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Le «moins-disant» et la mauvaise remise y sont pour beaucoup: Une voirie urbaine à grande vitesse d'usure et courte durée de vie
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 28 - 02 - 2022

  Faute d'une prise en charge par les concessionnaires de réseaux et leurs sous-traitants respectifs, de la remise en état de la voirie endommagée, c'est l'Etat lui-même qui s'en occupe, pour ne pas dire qui «paie les pots cassés». Or, le maillon d'entretien routier demeure toujours le maillon faible de la chaîne.
Commençons par le commencement: la règle-principe du moins-disant dans les marchés publics, ou ce qui est notoirement connu sous l'appellation: le cassage des prix. Cela ne concerne pas bien évidemment uniquement le secteur du BTPH et plus en particulier le segment des infrastructures routières mais c'est là où les conséquences sont peut-être les plus intensément ressenties. On peut citer quelques inconvénients du choix du moins-disant comme règle de priorité lors des soumissions. Beaucoup d'entreprises produisent en effet un prix et non une offre. C'est-à-dire qu'elles chiffrent le minimum (fourniture+main-d'œuvre d'exécution). Toutes les prestations annexes n'étant pas chiffrées, peu d'entre elles étaient mises en œuvre...
Les maîtres d'ouvrage se retrouvent avec des prestations à la limite de l'acceptable (parfois même bien en deçà) et avec un rapport de confiance avec l'entreprise contractante de bien piètre qualité. D'autres candidats, pour rivaliser, cherchent par tous moyens à réduire leur coût de fonctionnement. Où chercher l'économie ? En achetant des matériaux moins chers, en employant de la main-d'œuvre moins chère... Tout cela rognant sur la qualité des prestations.
Les maîtres d'ouvrage en font les frais, notamment dans la route et le bâtiment, avec de très nombreuses malfaçons engendrées par une méconnaissance notoire des règles de l'art. Avec des prix élevés de matériaux de construction et une main-d'œuvre moins chère mais difficile à trouver de nombreuses entreprises se tournent vers la qualité de 3ème choix et le rafistolage pour casser les prix et, à l'arrivée, s'adjuger le marché. Les marchés publics, souvent perçus comme la bête noire des petites entreprises, sont alors taxés de «jeu pipé», dont les acheteurs connaissent le résultat d'avance (ceux-ci étant largement soupçonnés de favoriser certaines entreprises en communiquant des informations, notamment les prix planchers).
LE MOINS-DISANT OU LE CASSAGE DE PRIX QUI FAIT DES DEGATS
Ailleurs, on a bien compris la leçon: des réformes ont été opérées sur le code des marchés publics, de sorte que le moins-disant n'est plus systématiquement retenu. Deux leviers ont été concédés aux opérateurs publics pour leur permettre de gagner en qualité. Ils peuvent désormais écarter les offres anormalement hautes et anormalement basses. Une offre anormalement haute est écartée d'office. Problème dans l'évaluation de la charge de travail, prix non compétitif sur les fournitures. Plusieurs raisons peuvent en être à l'origine, mais en tout état de cause, le maître d'ouvrage ne perd pas de temps avec une offre anormalement haute. Une offre anormalement basse, cependant, sera particulièrement scrutée.
Dans ces pays, s'il est vrai qu'autrefois les maîtres d'ouvrage étaient tenus d'attribuer le marché au moins-disant (celui qui propose l'offre financière la plus basse), ce n'est plus le cas aujourd'hui ! Le code des marchés publics a évolué et deux notions majeures ont fait leur apparition: l'écartement des offres inacceptables: anormalement hautes ou anormalement basses, et la pondération des critères de prix et de valeur technique. En clair: maintenant, celui qui l'emporte est le mieux-disant. Mais chez-nous, en Algérie, c'est la règle du moins-disant qui est toujours de mise et le maître d'ouvrage public doit toujours systématiquement attribuer le marché à l'entreprise qui propose le meilleur prix. Pour emporter le marché, il suffit alors de tirer les prix au plus bas et d'attendre.
LE MAL NECESSAIRE
L'argument «c'est un mal nécessaire», en vogue depuis l'ère Tahar Sekrane, ex-wali d'Oran, par lequel l'on rétorquait à chaque constat de dégradation de la voirie urbaine par tel chantier, a perdu de sa force de pertinence, par abus d'usage sans doute. Ce prétexte tout fait ne tient plus la route aujourd'hui. «Ce n'est pas l'exécution de travaux sur et sous le sol, avec son lot inévitable et irréductible d'actes d'intervention sur la voirie et de désagréments pour la ville et les citoyens, qui est blâmable, mais précisément la non-remise en état du domaine public endommagé, en fin de chantier. Personne ne peut être contre une opération d'utilité publique, telle la rénovation d'un réseau AEP, la mise en place de la fibre optique, le déplacement d'une ligne de gaz ou d'électricité pour les besoins d'un projet structurant. Mais, en revanche, il est intolérable qu'on prenne ses cliques et ses claques en laissant les tripes de la voirie en l'air», dénonce ce technicien de génie civil, qui remarque que le vrai-faux argumentaire du «mal utile» est devenu un leitmotiv dans le milieu entrepreneurial-et institutionnel même parfois- pour faire taire toute voix s'insurgeant contre les dégâts de voirie occasionnés par des travaux très approximatifs et peu regardants sur l'impact urbain.
