En France nous sommes confinés à la maison depuis le 17 mars par décision gouvernementale. Les enseignants comme la majorité de la population sont priés de rester à la maison sous peine d'amendes si la justification de sortie n'est pas rigoureusement prévue sur le document téléchargeable et signé sur l'honneur que la police peut contrôler. Ainsi commence un cauchemar pour le confiné si le malheur l'a affublé de la plus grande des tentations humaines, la gourmandise. Dans ces circonstances, que fait un confiné gourmand ? Il se dirige instinctivement vers le réfrigérateur comme la tortue reconnaît, trente ans après, son chemin vers la petite plage qui l'a vu naître. Voilà qu'il est face à ce traître pervers, dressé comme le pêché qui vous regarde et qui attend que vous tombiez sous son emprise maléfique. La porte s'ouvre, la main se dirige tout instinctivement vers la tablette de chocolat. Et comme tous les gourmands vous l'aviez dissimulée très profondément, derrière trois ou quatre produits pour la camoufler à votre regard. Mais la main est portée par une force irrésistible et commence à s'attaquer au premier portail pour écarter le premier produit. Au bout du troisième, la faute inévitable est commise, l'erreur qu'un gourmand ne doit jamais faire, détourner son regard de l'objectif et se retourner. Car derrière lui, sur la table de la cuisine, se trouve un paquet de médicaments contre l'hypertension. Et c'est ainsi que les forces de résistance se mettent à combattre les forces du mal. Elles vous rappellent le son de tintamarre de l'ambulance espagnole qui vous emmène vers l'hôpital après un pic d'hypertension. Et aussi cette nuit passée en surveillance avec quatre malades qui ont dépassé l'âge canonique. Les antidotes poursuivent leur travail de mémoire et vous rappellent également au souvenir des dix kilos perdus avec abnégation et par injonction du médecin et de votre Algéroise, complice du corps médical. Mais surtout de votre aîné qui, furieux, vous présente comme cadeau une carte d'abonnement à la salle de sports en vous disant « ce n'est pas vraiment un cadeau mais une sanction, tu dois perdre vingt kilos avant juin ». Tout cela pour la raison de l'amour qu'on vous porte et la crainte de vous perdre. Mais a-t-on déjà vu le discours de la santé détourner un gourmand d'une tablette de chocolat ? A-t-on jamais observé le discours de la morale convaincre le drogué de tourner le dos à sa dose quotidienne ? Mes chers lecteurs, le discours de la dictature bienveillante est partout, alors la main se rétracte et revient en arrière devant la force de la tyrannie. Et comme pour la défaite de Napoléon à Waterloo, elle se courbe et se dirige piteusement vers la bouteille d'eau. La bouteille d'eau, ce liquide absolument détestable pour les gourmands surtout lorsque le diable est juste à côté, la bouteille de Coca Cola, celle qui est réservée pour les invités. On nous annonce qu'il reste au moins un mois à tenir, ce monstre blanc et froid, sans cœur, jusqu'à produire des glaçons dans ses entrailles va me narguer encore, sans prendre le moindre repos. Si la bataille semble perdue, pas la guerre. On ne défait pas un gourmand expérimenté si facilement. Il reviendra à l'assaut de la citadelle, la nuit, lorsque la garde du Dey d'Alger sera endormie. Pas besoin de GPS ni de lumière pour risquer de faire face au regard inquisiteur de cette boîte de médicaments qu'on ne peut reléguer dans l'armoire au risque d'oublier le traitement lors du petit-déjeuner. Au final, tout le monde parle de la guerre contre le virus, la mienne est contre le réfrigérateur. Je vaincrai, la tablette de chocolat sera dans mon ventre, entièrement et sans pitié avant la fin du confinement. Et, comme les industriels sont merveilleux, ils proposent toujours un pack de trois tablettes. C'est assez pour une longue guerre d'usure. Malheur au vaincu !