Pour l'économie nationale,2020 est une année critique car tous les clignotants sont dans le rouge. La cause profonde de ce marasme n'est pas imputable au Hirak, à l'effondrement du prix des hydrocarbures et la pandémie de coronavirus. Ces évènements constituent certes des chocs majeurs qui ont mis à nu et amplifié une crise structurelle provoquée par une gestion chaotique et un pillage systématique et organisé de ses richesses. Face à l'impasse provoquée par la forte contraction des revenus des hydrocarbures, l'oligarchie au pouvoir depuis deux décennies a osé faire le grand saut en adoptant dans la précipitation une loi qui lève l'interdiction faite à la banque centrale de financer directement l'Etat via le trésor. C'est ainsi qu'intervient l'amendement de l'ordonnance sur la monnaie et le crédit pour ouvrir la voie à la planche à billets et cela en dépit des sérieuses réserves formulées par la banque d'Algérie dans un document portant la date 18/06/2017. Pourtant la loi sur la monnaie et le crédit adopté en 1990 et amendé en 2003 renferme un mécanisme qui permet à la banque d'Algérie d'accorder des avances au trésor lorsqu'il connait des difficultés temporaires de trésorerie. Pour éviter d'éventuels abus et dérapages, le législateur a prévu d'encadrer rigoureusement ces avances en plafonnant les montants et en fixant les échéances de remboursement. Mais l'appétit insatiable des forces de l'argent qui ont pris le pouvoir est devenu tel qu'il fallait utiliser la grosse artillerie pour préparer le 5eme mandat et trouver un substitut à l'épuisement de la rente afin de poursuivre le pillage des richesses de la nation quitte à mener le pays vers le grand naufrage. Cest ainsi que depuis la mi-novembre 2017 et jusqu'à fin janvier 2019, les concours de la banque centrale mobilisés au profit du trésor ont atteint 6.556,2 milliards de DA dont un montant de 3.114,4 milliards de DA a été injecté dans l'économie (source banque d'Algérie). Quelle est la contrepartie de cette dette abyssale en termes de croissance économique, de création d'emplois, d'une meilleure alimentation des populations en eau potable, de construction d'établissements scolaires et des infrastructures de santé? Ce large recours à une création monétaire pouvait laisser penser que le pouvoir s'est engagé dans une politique économique inspiré par l'économise Keynes qui a pris position pour un effort budgétaire soutenu de l'Etat comme moyen de stimulation de l'activité économique. Tirant les enseignements de la grande dépression de 1929, il a montré que la dépense publique crée un cercle vertueux dont l'enchaînement est le suivant : investissement initial stimulation de la demande augmentation de la production augmentation des recettes budgétaires. Ainsi lorsque l'Etat dépense, le produit intérieur brut enregistre un accroissement supérieur à cette dépense. Mais c'est faire preuve de naïveté que de penser que ceux qui ont programmé la faillite du pays ont subitement décidé de faire acte de repentance en renouant avec une démarche empreinte de patriotisme. L'aboutissement d'un processus dans une perspective keynésienne est illusoire dans la mesure où l'injection de monnaie dans une économie déstructurée et plongée dans une profonde récession ne favorise pas une croissance économique réelle. En réalité la planche à billets n'était qu'une nouvelle roublardise d'un pouvoir aux abois qui voulait nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Le bilan désastreux de cette opération renseigne sur l'état de déliquescence avancé dans laquelle a été plongée l'Algérie et donne le sentiment que c'est un pays en situation de déshérence. 1000 milliards de dollars ont été dépensés au cours des 15 années écoulées et la situation économique et sociale est à ce jour des plus précaires. Pour ne citer qu'un exemple en rapport avec l'actualité présente dominée par la crise sanitaire, il suffit d'observer l'état de décrépitude des hôpitaux dont l'une des illustrations est le nombre de lits en CHU qui est passé de 13.465 lits en 2003 à 12.799 en 2017 (source ONS) au moment où la population enregistre une augmentation de la population de 27%. Force est de reconnaître que les gouvernants et les puissantes féodalités financières qui les soutiennent n'en ont cure puisqu'ils savent où aller pour traiter leurs problèmes de santé. Les exemples témoignant de la mise à sac des revenus du pétrole par des dirigeants et une poignée d'oligarques révèlent comment ils ont fait de l'Algérie une organisation semblable à une société par actions au sein de laquelle ils détiennent la majorité du capital et donc du pouvoir de décision alors que le peuple est confiné dans le rôle de l'actionnaire minoritaire avec un seul droit, celui de se taire. Le bilan de la planche à billets est désastreux car elle n'a pas financé la création de nouvelles richesses puisque 78,5% des ressources qu'elle a générées ont été affectées au remboursement des dettes de l'Etat. Créer de la monnaie pour se désendetter est un acte suicidaire qui soulève de légitimes interrogations sur les motivations réelles qui ont animé ses auteurs. Les récents scandales financiers, les crédits bancaires astronomiques détournés de leur destination et non remboursés apportent la confirmation de l'implication