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Le droit culturel dans son versant rigide, le droit au patrimoine culturel (3ème partie)
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 16 - 03 - 2020

Dans ce foisonnement d'idées, aucune incidence notable, en matière de patrimoine culturel, n'est relevée sur l'échiquier constitutionnel, qui traduirait, en termes de droit, les évolutions constatées dans la construction de la République socialiste. L'ordonnance 67-281 continue à produire ses effets, considérant, qu'en vertu des dispositions constitutionnelles [silencieuses sur ce sujet], l'objet de cette loi ressortit du domaine règlementaire.
- Au titre III de la Charte nationale, relatif aux grands axes de l'édification du socialisme, le chapitre premier est consacré à la «Révolution culturelle». Elle est envisagée dans le sens d'une dynamique d'appropriation des moyens de production par la collectivité : «...la presse, la radio, la télévision, l'édition, les musées, les écoles de musique, le cinéma, le théâtre, un réseau très fourni de bibliothèques communales et de quartier, des moyens audiovisuels de toutes sortes seront à même de diffuser une culture attrayante de qualité susceptible de satisfaire les, besoins idéologiques et esthétiques tout en élevant le niveau intellectuel du citoyen». Là aussi, aucune modification n'est enregistrée dans le chapitre du droit du patrimoine culturel, l'ordonnance n°67-281 continuant à produire ses mêmes effets.
- La Constitution de 1976 (révisée en 1979, 1980, 1988) représente, selon ses auteurs, l'un des grands objectifs fixés par la Charte nationale. Son article 6 stipule que «La Charte nationale est la source fondamentale de la politique de la nation et des lois de l'Etat. Elle est la source de référence idéologique et politique pour les Institution du Parti et de l'Etat à tous les niveaux. La Charte nationale est également un instrument de référence fondamental pour toute interprétation des dispositions de la Constitution». Elle précise, dans son article 1er que l'Etat algérien est socialiste, dans son article 2 que l'Islam est religion de l'Etat et dans son article 3, que l'arabe est la langue nationale et officielle.
- La nouvelle Charte nationale enrichie de 1986, bien que libérant quelques accès au secteur privé dans les domaines de l'agriculture et des industries légères et moyennes, ne dérogeait, toujours pas à l'option socialiste et au rôle du parti unique, qui continuent à régenter toute la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays, dans une conjoncture mondiale en pleines transformations, présidant à un renouvellement d'approches dans le système de gouvernance, allant dans le sens d'une économie de plus en plus libérale. Les changements produits en Europe de l'Est, notamment, constituaient un avant-gout du nouveau paysage politique et économique qui se dessinait. La révolte d'octobre 1988 en Algérie, au-delà de ses causes internes, s'inscrit dans cette même dynamique qui, hélas, n'a pas été anticipée.
- La Constitution de 1989 constitue un document historique, qui consacre une rupture avec un ordre constitutionnel ancien, dans ce sens où elle répond à un soulèvement populaire «évènements d'octobre» et à un contexte politique et économique mondial engagé résolument dans la voie libérale. Cette Constitution introduit, pour la première fois, les principes de la tradition constitutionnelle libérale, qui régissent les droits et libertés publiques, consacrant la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes juridiques. Aucune référence n'est faite au socialisme et aux impératifs de la «Révolution», qui aurait maintenu une certaine continuité avec l'ordre ancien. L'Islam demeure, toutefois, religion de l'Etat (art. 2), l'arabe langue nationale et officielle (art.3) et l'Algérie «terre d'islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain» (préambule).
- Dans la Constitution de 1996, ce n'est pas le mot «Berbère», mais le mot «Amazigh» qui est introduit et reconnu pour la première fois en préambule : «Le 1er Novembre 1954 aura été un des sommets de son destin. Aboutissement d'une longue résistance aux agressions menées contre sa culture, ses valeurs et les composantes fondamentales de son identité que sont l'Islam, l'Arabité et l'Amazighité...». Il s'agissait, dans ce contexte, de l'aboutissement d'un processus qui allait de l'interdiction d'une conférence de feu Mouloud Mammeri à l'Université de Tizi-Ouzou, en mars 1980, aux évènements du 20 avril 1980 et puis aux acquis ultérieurs, l'ouverture de filières de recherches, l'Amazigh, langue nationale puis nationale et officielle. Là aussi, aucune avancée notable dans le chantier constitutionnel du patrimoine culturel, l'ordonnance n°67-281 continuant à dérouler le même processus de patrimonialisation étatique (inventaire classement, conservation, restauration, valorisation).
