Les dernières vingt-quatre heures ont été curieusement marquées par des débats contradictoires sur le «hirak» qu'Alger et Paris ont tenu à diffuser sur leurs chaînes de télévision publique à des heures de grande audience. Alors que le nouveau coronavirus continue d'interpeller les spécialistes de la santé sur ses origines, sa nature, la manière la plus efficace de le combattre et sur la durée de son cycle de vie, Alger et Paris se sont arrêtés sur un sujet pourtant confiné comme tous les autres pour le remettre au goût du jour chacun selon sa perception. Lundi dernier, la télévision publique a diffusé une émission où l'universitaire Lakhdar Maougal a contredit un journaliste et un «hirakiste » en affichant des doutes sur «l'essence populaire spontanée» du mouvement du 22 février 2019. «Je ne crois pas à la génération spontanée », a-t-il déclaré en notant que « le hirak » a commencé le lendemain d'une réunion à Paris (...) ». Tout est dit pour démontrer que ce mouvement de révolte a été commandité et manipulé de l'étranger, la France particulièrement ? Ce à quoi les deux invités rétorquent en substance que « le peuple algérien a battu le pavé pendant de longues semaines pour dénoncer un pouvoir corrompu et corrupteur ». Mardi, c'est Paris qui s'y met en diffusant à quelques minutes d'intervalles sur deux chaînes de télévision publique, deux émissions sur le « hirak » mais de tendance totalement contradictoire avec l'émission d'Alger. Les mots clés des interviewés algériens, franco-algériens et même français lorsqu'ils évoquent les différentes étapes du mouvement, « l'étouffement des voix discordantes au pouvoir, le déni d'exister, les libertés bafouées, une dictature militaire, une justice aux ordres (....) ». Durant l'une des émissions, défilaient à l'écran des séquences de bastonnades de jeunes manifestants par des brigades antiémeutes, d'autres traînés par terre par les mêmes forces, des carrés de manifestants brandissant l'emblème amazigh, d'autres dénonçant lhostilité du pouvoir et bien d'autres scènes présentant l'Algérie comme une dictature militaire où la répression régente le quotidien des citoyens. Suggestions pour l'après-confinement? Le raccourci est grossier à propos d'un pays où la contestation populaire est souvent présente dans ses régions les plus reculées et où les pneus qui brûlent en sont devenus le symbole sans pour autant qu'elle soit systématiquement réprimée. Les intervenants n'ont pas fait le parallèle entre le «hirak» et les gilets jaunes souvent brutalisés, cognés, traînés par terre, jetés dans des commissariats par les forces de police. Mais c'est Alger qui était ce soir là au banc des accusés. Tous ont conclu que «le confinement profite au pouvoir et les réponses politiques aux attentes du hirak sont suspendues». Et que «le pouvoir en a profité pour se venger de ses détracteurs, journalistes, opposants et «hirakistes» en les jetant en prison». L'on peut penser que l'élément déclencheur des émissions françaises en opposition à celle algérienne, est l'approche de la levée du confinement sanitaire. Il est donc suggéré au « hirak » de reprendre tout de suite après ses droits d'existence dans les rues d'Alger. Le tout se déroule en l'absence d'une classe politique algérienne alerte et d'opposants capables de canaliser la colère populaire en cas de déferlement inattendu. Les questionnements sur cet assaut médiatique français se bousculent dans les esprits. Cabale contre Tebboune pour amorcer son encerclement ? Complot contre l'Algérie ? Ou échos de simples rebonds contestataires au sein d'une société en gestation après sa rupture avec le système politique et la cassure d'une gouvernance fortement décriée ? Pas de réponse évidente mais possibilité de recoupement tout aussi médiatique. Le même soir, un canal «national» basé à l'étranger, rappelait les promesses de Tebboune en diffusant des voix d'Algériens se plaignant de ne pouvoir acheter «la viande à 800 DA et avoir le lait à portée de main comme promis par le ministre du Commerce, d'être obligé de guetter l'arrivée du camion qui le vend à une chaîne humaine qui se moque des mesures barrières contre le Covid-19, d'attendre de percevoir les 10.000 DA d'aide sociale (...)». Après l'émission sur le «hirak», la TV nationale s'est tournée vers la géopolitique. Des analystes de renom sont intervenus tour à tour pour expliquer «le complot». Michel Raimbaud, Ahmed Benssaada, Richard Labévière, René Naba exposent leurs arguments. «Il faut que l'Algérie comprenne les jeux géostratégiques en Libye» recommande Benssaada qui estime que «la solidarité avec la Chine est une réorientation géostratégique qui peut poser beaucoup de problèmes à l'Algérie (...)». «Le mauvais côté de l'Histoire» Labévière rappelle que « l'Algérie est un des trois grands pays africains qui comptent dans la géopolitique qui trace la route de la soie pour la Chine ». Il pense que « la position très ferme de l'Algérie sur la Syrie lui valent des attaques d'ONG (...)». Benssaada rebondit « l'Algérie subit des attaques et pressions de l'étranger, elle doit être extrêmement vigilante, cette volonté de s'affranchir d'une certaine politique peut lui causer beaucoup de problèmes». Naba soutient «tout pays qui bombe le torse peut se voir menacer, c'est le cas de l'Algérie». Labévière pense qu'« on est dans un monde très incertain où tous les coups sont permis (...). Il faut que nos dirigeants soient responsables, ils doivent définir de nouvelles règles...». Benssaada conseille à l'Algérie de se tourner vers l'Afrique et l'Amérique latine, se trouver une autre voie que celle des non-alignés, les entités régionales ne servent plus à rien (...)». Raimbaud affirme que « l'ONU, c'est fini, de facto, il n'y a plus de droit international, il faut le recréer sur la base de principes admis par tout le monde». Les deux émissions ont été suivies d'un documentaire sur les fermes agricoles des colons français transformées en centres de torture, Algériens jetés dans des cuves de vin, des conditions de détention des plus humiliantes, les liquidations physiques, la torture sous toutes ses formes... De la colonisation d'hier au complot d'aujourd'hui ? Il semble que c'est la suggestion... René Naba indique que «la politique extérieure algérienne comme celle syrienne, sera déterminée en fonction de la dimension des peuples qui ont lutté pour leur indépendance». Raimbaud écrit dans «Tempête sur le Grand Moyen-Orient » au sujet des « révolutions arabes », que « Paris a joué au poker menteur (...). Se tromper de siècle est toujours plein de risques. L'heure n'est plus à la colonie ou au mandat, ni aux serments mensongers. En choisissant de s'allier à des forces réactionnaires pour faire de fausses révolutions (...), la France est tombée du mauvais côté de l'Histoire». Cet ancien diplomate français et grand analyste des conflits dans le monde arabe et musulman affirme dans le même ouvrage que «la démocratisation» à la mode Bush n'est évidemment qu'un grossier prétexte (...), pour remodeler le Grand Moyen-Orient en y cassant les Etats les plus modernes, notamment les Etats-nations, pour le réduire à un patchwork d'entités confessionnelles ou ethniques, de manière à ce que l'Amérique s'en assure le contrôle stratégique et qu'Israël en garde la prééminence».