Dans la nuit du 30 octobre au 1er novembre 1954, plusieurs dizaines d'attentats éclatent simultanément en différents points du territoire algérien. Cette première action d'un mouvement alors inconnu par le grand public, le FLN, est considérée comme marquant le début de la guerre d'Algérie. Il faut remonter au 8 mai 1945 pour comprendre les « événements » de la « Toussaint 1954 ». Ce jour-là, à l'occasion des cérémonies célébrant la chute du régime nazi, des nationalistes algériens avaient voulu manifester pour l'indépendance de leur pays. Les massacres qui s'ensuivirent firent plus de 45 000 morts du côté algérien, et une centaine parmi les Européens, dans les régions de Sétif de Guelma et de Kherrata. La répression impitoyable de mai 1945 devait convaincre les nationalistes algériens de la nécessité de recourir à la révolution armée pour libérer le pays. En fait, les origines de la guerre d'Algérie sont beaucoup plus lointaines. Dès le début de la conquête en 1830, les populations algériennes a été animées d'un esprit de résistance, et toute la période coloniale a été entrecoupée de révoltes sanglantes. Aucun autre événement colonial de la France n'a nécessité l'envoi d'une armée aussi nombreuse ni été marquée par des opérations militaires aussi longues et aussi meurtrières. De plus, l'importance de la colonie de peuplement immigration européenne fait de l'Algérie un cas particulier, quasiment le seul exemple d'une colonie de peuplement française, avec l'envoi de milliers de personnes qui allaient s'y installer en maîtres sur des terres appartenant à des autochtones, jaloux de leurs biens ancestraux l'asservissement. La période coloniale de l'Algérie a commencé par quarante années de conquête armée, ponctuée de massacres de civils et d'expropriations massives de leurs terres, avec deux phases de guerre ouverte, de 1830 à 1836, puis de 1840 à 1847. Après l'éradication des grandes insurrections de 1871, l'Algérie, déclarée partie intégrante de la France, a été gouvernée dans un cadre juridique fondé sur une inégalité institutionnalisée entre Européens d'Algérie et Algériens - en contradiction absolue avec les valeurs républicaines françaises. Il aura fallu sept ans d'une guerre impitoyable qui a causé d'innombrables victimes et laissé derrière elle des millions d'individus brisés, pour que l'on voit enfin l'aboutissement de la libération de l'Algérie du joug colonial. Plus de soixante huit ans après la fin de la guerre, il est temps que les Français regardent en face leur histoire coloniale, avec ses ombres et ses déchirures au lieu de fermer les yeux sur un pan de leur Histoire qui les dérange à plus d'un titre. Les candidats à la Présidentielle française devraient chercher d'autres sujets plus importants de campagne pour les électeurs français que l'émigration. Il est plus que jamais nécessaire de se dire que la guerre d'Algérie est terminée depuis bien longtemps déjà! Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. » Dans son Discours sur le colonialisme en 1950, l'écrivain et homme politique martiniquais Aimé Césaire dénonçait puissamment l'idéologie colonialiste européenne et accusait ses « maîtres » d'être incapables de regarder en face et de résoudre le « problème colonial » qu'ils avaient créé. Pourtant, les débats autour du passé colonial français se multiplient ces dernières années : appels à reconnaître les massacres et leurs victimes, restitution des œuvres d'art, déboulonnage de statues. Il faudra attendre 2017 pour qu'Emmanuel Macron soit le premier président français à qualifier la colonisation de « crime contre l'humanité ». Pourtant, on constate dans les discours propagandistes de certains candidats ont encore une odeur de poudre. Ils gardent toujours en mémoire les « traumatismes » du passé colonial, que leur pays la France n'a « toujours pas »réglés ». Avec un semblant de dégèle de la situation entre les deux pays, et le retour de notre ambassadeur à Paris, Peut-on dire que l'on assiste à la fin d'un tabou ? Peut-on » espérer réconcilier» les mémoires ? Quelle démarche pour le futur président français qui sera élu sur ce sujet qui passionne encore des deux côtés de la rive? Restera-t-il dans la glorification de l'œuvre coloniale, déni des crimes, et dans la mise en avant des « bienfaits de la colonisation en Afrique du