d'un système financier dans un processus d'accaparement des richesses par de puissants lobbys fortement présents et très actifs dans les institutions publiques et la sphère économique privée. Si la création de monnaie n'augmente pas la production de biens et services, comment dégager les ressources qui assurent le remboursement des concours accordes par la banque d'Algérie au trésor ? La situation est comparable à celle d'un individu endetté qui emprunte pour rembourser une dette antérieure alors qu'il ne dispose pas de revenu. Ce crime économique perpétré contre la nation a fortement accru la vulnérabilité de l'économie nationale et corollairement sa souveraineté : baisse des recettes fiscales, inflation, déclin de la compétitivité des entreprises nationales et érosion des réserves de change. Le recours à la planche à billets a pour seul effet de produire une dette que les générations futures devront honorer alors qu'elles n'en tireront aucun bénéfice. La dette publique qui représente 27% du PIB en 2017 s'élèverait 75% en 2022 c'est-à-dire qu'il faut consacrer les ¾ de la richesse créée pour assurer son remboursement. Le pays traverse une période sensible et la tâche est extrême complexe car Il s'agit d'assumer simultanément deux grands défis : en premier lieu il s'agit de faire face à une conjoncture économique des plus défavorables sur le court terme et en second lieu il convient de dégager des perspectives sur le moyen et long terme qui requièrent des transformations structurelles sur le plan politique et économique. Ne pouvant compter sur la diversification des sources de financement, le gouvernement est conscient que sa marge de manœuvre pour résoudre la crise budgétaire est des plus étroites. De multiples alternatives sont proposées pour combler le tarissement des ressources budgétaires et il est intéressant de les passer en revue. Une augmentation des recettes fiscales déterminées par la croissance économique relève de la gageure lorsqu'on sait que le taux de croissance du PIB prévu pour l'année 2020 baissera de -5,2%. Ensuite il parait problématique d'envisager une hausse des recettes fiscales en relevant les taux d'imposition à un moment ou l'économie a besoin d'être relancée. Certains experts proposent d'augmenter les recettes budgétaires en maximisant les dividendes versés à l'Etat par la banque d'Algérie. Cette solution, s'il est vrai qu'elle ne représente pas une source d'endettement, est assimilable à une forme de seigneuriage monétaire et contribue au développement de l'inflation. Il y a ceux qui préconisent la dévaluation de la monnaie nationale pour financer le déficit budgétaire. Cette politique gonfle de manière artificielle les recettes budgétaires mais son impact sur la compétitivité des entreprises nationales sur les marchés extérieurs est nul à court terme. La dévaluation du dinar peut être contre-productive en provoquant un renchérissement des importations et en l'absence d'une offre de biens produits localement, il en résultera une hausse des prix. D'autres avis proposent le lancement d'un emprunt national sous la forme d'émission de titres obligataires sur le moyen ou le long terme. . Contrairement au financement monétaire l'endettement obligataire n'est pas inflationniste et il a l'avantage de capter l'argent qui échappe au système bancaire et qui est thésaurisée ou recyclée dans le circuit économique informel. L'expérience de l'emprunt émis par l'Etat en 2012 a montré les limites de ce mode de financement à cause notamment du peu d'intérêt accordé par les investisseurs. Ainsi les solutions avancées pour parer au plus pressé à la contrainte budgétaire manquent d'efficacité et sont inopportunes dans le contexte actuel de l'économie nationale. Dans un entretien avec les représentants de médias nationaux, le président de la république a exprimé son rejet de l'option de la planche à billets comme moyen de financement du déficit budgétaire en raison de son impact sur le pouvoir d'achat. Cette position a certainement inspiré le gouvernement qui a mis fin aux politiques budgétaires expansionnistes s'accompagnant d'importants déficits. Constatant que la résorption de l'écart entre recettes et dépenses pour l'exercice 2020 nécessite la vente du baril de pétrole à 157 dollars et sachant qu'il n'existe pas d'autres alternatives de financement, le gouvernement a opté pour une politique de rationalisation de la dépense publique et c'est pourquoi il a été retenu une baisse de 50%des dépenses de fonctionnement. La compression des dépenses est salutaire si elle ne pénalise pas les couches sociales qui sont dans le grand besoin. La planche à billets est dangereuse et si l'on veut éviter à l'Algérie le scénario vénézuélien, il serait souhaitable d'aller vers l'abrogation de l'amendement qui l'a introduit(article 45 bis) et pourquoi pas inscrire dans la nouvelle constitution après consultation des experts en droit, l'interdiction du financement direct du trésor par la banque d'Algérie sauf dans les situations très exceptionnelles : l'entrée en guerre et la survenue de grandes catastrophes naturelles. Le recours à la planche à billets reflète l'échec d'un système politique et par conséquent la construction d'une nouvelle économie implique au préalable une refondation politique.