Ainsi, de 1967 à 1998, alors que les champs politique, économique, social et culturel ont été traversés par des transformations notables voire des mutations, tout particulièrement le passage d'une économie administrée à une économie libérale, qui commandait un réexamen et une reformulation des schémas constitutionnels et institutionnels, dans le sens de l'ouverture et la flexibilité, le domaine du patrimoine culturel demeurait toujours sous l'emprise d'un système juridique qui n'a pas su fabriquer les ressorts nécessaires pour la production d'un droit national du patrimoine culturel (doctrine juridique, outils conceptuels et méthodologiques).
Cette situation était davantage compliquée, lorsque l'on sait que l'ordonnance n°67-281 n'avait aucune incidente sur le territoire saharien (80% du territoire national). Sans vestiges romains, vandales, byzantins voire même ottomans, le Sahara a été rangé, par la colonisation, comme un territoire «sans consistance patrimoniale» (3), ce qui le mettait hors du champ d'application des lois régissant les monuments et sites historiques, applicables à la seule partie nord du pays. Le Sahara, étant, de fait, exclu de toute cadastration administrative, fondée sur l'héritage culturel (circonscriptions archéologiques, classement en monuments historiques). Les mécanismes juridiques de protection, de conservation et de restauration se sont montrés inopérants au Sud. Un déficit de patrimonialisation chronique, qui ne sera pas résorbé par l'Algérie indépendante, non pas par manque de volonté politique, mais par absence de mécanismes idoines d'appropriation d'un patrimoine dont les caractéristiques n'épousent pas le format classique des monuments historiques. C'est dans le registre de parcs nationaux, relevant du droit de l'environnement et non du patrimoine culturel, que le patrimoine culturel saharien sera pensé, tels les parcs nationaux du Tassili N'Ajjer et de l'Ahaggar (4).
La loi n° 98-04 portant protection du patrimoine culturel. L'Algérie demeure toujours sous l'emprise du système juridique français et éprouve des difficultés à s'y soustraire, pour s'établir sur un terrain juridique nouveau, en phase avec les référents identitaires et territoriaux nationaux. Une tentative a été essayée en 1998, avec la promulgation de la loi n°98-04 portant protection du patrimoine culturel. La difficulté de réaliser la translation de l'ordonnance 67-281 à la loi n°98-04 est d'ordre structurel. Elle est liée à l'emprise du système «bloquant» des Monuments historiques, pierre angulaire de l'édifice patrimonial français, qui maintient solidement les liens de filiation entre les terrains juridiques français et algérien. Sortir du Monument historique pour accéder au patrimoine culturel, passe nécessairement par une déconstruction de ce système et la construction d'un nouveau bâti avec d'autres matériaux de fabrication nationale.
La loi n°98-04 a le mérite de s'être délestée de l'ancrage juridique français, rompant avec ses doctrines et son corpus jurisprudentiel. Toutefois, et c'est là le point essentiel, elle ne lui a pas substitué d'autres ancrages en référence à l'historiographie nationale. Contrairement à l'ordonnance n°67-281, qui avait reconduit l'arsenal juridique français dans la cohérence de ses doctrines et de son corpus jurisprudentiel, la loi n°98-04, tout en renonçant à cet héritage juridique, lui a emprunté ses instruments technico-administratifs, en les vidant de leur substance historico-juridique. Ainsi, le «classement», l'«inscription sur l'inventaire supplémentaire» les «Monuments et sites historiques», l'«inventaire général des biens culturels», les «secteurs sauvegardés», constitueront des artéfacts d'une mécanique dépourvue de consistance juridique. A titre d'exemple, l'acte de classer, devient un simple acte administratif.
Comment s'est réalisée la translation juridique de l'ordonnance n° 67-281 à la loi n° 98-04 ? Comment sortir du système «bloquant» des Monuments historiques, pour accéder à celui de patrimoine culturel et quelles en seront les conséquences ? Mais encore faut-il que nos juristes et législateurs soient placés à un même niveau de compréhension et d'entendement de la notion «Monument historique» et de son évolution historique.
L'empire du Monument historique
Pour bien contenir cette question, il est indispensable, et c'est le préalable de l'exercice, de revisiter les étapes constitutives de la notion «Monument historique», car c'est sur le terrain de la sémantique qu'ont été construites les confusions et entretenus les amalgames, volontaires ou involontaires, qui ont impacté les approches, notamment juridiques, en matière de patrimoine culturel. L'expression «Monument historique» a une origine et un capital sens, qui prédéterminent les compréhensions et les entendements successifs. Elle procède, comme expression puis comme notion, d'un corpus philosophique, littéraire et juridique qui remonte à la Révolution française de 1789, recouvrant une signification spécifiquement française. En dehors de l'histoire française, la notion «Monument historique» n'a plus aucun sens.