Nord » et de sa « mission civilisatrice » ? Souvenez-vous que juste après les accords d'Evian en 1962 [qui entérinent l'indépendance de l'Algérie] et jusqu'en 1982, l'Etat français a fait passer deux décrets et trois lois qui empêchaient toute poursuite concernant les crimes commis durant cette guerre. Ces textes ont imposé une chape de plomb sur tout ce qui a été réalisé par l'armée française en Algérie, mais aussi le rôle et les actions de l'Organisation de l'armée secrète (OAS). Le début de la période dite postcoloniale s'est traduite également par toute une série d'assassinats de leaders indépendantistes. Nous pensons à Félix Moumié, grande figure de l'indépendance du Cameroun français, assassiné en 1960 à Genève, mais aussi à l'opposant marocain Mehdi Ben Barka, enlevé en plein Paris et tué en région parisienne en 1965. Ou à l'affaire Maurice Audin, qui n'est toujours pas réglée. Sa veuve est morte en 2019 sans savoir où se trouve le corps de son époux et sans avoir pu lui donner une sépulture. Cette politique plus néocoloniale que postcoloniale a aussi perduré sous d'autres formes, comme ce que l'on a appelé la « Françafrique » : un système d'interdépendances que la France a construit vis-à-vis de ses anciennes colonies d'Afrique subsaharienne dans le but d'y maintenir son pré carré. Hormis la guerre d'Algérie, l'histoire des guerres et des massacres coloniaux (Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie en 1945, Haïphong au Vietnam en 1946...) est très peu connue, tout comme l'enrôlement de peuples colonisés dans l'armée française. En général, une nation a toujours plus de mal à parler des guerres ou des massacres qu'elle a commis que des choses bénéfiques qu'elle a apportées. Lors de la libération de Paris, le récit officiel est que la France continentale se libère par elle-même ; on en a exclu, de facto, tous les Français non blancs et/ou non chrétiens. Tout cela a conduit, d'une part, à un « blanchiment » de l'armée française et, d'autre part, au déni des crimes coloniaux commis par cette institution. En dehors des silences pesants de l'Etat et de ses institutions, l'un des obstacles majeurs pour raconter ces événements est aussi l'accès aux archives. Concernant la guerre d'Algérie, mais aussi le génocide rwandais, il y a toujours des demandes, notamment issues de la communauté historienne, pour qu'un certain nombre de documents classés secret-défense soient rendus publics. Empêcher ou restreindre l'accès aux archives, c'est une autre façon d'être dans le déni. Pour d'autres endroits, comme le Cameroun, les sources ont été très majoritairement détruites, ce qui rend cette écriture encore plus compliquée et le rôle des témoins encore plus important qu'ailleurs. Dans le fond, l'Etat français a toujours du mal à sortir de la glorification de son « œuvre coloniale », et c'est encore l'état d'esprit de certains candidats à la future présidentielle. Cette loi demandait aux historiens et enseignants de privilégier les « aspects positifs de la colonisation, en particulier en Afrique du Nord », c'est-à-dire l'Algérie, qui a été la seule colonie de peuplement de tout l'empire depuis 1848 ! Il fallait dire que l'Algérie n'était pas une colonie, mais bien la France, et qu'elle avait bénéficié d'un réel « apport civilisationnel ». Je crois que ce déni s'explique parce qu'il questionne les valeurs fondatrices de la France et de ses difficultés à les appliquer. La Révolution française a inscrit dans le marbre que « tous les hommes naissent libres et égaux en droits », alors comment la France a-t-elle pu donner naissance à la colonisation ? Comment peut-on être républicain et colonialiste ? Comment peut-on expliquer le racisme systémique hier et aujourd'hui que de futurs présidentiables utilisent encore dans leurs discours? La France d'aujourd'hui est très différente de celle de 1789, 1848, 1962... Elle est le produit d'une recomposition démographique composite où les immigrations postcoloniales ont une place importante et essentielle dans l'économie française. Ce qui semblait très important à raconter aux Français d'hier l'est peut-être moins - ou doit l'être différemment - pour ceux d'aujourd'hui. Mais ce qui est certain, c'est que l'histoire a toujours été écrite par les dominants, et que les colonisés en ont été le plus souvent exclus.