Dans le contexte d'un monde de plus en plus globalisé, qui facilite la circulation des personnes et des substances, les groupes de criminalité organisée ont prospéré, posant de nombreux défis aux autorités frontalières où les groupes criminels utilisent souvent des entreprises commerciales licites pour dissimuler leurs activités illicites, par exemple en plaçant de la drogue dans des cargaisons, ces organisations criminelles menaçant le bien-être économique et social de tous les citoyens aux niveaux national et international. Combattre le crime organisé et la corruption constitue une des préoccupations majeures des Etats à la fois pour des questions de moralité et de développement. C'est à ce titre que le commandement de la Gendarmerie nationale algérienne organisera une importante rencontre en présence des institutions stratégiques de nombreux experts, sur le crime organisé sous ses différentes facettes et comment l'Algérie entend lutter contre ce fléau qui menace la sécurité nationale, les 23/24 février 2021 à Alger, dont il m'a été fait l'honneur d'ouvrir cette importante rencontre dont je tiens à remercier les organisateurs pour la confiance témoignée. 1.-Le fléau du crime organisé dépasse le cadre national, devant le relier aux réseaux internationaux, où existent des liens dialectiques entre certains agents externes et internes dans le cadre du crime économique organisé. La lutte contre la corruption, qui concerne tous les pays sans exception, n'est pas une question de lois ou de commissions, montrant clairement que les pratiques au niveau mondial contredisent le juridisme et les discours. Il est illusoire de s'attaquer à la corruption sans un système d'information fiable en temps réel utilisant les nouvelles technologies dont l'intelligence artificielle qui a un impact à la fois sur la gestion du segment sécuritaire, économique des entreprises, des intuitions et de nos comportements. Une importante enquête sur plus de 150 pays vient d'être réalisées par d'éminents experts internationaux (juristes, économistes, politologues et experts militaires) parrainée par l'ONU en octobre 2021 mettant en relief que le montant du crime organisé varierait entre 2 et 5% du PIB mondial estimé à 84.680 milliards en 2020 et selon la Banque mondiale et devrait dépasser les 100.000 milliards de dollars en 2022, ce qui donne entre 2020/2022 1.700 et 4.230 milliards de dollars contre une estimation pour 2009 d'environ 600 milliards de dollars, les crise économiques amplifiant le trafic issu du commerce illégal sous toutes ses formes: drogue, armes, traite, déchets toxiques, métaux. Se basant sur douze (12) indicateurs de résilience : leadership politique et gouvernance, transparence et responsabilité du gouvernement, coopération internationale, politiques et législations nationales, système judiciaire et détention, forces de l'ordre, intégrité territoriale, lutte contre le blanchiment d'argent, capacité de réglementation économique, soutien aux victimes et aux témoins, prévention et acteurs non étatiques, l'étude arrive à six conclusions: 1ère conclusion, plus des trois quarts de la population mondiale vivent dans des pays où le taux de criminalité est élevé, ou dans des pays où le niveau de résilience face au crime organisé est faible ; 2e conclusion, de tous les continents, c'est l'Asie qui enregistre les niveaux de criminalité les plus élevés ; 3e conclusion, la traite des personnes est le marché criminel le plus répandu au monde ; 4e conclusion, les démocraties présentent des niveaux de résilience face à la criminalité plus élevés ; 5e conclusion, les acteurs étatiques constituent les principaux facilitateurs de ces pratiques occultes et obstacles à la résidence face au crime organisé (dont octroi opaque de l'octroi de marchés publics), 6e conclusion, de nombreux pays en conflit et Etats fragiles sont très vulnérables face au crime. (Pr Abderrahmane Mebtoul, Institut français des relations internationales Paris décembre 2013, les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb). 2.-Dans le cadre du crime organisé je distinguerai plusieurs segments pouvant exister des relations dialectiques entre les différents acteurs concernant le trafic illicite. Premièrement, le trafic de marchandises regroupe différentes pratiques : contrefaçon ; piraterie ; falsification ; adultération de produits ; contrebande de produits licites et fraude fiscale. Le commerce illicite génère des bénéfices juteux et ne représente que peu de risques pour les groupes criminels organisés car les peines encourues au titre du commerce illicite sont plus légères que pour d'autres infractions comme le trafic de stupéfiants. Pour combattre efficacement ce fléau, les pays doivent disposer d'enquêteurs spécialisés, de procureurs et de juges dans ce domaine de criminalité, tandis que les groupes criminels organisés disposent de compétences, de réseaux et de ressources logistiques toujours plus perfectionnés, utilisant les nouvelles technologies détournées à des fins criminelles, notamment les sites Internet, les médias sociaux, les appareils mobiles, les places de marché en ligne, le Darknet ou encore les cybermonnaies, posent un problème permanent pour la communauté des services chargés de l'application de la loi. Pour l'Algérie, existent des trafics de différentes marchandises subventionnées comme le lait