- Beaucoup de choses ont été dites ces derniers jours sur la dette interne, plus précisément depuis la décision du gouvernement de recourir à la planche à billets afin, dit-on, de couvrir la dette interne, les déficits du Trésor ainsi que pour renflouer les caisses du Fonds national d'investissement. Faisons d'abord un peu de pédagogie ; de quoi est constituée cette dette interne ? Dans les pays développés, la dette publique est constituée de l'ensemble des emprunts contractés par l'Etat et les administrations publiques (collectivités territoriales, protection sociale, etc.). A l'inverse de la dette extérieure qui est financée par des intervenants étrangers, la dette intérieure ou domestique est contractée uniquement auprès des agents économiques intérieurs (institutions financières, ménages et entreprises). La dette interne est insensible aux écarts de change, car généralement elle est libellée dans la monnaie nationale. En Algérie, selon le FMI, la dette intérieure comprend principalement des titres du Trésor pour 30% environ de la dette (à échéance allant de trois mois à 15 ans), 54% de la dette correspondant aux aides aux entreprises publiques et le reste à l'emprunt national pour la croissance économique. De plus, selon le FMI, la dette intérieure garantie par l'Etat s'est élevée à 18,5% du PIB (caution accordée par l'Etat à un organisme dont il veut faciliter les opérations d'emprunt). Le ratio dette intérieur/PIB incluant la dette garantie est de 39,5% du PIB en 2016. - La dette publique s'est accrue, passant de 8,8% du PIB en 2015 à 21,0% en 2016 à la suite d'opérations financières réalisées par l'Etat pour soutenir deux entreprises publiques. Elle devrait passer au-dessus des 30% du PIB en 2022 selon le FMI, soit à l'issue de la période de 5 ans que le gouvernement s'est attribuée pour parvenir à rétablir la viabilité des finances publiques par le moyen de la planche à billets, entre autres. Quelle serait la limite soutenable de la dette interne dans une économie comme la nôtre ? En matière de dette publique et notamment de dette interne, il est très difficile de définir une limite soutenable dans le contexte actuel. A titre d'exemple, les Etats-Unis sont aussi endettés que la Grèce mais ne sont pas menacés comme elle. Depuis le début de la crise financière, les gouvernements des pays industrialisés ou même des pays limitrophes — comme le Maroc — se sont lancés dans d'importants programmes de stimulation de la demande et ont été contraints à recapitaliser les banques et à prendre à leur compte une grande partie des dettes des institutions financières défaillantes. En conséquence, les niveaux de dette publique ont fortement augmenté (+20 point de PIB pour la zone euro). Durant ces périodes, il n'est pas illogique que les banques centrales pratiquent des politiques monétaires accommodantes et à essayer d'améliorer la situation économique avant la mise en œuvre de programmes d'assainissement budgétaire par les gouvernements. Le problème en Algérie vient du fait qu'aucune politique sérieuse qui consisterait à adopter des mesures crédibles et globales destinées à consolider les soldes budgétaires, à recapitaliser les institutions financières en difficulté et à redresser la situation financière des agents économiques n'a été prise depuis le début de la crise. Lorsque les politiques budgétaires deviennent insoutenables, les politiques monétaires perdent, dans le meilleur des cas, leurs intérêts. En l'absence de politique d'assainissement sérieuse, la décision du gouvernement de monétisation directe des déficits va entraîner à terme une dette publique excessive. Cette situation budgétaire extrême entraînera in fine un risque d'hyperinflation, voire même un risque de rupture de la dette de façon limitée pour les dettes internes. - La planche à billets serait-elle en mesure de concourir au rééquilibrage des finances publiques, ou bien faut-il craindre un effet retour de manivelle : forte inflation, érosion monétaire, etc ? Les seules mesures sérieuses qui consisteraient à concourir au rééquilibrage des finances publiques ne peuvent venir que de politiques de restauration de la confiance des agents économiques ; ceux-ci sont essentiels pour mettre un terme aux interactions négatives entre la faiblesse de la croissance économique, la crise budgétaire et la fragilité financière. Il est donc impensable de rééquilibrer graduellement les finances publiques sans accroître l'efficience de l'investissement public, réduire les coûts, augmenter les recettes hors hydrocarbures, mettre en œuvre des réformes des subventions tout en protégeant les plus démunis et maîtriser les dépenses courantes. Bien évidemment, un recours à court terme et homéopathique (dans la limite de 5 à 7% de PIB à fin 2018) à la planche à billets peut être envisagé à condition de lancer simultanément les réformes structurelles énoncées. A défaut, toute politique de planche à billets serait une erreur stratégique majeure, pour ne pas dire dangereuse pour l'avenir du pays. En effet, la politique actuelle de fuite en avant comporte à l'évidence des risques importants puisqu'elle repose uniquement sur une stratégie d'appel excessif à la monnaie pour combler le déficit budgétaire ; celle-ci a pour effet mécanique d'alimenter l'inflation et d'éroder le pouvoir d'achat des revenus fixes. Voire à terme de conduire à une dépréciation importante du taux de change. La conjonction des deux pèsera directement et fortement sur la croissance hors hydrocarbures, les coûts de production, l'emploi et le pouvoir d'achat des ménages. - En refusant de recourir à l'endettement extérieur pour le financement des projets d'investissement, le gouvernement a fait le choix de continuer à soutenir les entreprises publiques, à racheter leurs dettes auprès des banques et à couvrir d'énormes écarts dus aux subventions des produits, etc. Est-ce un bon choix, selon vous ? Au-delà de la communication politique et au vu de la situation politico-économique du pays, le gouvernement ne peut aisément recourir au financement extérieur. En effet, si l'Etat algérien souhaite se financer dans des conditions acceptables sur les marchés internationaux, il n'a d'autre choix que de mettre en œuvre une série de réformes structurelles qu'il n'a jamais réussi à faire. Cela implique de dégager au préalable un vaste consensus politique et social qui ne pourra être trouvé sans cycles électoraux majeurs (référendum ou présidentiel) permettent le soutien aux réformes. L'autre solution consisterait à recourir une nouvelle fois aux financements via les institutions internationales comme le FMI. Toutefois, cette solution est désastreuse en termes d'image puisqu'elle ferait réapparaître le spectre de la crise financière des années 90'. Aujourd'hui, l'unique moyen de minorer l'ampleur de la crise auprès de l'opinion consiste à comprimer plus drastiquement les importations d'équipements plutôt que celles de la consommation. Bien évidemment, la politique qui consiste à soutenir les déficits et la paix sociale au détriment des investissements de modernisation de l'Algérie hypothèque l'avenir du pays. En effet, l'augmentation des dépenses d'équipement prévue est liée au paiement des dettes envers les entrepreneurs ou la production de logements sociaux. Bien évidemment, nous sommes donc à l'antipode des investissements publics qui auraient un fort effet d'entraînement sur l'activité, avec une création de richesse permettant à la fois de diversifier les ressources en devises, de créer les emplois de demain, d'augmenter les ressources fiscales. Pour finir, le renoncement de l'Etat à récupérer plus de 100 milliards de dollars liés principalement à la fraude en période de crise (impôts non payés, crédits bancaires non remboursés et circuit informel) est une décision inqualifiable, elle démontre clairement une faiblesse dans la gouvernance et le manque de volonté politique.