Un chiffre, à lui seul, donne une idée sur le taux très faible, à Oran, de l'observation des dispositions de la remise en état : rien qu'en 2019-2020, un total linéaire de 78 km de voirie a été laissée telle quelle après des travaux entrepris par les différents concessionnaires de réseaux. Les artères entrant en ligne de compte dans ce bilan noir sont nombreuses, et on peut en citer, à titre d'exemple, la route de Ras El-Aïn ayant fait l'objet de travaux d'assainissement (réseau pour la partie basse d'Oran), l'avenue Sidi Chahmi, axe longitudinal et ruelles transversales comprises, à l'occasion de la réfection du réseau d'adduction d'eau potable, la route du port entre l'ancienne usine «Bastos» et l'entrée principale du port à la faveur des travaux de réseaux Sonelgaz. «C'est bien qu'on rénove et remette à niveau le réseau d'alimentation en eau. C'est à saluer ! Mais encore faut-il rétablir la voirie, et dans les délais, sinon on aurait réglé un problème pour en créer un autre», regrette le gérant d'une entreprise de services, pignon sur avenue Sidi Chahmi.
L'EQUIVALENT DE LA DISTANCE ORAN-MOSTAGANEM NON REMISE EN ETAT
Faute, donc, d'une prise en charge par les concessionnaires de réseaux, et leurs sous-traitants respectifs, de la remise en état de la voirie endommagée, c'est l'Etat lui-même qui s'en occupe, pour ne pas dire qui «paie les pots cassés». Y aura-t-il en fin de circuit une facturation du coût de l'opération au nom de l'opérateur contrevenant ? C'est très souvent l'une ou l'autre commune du grand groupement urbain d'Oran (Oran, Bir El-Djir, Es-Sénia) et la direction des travaux publics (DTP) qui prennent en charge conjointement un programme via un montage financier APC-DTP-Fonds de wilaya, qui consiste en la réfection de la voirie endommagée. «Inscrivez les nids-de-poule et les tranchées sur votre tableau de bord. Je veux une prise en charge substantielle de l'entretien de la voirie», avait instruit Abdelghani Zâalane les neuf chefs de daïra. C'est a priori l'éternelle problématique de la non-remise en état de la voirie par les concessionnaires de réseaux, à l'encontre desquels on avait beau brandir la menace de l'action en justice, visant les contrevenants en tant que personnes physiques, concernant les dispositions réglementaires et légales relatives à l'intervention sur la voirie (Ndlr: le décret exécutif N°04-392 du 1er décembre 2004, relatif à la permission de voirie), notamment celles ayant trait à la remise en état de la voirie, mais cela n'aura servi presque à rien semble-t-il.
Plusieurs années après, il semble a priori que les opérateurs Sonelgaz, Seor et Algérie Télécom n'ont pas appris la leçon au regard des cas de «récidive» qui se comptent par centaines à travers le réseau routier communal, départemental et même national. On aura beau injecter de l'argent dans le développement et la mise à jour du circuit routier local, cela reste non suffisant, voire même inutile, si le maillon entretien ne suit pas. La maintenance routière n'est pas du consommable mais un mécanisme en soi.
L'ENTRETIEN: LE MAILLON FAIBLE
Par tranches successives, au gré des programmes budgétisés, le réseau routier urbain fait l'objet d'opérations de réhabilitation. Avec un plan de charge bien consistent en la matière, comprenant les chemins de wilaya (CW) et les routes nationales (RN), rocades et périphériques compris, la DTP intervient de plus en plus dans le réseau de voirie communale. Son action est concentrée cependant sur les grandes artères, mais par effet de connectivité, elle a tendance à s'étendre à l'intérieur des quartiers des différents arrondissements de la ville.
C'est le cas du dernier programme en date, achevé à 100%, où il était question lors de la première tranche, de la restauration et la mise à niveau d'un linéaire de près de 10 km desservant de grands boulevards, à l'instar des avenues de Chakib Arselane et des frères Niati. Concernant la seconde tranche, les travaux portent sur le traitement de l'ensemble des crevasses et des nids-de-poule à travers les 12 secteurs urbains. Pour ce qui est des travaux de la troisième tranche, ils cibleront des axes principaux au niveau des arrondissements d'Ibn Sina, El Makari, El Badr, Bouamama, ainsi que des boulevards importants tels que celui de Général Féradeau, la cité de l'USTO et Es-Seddikia.