et la farine achetés en devises fortes, le trafic de carburant représenterait un manque à gagner de plusieurs centaines de millions de dollars pour le Trésor public, c'est énorme. Cela est lié globalement à la politique des subventions généralisées sans ciblage et à la distorsion des taux de change par rapport aux pays voisins. Deuxièmement, nous avons le trafic d'armes. Le marché «noir» des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché «blanc» puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Tandis que le trafic de drogues est réprimé internationalement, le trafic d'armes est réglé par les Etats qui en font leurs bénéfices. La vente d'armes s'effectue régulièrement entre plusieurs partenaires privés et publics. Les 10 principaux pays exportateurs d'armes dans le monde entre 2016 et 2020, selon le Sipri sont : les Etats-Unis 37%, la Russie 20% ; la France 8,2% ; l'Allemagne 5,5% ; la Chine 5,2% ; le Royaume-Uni 3,3% ; l'Espagne 3,2% et Israël 3%. Le commerce des armes à feu est empreint d'opacité et oppose le secret d'Etat à de nombreuses tentatives de transparence selon le groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité GRIP, un centre de recherche indépendant en Belgique, dénonce aussi parfois le comportement des industries qu'il accuse de se cacher derrière le secret défense pour justifier des pratiques difficilement acceptables ce qui explique les données contradictoires avec des différentes importantes. Selon l'ONU, sur la base des données de l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC), le marché international du trafic d'armes estimé à plus de 1 200 milliards de dollars par an. En 2020, malgré la pandémie de Covid-19, le secteur de l'armement a enregistré un nouveau record de ventes, le chiffre d'affaires étant estimé à 531 milliards de dollars en hausse pour la sixième année consécutive, selon le rapport annuel du Sipri. Troisièmement, nous avons le trafic de drogue. La montée en puissance du trafic de drogue au niveau de la région sahélienne a des implications sur toute l'Afrique du Nord où nous pouvons identifier les acteurs avec des implications géostratégiques où les narcotrafiquants créent de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Afin de sécuriser le transit de leurs marchandises, ces narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement. Avec un chiffre d'affaires estimé entre 300 et 500 milliards de dollars, le trafic de drogue est devenu le deuxième marché économique au monde, juste derrière le trafic d'armes. Dans son dernier rapport, l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) s'inquiète notamment d'une hausse de la circulation de la cocaïne en Europe, une poudre blanche devenue plus pure et moins chère et donc plus facile d'accès pour les jeunes. Le même constat est fait pour les produits à base de cannabis très fortement dosés en THC, la molécule à l'origine des effets psychotropes. Si les trafiquants de drogues étaient un pays, leur PIB les classerait au 21e rang mondial, juste derrière la Suède. Malgré la répression, l'ONU estime que seuls 42% de la production mondiale de cocaïne sont saisis (23% de celle d'héroïne). Quatrièmement, nous avons la traite des êtres humains. C'est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l'exploitation sexuelle ou à l'exploitation par le travail. Nous avons le trafic de migrants qui est une activité bien organisée dans laquelle des personnes sont déplacées dans le monde en utilisant des réseaux criminels, des groupes et des itinéraires. D'après les statistiques de l'ONU et du Conseil de l'Europe, dans les années 2000-2010, la traite des êtres humains générerait environ 32 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel et constituerait la troisième forme de trafic la plus répandue au monde. Le Gafi (Groupe d'action financière international) en 2019 révèle dans une étude que les profits liés à la traite humaine s'élèveraient à 150 milliards de dollars. Un chiffre multiplié par six en l'espace de 5 ans. Cinquièmement, nous avons le trafic de ressources naturelles qui inclut la contrebande de matières premières telles que diamants et métaux rares (provenant souvent de zones de conflit) et la vente de médicaments frauduleux potentiellement mortelle pour les consommateurs. Selon le Forum économique mondial, les médicaments contrefaits génèrent 120 à 160 milliards d'euros chaque année. 3.-Je m'appesantirai sur le sixième segment qui constitue le plus grand défi à la communauté internationale à savoir la cybercriminalité. Très difficile à évaluer du fait de l'ampleur de l'économie du piratage, qui se structure aujourd'hui autour de quatre grandeurs principales, à savoir, le coût pour les victimes, qui correspond à un préjudice ou encore une destruction de valeur, une sorte de destruction intérieure brute (DIB, ou PIB négatif), le revenu brut, c'est-à-dire les rentrées d'argent pour les pirates, autrement dit leur chiffre d'affaires ; le revenu net, en d'autres termes le bénéfice qu'ils en retirent, frais déduits et le revenu net par tête par pirate , et qui oblige à tenir compte de leur organisation et des clés de répartition des bénéfices entre membres. Les pertes mondiales imputables aux attaques informatiques ont atteint les 1000 milliards de dollars en 2020, soit plus d'1% du PIB mondial. Ces pertes proviennent du vol d'actifs