«Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a reçu dimanche soir un appel téléphonique de son homologue français, Emmanuel Macron, qui s'est enquis de son état de santé et félicité de son rétablissement». C'est ce qu'a rapporté un communiqué rendu public le jour même par le palais d'El Mouradia en précisant que « le Président Macron a fait part de sa volonté, dès le retour du Président Tebboune au pays, de reprendre le travail de concert sur les dossiers d'intérêt commun, notamment économiques, les questions régionales et le dossier de la Mémoire ». Et conclut qu' «à son tour, le président de la République a remercié le Président Macron de ses sentiments sincères, lui affirmant sa disposition à travailler sur ces dossiers une fois de retour en Algérie». Emmanuel Macron n'en est pas à son premier contact téléphonique avec le Président Tebboune. Il a même pris comme habitude d'être le premier président à travers le monde à « s'enquérir » de l'état de santé de Abdelmadjid Tebboune qui est hospitalisé depuis le 10 janvier dernier pour une deuxième fois à l'étranger. Le Président avait en effet annoncé ce jour-là son départ à partir de l'aéroport militaire de Boufarik en disant aux Algériens qu'il allait probablement subir «une petite intervention chirurgicale au pied» sinon, a-t-il affirmé, «tout ce qu'on a fait avant (comme traitement et protocole médicaux ndlr) n'aura servi à rien». Excepté le communiqué qui a annoncé que Tebboune a subi son intervention chirurgicale et que tout s'est bien passé, à ce jour, aucun autre officiel n'a précisé qu'a-t-il exactement au pied. En estimant qu'il «se félicite de son rétablissement» tel que rapporté par le communiqué d'El Mouradia, c'est en fin de compte le président français qui fait savoir aux Algériens que le président algérien s'en est rétabli. L'autre annonce de la Présidence de la république tente de répondre aux nombreuses critiques d'Algériens au rapport de Benjamin Stora sur les questions mémorielles. Rapport que l'historien a remis à Macron, il y a à peine deux jours, après qu'il l'ait chargé l'été dernier de « dresser un état des lieux sur le chemin accompli par la France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie ». Le président français a dit dimanche à Tebboune qu'il est d'accord pour «reprendre le travail de concert sur les dossiers d'intérêt commun, notamment économiques, les questions régionales et le dossier de la Mémoire». La lettre de mission de Macron à Stora L'historien français devait toujours à la demande de Macron «proposer des gestes susceptibles de contribuer à l'apaisement et à la sérénité de ceux que la guerre d'Algérie a meurtris tant en France qu'en Algérie». Tebboune avait chargé, lui, le directeur général du centre des archives, Abdelmadjid Chikhi, en sus d'être l'interface de Stora, de faire le même travail que lui mais en évidence du côté algérien. Chikhi n'a pas encore dit sur quels axes travaille-t-il. Il s'est même abstenu de réagir à cette grosse polémique que le rapport Stora vient de provoquer. Interrogé hier par nos soins à propos de l'appel de Macron, Nadir Larboui, ex-ambassadeur et représentant permanent auprès de la Ligue des Etats arabes, connu pour son sens raffiné de la répartie et parfois ses coups de boutoir contre ses pairs arabes à chaque fois qu'ils s'attaquaient à l'Algérie, nous a répondu qu'«au delà du message d'amitié pour s'enquérir de l'état de santé du Président et lui exprimer sympathie et solidarité, il y a manifestement chez le chef de l'Etat français une volonté à anticiper, d'une part, les tentations de surenchères politiciennes du passé colonial de la France en Algérie et, en attendant la réaction officielle, à contourner, d'autre part, les réactions et les critiques des Algériens déçus par les propositions contenues dans le rapport de Benjamin Stora sur les questions mémorielles, supposées être le résultat d'un travail de mémoire commun nécessaire permettant aux deux pays d'avoir une relation sereine et apaisée, tournée vers un avenir commun. Larbaoui estime que c'est là « un exercice extrêmement difficile, car à l'évidence, tant que la France n'aura pas reconnu officiellement ses crimes commis pendant la colonisation, il y aura toujours une confrontation des mémoires entre les deux pays, ce qui aura pour effet de retarder davantage l'heure de la réconciliation ». Notons que la