Dans le même registre, d'autres opérations de réhabilitation de quelque 25 kilomètres de voirie urbaine sont en voie d'achèvement. Ceci alors que 13 opérations inscrites sur fonds de wilaya au titre de l'exercice 2019, visant la mise à niveau du réseau routier local, ont été toutes achevées. Il était question, en somme, de la mise à niveau d'une partie du réseau, l'installation de dispositifs de sécurité et des aménagements. «Ce sont bien évidemment des mannes financières supplémentaires insuffisantes mais précieuses quand même pour l'achèvement des projets de mise à niveau, de requalification et de réhabilitation du réseau routier CW et CC de la wilaya. Cependant, à quoi sert la réalisation d'une infrastructure routière, quel qu'en soit le gabarit, si celle-ci n'est pas régulièrement entretenue par la suite. Une route neuve aujourd'hui, c'est une route vieille demain. La route vieillit plus vite qu'on ne le pense. Sa durée de vie et sa rentabilité dépendent du degré de soin qu'on lui accorde», estime un membre de la commission de la circulation et du transport de l'APW d'Oran.
DES USIR DEPASSEES PAR L'AMPLEUR DU PLAN DE CHARGE
Au vu de l'état physique du réseau routier local, notamment les chemins intercommunaux, le moins qu'on puisse dire, c'est que l'impact du dispositif USIR est limité. D'aucuns estiment en fait que le plan de charge dépasse, et de loin, les moyens d'intervention effectifs mis à l'œuvre. Et quand on y ajoute le manque, voire l'absence, de coordination intersectorielle, notamment « collectivités locales-secteurs intervenants », le résultat ne peut être que pire. Il est à préciser que les 912 millions de DA prélevés du BP 2019 (d'un montant global de 5,77 milliards de DA) pour le chapitre « routes de wilaya », consiste en 13 opérations. Ainsi, une enveloppe de 30 millions de DA a été consacrée à l'acquisition de panneaux de signalisation, une enveloppe de 40 millions de DA pour l'étude et la réalisation de passerelles sur le CW-75, une enveloppe de 200 millions de DA pour les travaux de revêtement et d'aménagement des routes du groupement urbain d'Oran. Un montant de 200 millions de DA a été par ailleurs réservé à la réalisation d'une brise-lames à Aïn El-Turck, un montant de 60 millions de DA pour le parachèvement des travaux sur la route menant à l'aéroport Ahmed Ben Bella, un montant de 10 millions de DA pour la mise en place de barrières en béton à travers le groupement d'Oran, un montant équivalent pour le renforcement de l'éclairage, un montant de 60 millions de DA pour l'aménagement d'espaces verts à travers le réseau routier desservant le groupement d'Oran, un montant de 100 millions de DA pour l'éclairage architectural au niveau des ouvrages d'art. En raison de son caractère prioritaire, voire urgent dans une certaine mesure, le projet de mise à niveau de 10 axes névralgiques du réseau routier urbain de la ville d'Oran aurait dû être privilégié dans les budgétisations locales APW et APC et faire le cas échéant l'objet d'appel de fonds de soutien de l'Etat.
PROJETS DE VOIRIE ET PLAN DE CIRCULATION: DEUX LIGNES PARALLÈLES
Rien de cela. L'amenuisement des ressources financières et la rationalisation budgétaire voire l'austérité que cela a dû imposer en ces temps de vaches maigres que traverse l'économie nationale à forte dépendance gazo-pétrolière peut-elle à elle seule expliquer la non-concrétisation jusqu'ici de ce projet si important sur le plan aménagement urbain et mobilité intramuros déjà vieux de plus de 5 ans ? La réponse est bien entendu : non. Et ce, au vu des opérations beaucoup moins importantes, dont certaines sont même superflues et fantaisistes, tous registres confondus, qui ont été inscrites dans l'intervalle et pour lesquelles des enveloppes consistantes ont été débloquées. Or, rien n'empêchait la matérialisation du projet de réadaptation de 10 artères principales de la ville par étapes successives, en procédant par un montage financier élément par élément avec un planning étalé sur le moyen terme, ou même le long terme à défaut. On n'en est pas là.
Un plan de circulation complètement désuet, puisque adopté par l'APW à la mi-mai 2015 mais qui n'est pas appliqué à ce jour, en dépit du fait que sur les trois horizons qui y ont été envisagés, à savoir : à court terme (1 an), à moyen terme (5 ans) et à long terme (9 ans), c'était le premier scénario qui a été officiellement retenu. « Ne voir la problématique de la congestion que sous l'angle des projets routiers structurants, à l'image du 5ème périphérique, la pénétrante du port, et le changement de feux rouges et panneaux de signalisation, cela tient d'une approche simpliste.
Il faut aussi mettre à niveau le réseau routier intramuros. Résorber les points noirs en ville, c'est une priorité ». Ce disant, ce responsable n'a fait que rappeler un principe fondamental de l'apaisement de la circulation urbaine. Créer un réseau interconnecté de périphs et de boucles de contournement tout en désencombrant en même temps le noyau (le centre-ville), cela va de soi. C'est une question de bon sens, avant tout. Pourtant, à Oran, la prise de conscience par rapport à ce fondamental est bien récente.


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