monétaires et de propriété intellectuelle mais également de pertes cachées, souvent omises. C'est sur ce dernier volet que McAfee s'est penché dans un rapport en partenariat avec le Centre d'études stratégiques et internationales. Elle est liée à la révolution dans le domaine des systèmes d'information et peut déstabiliser tout un pays tant sur le plan militaire, sécuritaire qu'économique. Il englobe plusieurs domaines exploitant notamment de plus en plus internet pour dérober des données privées, accéder à des comptes bancaires et obtenir frauduleusement parfois des données stratégiques pour le pays. Le numérique a transformé à peu près tous les aspects de notre vie, notamment la notion de risque et la criminalité, de sorte que l'activité criminelle est plus efficace, moins risquée, plus rentable et plus facile que jamais. Uniquement pour l'Europe, le montant des préjudices causés par des cyberattaques a atteint en 2020 un coût global de 750 milliards d'euros par an. A cet effet, selon une étude d'Interpol, la pandémie de coronavirus a de profondes répercussions sur les cybermenaces dans le monde. Compte tenu de cette situation, la Direction de la cybercriminalité d'Interpol a élaboré en août 2020 un rapport d'évaluation mondial portant sur la cybercriminalité liée au Covid-19 en s'appuyant sur l'accès aux données de 194 pays membres et de partenaires privés afin de brosser un tableau complet de la cybercriminalité liée à la pandémie de Covid-19 : escroqueries en ligne et hameçonnage pour 59%; logiciels malveillants visant à désorganiser (rançongiciels et attaques par déni de service distribué) pour 36% ; logiciels malveillants visant à obtenir des données ; domaines malveillants pour 21%; désinformations et fausses informations, de plus en plus nombreuses, se répandent rapidement dans le public pour 14%. Septièmement, de la synthèse de tous ces trafics, nous avons le blanchiment d'argent, processus durant lequel l'argent gagné par un crime ou par un acte illégal est lavé. Il s'agit en fait de voiler l'origine de l'argent pour s'en servir après légalement. Les multiples paradis fiscaux, des sociétés de clearing (aussi offshore) permettent de cacher l'origine de l'argent. Le blanchiment d'argent et les activités financières illicites connexes ont un impact dévastateur sur les sphères économique, sécuritaire et sociale, en raison de l'existence d'une importante sphère informelle et d'économies fondées sur le numéraire et d'une combinaison de cadres juridiques déficients. C'est la résultante de tous les facteurs analysés précédemment offrant également un soutien financier au terrorisme. Des techniques de blanchiment d'argent nouvellement émergentes et de plus en plus complexes apparaissent, impliquant l'utilisation du régime du commerce international, des passeurs de fonds, des systèmes alternatifs de transfert de fonds et des structures d'entreprise complexes. D'où l'importance d'un système d'information en temps réel, fondement, impliquant également les services de contre-espionnage et le renforcement de la coopération au niveau bilatéral, régional et international. Ainsi, la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée en décembre 2000 où a été mis en relief les liens entre le terrorisme, la criminalité transnationale organisée, où a été demandé aux Etats membres de se conformer aux dispositions de la résolution et de prendre des mesures préventives et pénales contre le blanchiment d'argent en vue de combattre le financement du terrorisme. En résumé, pour l'Algérie concernée par ce fléau qui menace la sécurité nationale et hypothèque le développement futur du pays, le combat contre la corruption, il s'agira d'analyser l'essence et non des actions conjoncturelles qui reproduiront le même mal à terme, donc d'anticiper et de réaliser de profondes réformes pour éviter que de telles pratiques ne se reproduisent, l'arsenal pénal étant en dernier ressort. Ayant eu à diriger en tant que directeur général des études économiques et haut magistrat comme premier conseiller à la Cour des comptes, pour la présidence de l'époque le dossier du bilan de l'industrialisation entre 1965 et 1978, du programme de l'habitat entre 1980/1983 en relation avec le ministère de l'Intérieur et tous les walis nous avons constaté d'importants surcoûts par rapport aux normes internationales, ainsi que du dossier des surestaries avec le ministère du Commerce. J'avais conseillé à la présidence de l'époque d'établir un tableau de la valeur en temps réel, avec la numérisation des entreprises, du commerce, des banques, de la fiscalité, des domaines et de la douane et (que certains redécouvrent en 2021) reliant toutes les institutions concernées aux réseaux internationaux (prix, poids, qualité), tableau qui malheureusement n'a jamais vu le jour du fait que la transparence des comptes s'attaquait à de puissants intérêts occultes Au sein d'un monde turbulent et instable préfigurant d'importants bouleversements géostratégique, la lutte contre la corruption est le fondement du retour à la confiance, sans laquelle aucun développement n'est possible, devant combattre la mentalité rentière et réhabiliter le travail et l'intelligence. *Professeur des universités, expert international, haut magistrat (Premier conseiller) et directeur général des études économiques à la Cour des comptes 1980/1983