première grande remarque à propos du rapport Stora, pas d'excuses de la France à l'Algérie comme réclamé l'été dernier par Tebboune afin, avait-il dit à un média français lié à l'Elysée, «d'apaiser le climat et le rendre plus serein». Dans son rapport, l'historien français a respecté la lettre de mission que lui a assignée Macron. Glaner des excuses françaises à propos de la colonisation de l'Algérie n'en fait pas partie. Des excuses qui, faut-il le dire, ne changeraient rien aux massacres et aux crimes perpétrés par la France coloniale contre le peuple algérien, des innocents des deux sexes et de tout âge, chez eux, sur leur terre et dans leur pays. Ceux qui en ont échappé ont été précipités dans les abîmes de l'indigence de tout ordre de laquelle ils gardent de profondes séquelles. Au début de juin 2020, Tebboune avait lancé des hauts des Tagarins que « la position nationale constante de l'ANP (...) dérange les ennemis de l'Algérie parmi les haineux, les envieux et ceux qui se cachent derrière des lobbies, toujours prisonniers d'un passé à jamais révolu ». Ces propos, Tebboune les voulait une réaction à la brutale crise diplomatique survenue à cette période entre Alger et Paris et à cause de laquelle Alger avait rappelé son ambassadeur. Tebboune avait pointé du doigt «des relents coloniaux» que dégagent «des prisonniers d'un passé à jamais révolu». Stora explique sa méthode de travail L'historien français met cependant dos à dos les deux pays et recommande dans son rapport de sortir de «la communautarisation des mémoires» qui a poussé au lendemain de la guerre d'Algérie ses différents acteurs à «s'enfermer dans leur propre souffrance sans reconnaître la souffrance d'autres groupes». Il formule 22 recommandations «pour apaiser les mémoires» d'un côté comme d'un autre de tous ceux qui ont participé à la guerre d'Algérie, armées, pieds-noirs, harkis... Par son intermédiaire, la France réitère encore une fois la demande exprimée par Sarkozy alors président de la République qui veut forcer la main aux autorités algériennes pour «faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants entre la France et l'Algérie». Recommandation hypocrite lorsqu'on sait que les autorités des deux pays savent qu'en tant que détenteurs de passeports français, les harkis se déplacent régulièrement entre les deux rives. L'historien français propose la mise en place d'une commission « Mémoire et Vérité » appelée à formuler « des initiatives mémorielles communes entre les deux pays ». Dans une tribune parue hier dans Le Quotidien d'Oran, Stora estime qu' «il règne en France et en Algérie, une grande ignorance sur ce que fut l'histoire complexe des Algériens: leurs engagements politiques anciens, leurs croyances religieuses préservées, leurs rapports maintenus à la langue arabe, française, berbère. Mon rapport, très discuté partout, propose précisément une méthode qui privilégie l'éducation, la culture, par la connaissance de l'autre, et de tous les groupes engagés dans l'histoire algérienne». Il rappelle à ce sujet «les regrettés Jacques Berque et Mohammed Arkoun: par la connaissance concrète, érudite, faire baisser la peur de l'autre, réduire la part de fantasmes, s'éloigner des mémoires dangereuses qui se sont développées dans les deux sociétés. A « ceux qui critiquent vivement, en Algérie », il affirme en référence à ses œuvres historiques que «dans mon rapport (...), j'ai simplement proposé une méthode qui est la mienne depuis longtemps: connaître les motivations, la trajectoire de tous les groupes de mémoire frappés par cette guerre dévastatrice, patiemment (cela fait plus d'un demi-siècle que je travaille et j'enseigne sur cette histoire) pour faire reculer les préjugés et le racisme; avancer pas à pas, par des exemples concrets, pour comprendre la réalité terrible de la conquête de l'Algérie et du système colonial (massacres de civils, exécutions sommaires, essais nucléaires, disparus, prises d'archives); et ne pas se contenter de s'enfermer dans la répétition de discours politiques (...) ». Mon rapport, conclut-il, « est une modeste contribution pour ce passage d'un cycle à l'autre. Après plus de cinquante ans de travail sur cette histoire, je vois que de nouvelles générations d'historiens, de chercheurs, d'écrivains, d'artistes s'engagent pour porter ces volontés de réconciliations mémorielles. J'espère qu'ils réussiront ».