lutté dans l'anonymat le plus total, ont été cantonnées dans l'ombre, embastillées dans leurs logis, ignorées en tant qu'êtres humains. Tout est fait pour les effacer de la sphère publique, pour faire disparaître leurs visages. Vainement elles ont tenté de recouvrer leurs droits fondamentaux, de conquérir leur propre légitimité. Mais face aux tenants d'un fondamentalisme des plus rétrogrades aux pratiques moyenâgeuses, l'intégrité de la gent féminine est devenue problématique.
Malgré la ferme résistance du mouvement féminin, malgré tous les piquets de grève devant l'Assemblée populaire nationale et les manifestations de rue des années 1980, et malgré l'espoir des premiers Etats généraux des femmes libres (1989), le code de la famille (adopté en juin 1984) semble avoir définitivement scellé le sort des femmes en Algérie. Intolérance, violence, viols et autres actes répréhensibles sont devenus monnaie courante durant ces dernières décennies, au sud comme au nord du pays. Non seulement le texte humiliant, révoltant et anticonstitutionnel, n'a pas encore été abrogé, mais en plus, aucune loi antidiscriminatoire, aucune loi égalitaire n'a été promulguée à ce jour. Et pourtant, elles réussissent mieux que les garçons dans les études, occupent des emplois salariés et constituent parfois l'essentiel des effectifs dans certains secteurs, comme celui de l'éducation nationale entre autres. Certaines, après avoir gagné du terrain et arraché des galons, y compris dans la police, dans l'armée et dans la politique, chasse longtemps gardée des hommes, ont finalement acquis droit de cité. Mais malgré tous ces succès, le combat est loin d'être gagné. L'oppression se poursuit. Ce ne sont pas les quelques femmes ministres, walis, députés, sénatrices ou cadres supérieurs de la nation qui cacheront la forêt de nos contradictions et de nos aberrations. Les comportements machistes demeurent encore profondément ancrés dans les mœurs, quel que soit le milieu, y compris chez certains intellectuels qui déclarent haut et fort leur anti-misogynie en invoquant parfois les textes sacrés sortis de leur contexte. Victimes de violences familiales, maltraitées au sein de leur famille, elles se trouvent parfois dans l'obligation d'accepter l'inacceptable, pour protéger leurs enfants, pour éviter de nuire à leurs familles ou tout simplement pour éviter le divorce qui, chez nous, est synonyme de femme pestiférée. Combien de femmes, diplômées et cultivées, aux trajectoires hors du commun, ont laissé leur ambition se dégrader en refusant le mariage, en reprenant leurs noms de jeunes filles ou en acceptant des postes subalternes pour éviter de briller face à leur époux ?
Les parias du monde moderne
Combien d'autres, médecins, enseignantes, ingénieurs, spécialistes dans des disciplines déclarées masculines, se sont résolues à accepter l'enfermement à domicile et l'esclavage familial pour mettre fin aux perpétuelles scènes de ménage de maris machistes jaloux ? Combien d'autres se trouvent dans l'obligation d'accepter les mariages forcés décidés par les parents, pensant faire le bonheur de leur progéniture ? Combien meurent dans l'anonymat à la suite de violences conjugales ? Combien enfin se suicident chaque année, ne pouvant plus supporter les conditions de vie archaïques et les règles dogmatiques qui leur sont imposées ? Que dire des démunies, privées d'éducation, traitées comme des parias, des êtres inférieurs, sans droits, sans toit, sans soins, ignorant le planning familial, la contraception, l'avortement, les dépistages de maladies, tel le cancer du sein ? Que dire de toutes ces femmes répudiées pour un oui ou pour un non, jetées à la rue du jour au lendemain, parfois avec leur progéniture ? Comment expliquer le fait que ce sont celles qui précisément donnent naissance et reproduisent la vie dans leur corps, celles qui sont les plus fortes devant la souffrance et résistantes face au vieillissement qui vivent dans la précarité et le dénuement le plus total ? Sur fond de misère sociale, le poids des traditions demeure encore très puissant. Il faut peut-être commencer par décoloniser les imaginaires en menant une lutte acharnée contre l'obscurantisme. Il faut ensuite s'attaquer aux fondements de la misogynie.
L'esprit formaté dès le plus jeune âge est à l'origine de nombreux dysfonctionnements. A peine pubère, le garçon est, au sein de sa famille, considéré comme l'adulte de la maison, alors que l'éducation de la fille est toute orientée au service de l'homme. Il importe donc de briser l'ostracisme actuel à l'égard des femmes, en faisant évoluer les mentalités. Il faut enfin tout faire pour instaurer une législation équitable loin des pratiques sociales et des mentalités rétrogrades. Tel est l'enjeu crucial. Être une femme est pénible sur cette planète, quel que soit le pays. Mais si, pour certaines, la célébration de la Journée internationale de la femme frise le ridicule, pour d'autres, les expositions, vernissages et autres manifestations à caractère socioculturel permettront à tout le moins de relancer l'impératif débat sur leurs préoccupations, leurs aspirations, leurs difficultés, les violences familiales et culturelles et donc sur l'indispensable égalité des droits. «Une femme est aussi un être humain», écrivait Malraux.


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