Le «Monument historique» : de l'expression à la notion. Etymologiquement, l'expression «MH», désigne un édifice, un bien immeuble bâti qui a une valeur historique. Cette signification est ainsi entendue dans l'usage général, sauf dans un seul cas où elle recouvre un sens tout à fait singulier, en relation avec un fait historique de la Révolution française de 1789 : l'antagonisme «conservation / vandalisme». Cette expression, dans ce sens singulier, a été utilisée pour la première fois, en 1790, lors d'une session de l'Assemblée constituante française, par un fervent défenseur de l'héritage archéologique et historique français, du nom d'Aubin-Louis Millin de Grand Maison qui, dans un ouvrage intitulé : «Antiquités Nationales ou recueil de monuments...», dénonçait la destruction des symboles de l'ancien régime et suggérait la création d'un mécanisme juridique pour leur protection. Ce sera le classement en «Monuments historiques».
La notion «Monument historique» ne désignera plus le monument dans sa matérialité et sa fonction évocatrice et commémorative - ce qui aurait été contraire à l'esprit et la pratique révolutionnaire, ceux d'effacer les traces de l'ancien régime - elle désignera une mesure juridique de protection des biens de l'ancien régime «les monuments qui symbolisaient les âges de la barbarie», contre la destruction et le vandalisme. Elle prendra le sens d'une servitude d'utilité publique, qui légitimera l'action protectrice de l'Etat. Ainsi, les biens culturels immobiliers et mobiliers classés en Monuments historiques, seront considérés, comme des butins de guerre, des produits d'une nationalisation déguisée de biens privés (biens de la couronne, du clergé et des émigrés).
La notion «Monument historique» tire sa substance et sa vitalisé d'un véritable paradoxe historique, celui de «la conservation révolutionnaire des œuvres de l'ancien régime», qui va légitimer des réactions de nature contre-révolutionnaire, au travers d'un «subterfuge» juridique : le «Monument historique». Le propre de la violence révolutionnaire étant de détruire tout ce qui symbolise l'ordre ancien, alors que l'appel à la conservation des symboles de l'ordre ancien, sous le sceau des Monuments historiques, est une approche contre-révolutionnaire, dissimulée sous le voile d'un romantisme prégnant, porté par d'illustres et emblématiques hommes de lettres et non moins politiques, tels Victor Hugo et Châteaubriant, qui condamnaient les actes de destruction iconoclaste sous le slogan de la lutte contre le «vandalisme», terme crée expressément par l'Abbé Grégoire pour désigner le phénomène de destruction et ceux qui en sont responsables.
La Révolution française mettait, ainsi, en confrontation deux approches politiques antagoniques, l'une «révolutionnaire», portée par les tenants de la ligne dure du Comité de Salut Public, pendant la période de la Terreur, qui voulait faire table-rase de toutes traces de l'ancien régime, symbolisées par l'absolutisme monarchique, le despotisme féodal, les privilèges et l'arrogance de la noblesse et de l'aristocratie et l'obscurantisme religieux et l'autre, plus éclairée, consciente des pertes et des destructions iconoclastes, liées au «vandalisme», craignant l'irréversibilité des pertes de l'héritage de son histoire, négocia un système de protection qui, tout en n'empêchant pas la poursuite des destructions, au risque d'être traitée de contre-révolutionnaire, permettait de sauvegarder des parties considérées comme essentielles du patrimoine français : «préserver et conserver honorablement les chefs-d'œuvre des arts, si dignes d'occuper les loisirs et d'embellir le territoire d'un peuple». Ce seront le classement et l'inscription au titre des Monuments historiques, d'un héritage devenu la propriété de la Nation et dont l'Etat s'était auto-saisi pour assurer la protection et la valorisation au titre de l'intérêt général, suivant les objectifs et les valeurs de la Révolution.
A suivre
* Docteur
Notes
(3) Pour la France : «L'Algérie n'a jamais étendu sa souveraineté sur les territoires du Sahara. Ses occupants ou ses conquérants ne s'y sont jamais installés, qu'il s'agisse des Romains, des Vandales, des Byzantins, des Turcs. Les deux territoires [Algérie-Sahara] n'ont été réunis sous la même souveraineté qu'au moment où la France a occupé le Sahara. Il était alors une terre sans maître et aucun lien historique n'existait entre l'Algérie et le Sahara», en ajoutant que «Le Sahara est distinct de l'Algérie car il est le vide...» (Roland Cadet, l'un des négociateurs d'Evian : Sixième séance du mercredi 31 mai 1961, consacrée au Sahara).
(4) Radioscopie des parcs nationaux en Algérie, Le soir d'Algérie des 22 et 23 octobre 2018.


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