Ailleurs, ce sont les pionniers, les éclaireurs et ceux qui ouvrent toutes sortes de routes qui tiennent le haut du pavé pour avoir pris tous les risques à prendre pour déblayer des chemins qui deviennent pour d'autres des sentiers battus. Des ouvreurs de route de glace au Canada, en Russie, en Alaska, en Scandinavie et partout où l'eau gèle pendant les rudes hivers. Des bâtisseurs de route tels l'Atlantic Road au Norvège, le Viaduc de Millau en France, et des tunnels comme celui sous la Manche. Sous nos latitudes, ce sont les coupeurs de route qui brillent de mille feux et se font remarquer sur les routes. Trois catégories de ces coupeurs de route ont le vent en poupe depuis quelques décennies déjà et ne sont pas près de disparaître du paysage médiatique surtout. Il y a bien sûr les plus visibles, ceux qui coupent les routes à l'aide de branches de bois, de pneus et autres obstacles à même d'empêcher les automobilistes et les passagers des bus de vaquer à leurs affaires pour une histoire d'eau qui ne coule pas dans le robinet, des logements sociaux promis non encore distribués ou injustement répartis ou alors pour dénoncer les fous du volant que même les ralentisseurs de fortune n'arrivent pas à raisonner. Les coupeurs de route les plus inventifs n'ont pas trouvé mieux que de couper la route à l'aide d'un mur bâti à la hâte au beau milieu de la chaussée avec briques cimentées, crépissage et tout le reste. D'aucuns ont, à un moment ou un autre, pesté contre ces interminables queues de voitures qui prennent tout le monde au dépourvu même ceux qui ont eux aussi participé à la fermeture d'une route, ça et là. Personne ne passe et des tragédies résultent souvent comme la femme qui accouche dans la voiture, l'étudiant qui rate son examen, le voyageur qui rate son avion ou encore la mort du patient faute d'être acheminé à temps à l'hôpital. Moins bruyants que les premiers, mais tout aussi nuisibles, sont ceux qui coupent les routes en y déversant leurs ordures, gravats et sable de terrassement. Les routes les moins fréquentées et les pistes nouvellement ouvertes sont celles qui pâtissent le plus de ce phénomène et les mises en garde des autorités ne trouvent pas d'écho. La route se rétrécit comme une peau de chagrin et ses bas-côtés disparaissent au bout de quelques mois seulement, alors qu'il a fallu des années d'attente pour débloquer des sommes énormes et vaincre des oppositions farouches des propriétaires dont les terres sont traversées par lesdites routes ou pistes. S'opposer au passage d'une route ou piste sur son terrain souvent resté en jachère est une lubie chez beaucoup de gens qui semblent oublier que les sentiers, les pistes et les routes qu'ils empruntent quotidiennement pour vaquer à leurs occupations ne sont pas tombées du ciel, mais résultent du bon sens d'autres individus qui apprécient les voies à leur juste valeur. Ces trois catégories de coupeurs de route sont les plus en vue, mais pas forcément les plus féroces et les plus nocifs. Les coupeurs de route les plus redoutables agissent en sous-main et se mettent en travers de chemins autrement moins visibles, mais plus cruciaux tel celui du savoir, la route du succès, la route des budgets, les voies du progrès et du développement, le cours de l'histoire en somme. Pourtant, la route, c'est la vie, écrivait le célèbre romancier Jack Kerouac justement immortalisé par «Sur la route» (1957), son célébrissime roman.