Le code de l'indigénat est un système de gouvernance spécial appliqué seulement aux habitants autochtones soumis à la domination coloniale. Décrété en Algérie en 1836 par le maréchal Thomas Robert Bugeaud, ce régime pénal administratif ne sera mis en œuvre qu'à partir de 1881, c'est-à-dire après l'écrasement de toutes formes de résistances populaires et la pacification des territoires occupés par les Français. Ce régime juridique d'exception sera ensuite généralisé dans toutes les colonies françaises. Le terme « indigène » est en lui-même une désignation péjorative raciste qui catégorise les habitants locaux dans un cadre d'incivisme primaire, pas encore modelé par la civilisation moderne du colonisateur. Le mot sous-entend une espèce de personnes différentes qui ont conservé les traits de leur nature primitive et les marques sauvages de leurs attitudes anciennes. L'indigénat est une création coloniale. La république a encouragé l'œuvre de la conquête de la colonisation qui avait pour mission de civiliser les populations locales inférieures. Le système républicain se nourrit de réformes intellectuelles et morales nécessaires à l'assimilation des autochtones dans la dynamique du monde moderne. Quatre types distinguent l'ensemble des habitants indigènes, la différence entre ces autochtones se mesure à leur niveau d'insertion dans le système socioculturel européen. « Les indigènes citoyens français » désignent une partie des habitants locaux naturalisée française comme la communauté indigène israélite d'Algérie. « Les indigènes sujets français » sont des autochtones qui bénéficient de la nationalité française sans pour autant jouir des droits de la citoyenneté proprement dite. « Les indigènes protégés français » sont les habitants de pays sous protectorat colonial comme la Tunisie ou le Maroc. « Les indigènes administrés français » sont des indigènes qui vivent dans des provinces de pays administrés par la France comme c'est le cas de la Syrie ou du Liban. L'indigénat est une législation punitive qui englobe une série de 33 infractions, sous forme d'articles, destinées à cadrer les activités sociales des populations indigènes en les cloisonnant avec un ensemble d'interdits visant à réduire la marge de leur liberté et à éviter d'éventuels soulèvements, probables chez cette catégorie de sujets déshérités. Il fallait bien imposer un pouvoir de contrôle strict sur les populations du pays afin d'assurer la sécurité et la paix en Algérie. L'objectif de cette stratégie juridique est de cerner la population locale, considérée comme un ensemble anarchique de tribus sans Etat, pour mieux l'assujettir et la soumettre aux exigences du programme colonial. La détention des terres de manière légale est aussi un but qui figure entre les lignes de ce programme administratif. Parmi les infractions destinées spécialement aux sujets indigènes, on compte des dépassements jugés passibles de sanctions judiciaires des délits parfois dérisoires : défaut de permis de circuler, refus de la corvée, non-respect à la magistrature, contentieux d'impôts impayés, mauvais usage de l'espace forestier et d'autres maladresses dont les châtiments varient, selon les cas, de l'amende à l'emprisonnement, du bannissement des lieux aux travaux supplémentaires ou forcés, de la réquisition d'animaux au séquestre des terres. A titre d'exemple, « le permis de voyage » imposé par les gouverneurs oblige tout indigène - arabe, kabyle et autres compris- de se munir de ce document lorsqu'il quitte son village pour se rendre à un autre. Sans cela, le coupable est sanctionné par une amende, voire par l'emprisonnement. Cette mesure odieuse est une atteinte à la liberté individuelle. Une formalité vexatoire qui dérange les intérêts personnels et entrave à la régularité des échanges commerciaux. Discuté et adopté par la Chambre des parlementaires le 18 juin 1881, le projet de loi de l'indigénat confère des pouvoirs disciplinaires aux administrateurs des communes mixtes, alors que ces prérogatives juridiques relevaient jusque-là des fonctions de l'autorité militaire et des magistrats de la justice. Cette loi qui donne le plein pouvoir juridique aux fonctionnaires administratifs sera votée et officiellement promulguée le 29 juin de la même année. Elle instaure la différence dans l'exercice des droits et des devoirs entre les Européens et les habitants originaux. Malgré leur suprématie massive en nombre, les Algériens d'origine seront relégués au statut inférieur de sujets administrés et non de citoyens à part entière, tel que stipulé par les règles fondamentales de la république. Il faut aussi noter que ce projet conçu de lois arbitraires a beaucoup été critiqué par l'opinion publique. Il n'a été approuvé que lorsque les initiateurs ont insisté sur son caractère provisoire. Le code de l'indigénat devait durer sept ans pendant lesquels les autochtones seront calmés, puis arrachés à leur mode de vie archaïque avant d'être civilisés selon la culture occidentale. En d'autres termes, les Algériens devront être domestiqués, éduqués et civilisés avant de prétendre à la citoyenneté française. Le programme de l'assimilation identitaire du caractère « Français d'Algérie » touchera d'abord aux Français eux-mêmes, aux colons des différentes nationalités européennes et à la classe des Algériens francisés, appelés «les évolués». Les législateurs de ces textes de lois, marqués d'inégalités des droits et de partialité envers les gouvernés colonisés, décrivent leur démarche comme un outil juridique nécessaire à l'instauration de l'ordre public et social. De ce fait, la politique coloniale a elle-même reconnu cet ordre comme une application expérimentale d'exception, ce qui rend cette disposition répugnante par rapport à l'étique de la gouvernance juste, loyale, et contradictoire vis-à-vis des vertus civilisatrices longtemps affichées dans les slogans des colonisateurs. Ce régime discriminatoire est similaire au système de l'apartheid exercé sur la population de couleur en Afrique du Sud. Il vient conforter les lois du sénatus-consulte de 1863 qui prévoyaient, entre autres, la naturalisation des indigènes musulmans et juifs et la normalisation administrative des étrangers vivant en Algérie. Le décret Crémieux de 1870 met en question le code de l'indigénat en accordant d'office le statut de la citoyenneté française aux autochtones de confession juive, ainsi qu'aux colons européens résidant en Algérie depuis trois ans. Ce dernier décret isole la population musulmane d'Algérie dans une identification péjorative inférieure. Le code de l'indigénat viendra après pour s'abattre sur les autochtones en les enfonçant dans la précarité sociale par la privation des droits les plus élémentaires. Suite à ces mutations administratives identitaires, considérées comme une dissociation de la composante du peuple, le paysage démographique en Algérie sera divisé en deux populations distinctes : celle des Français d'Algérie regroupe la minorité des habitants d'origine européenne et celle des Français musulmans désigne la majorité des gouvernés locaux. Les autorités coloniales favorisent et encouragent l'influence des Européens en Algérie dans le but de renforcer la communauté européenne et d'occidentaliser progressivement la société autochtone. Le choix des candidats européens n'était pas sélectif, pourvu que ces migrants aient la peau blanche et sachent parler une langue latine. Des facilités attractives et des offres alléchantes leur sont accordées afin de séduire les Européens et de les inciter à s'installer en Algérie. Ces colons civils seront l'avant-garde de l'institution coloniale, leur rôle est déterminant dans le fonctionnement des secteurs économiques et sociaux. En parallèle, nombreux indigènes, affectés par les mesures restrictives de l'indigénat, ont choisi de migrer vers l'Europe à la recherche d'un emploi et d'une supposée stabilité économique. Ces migrants algériens vont participer à l'édification des grands projets en métropole dans un mode de travail qui ressemble à la traite esclavagiste. Le code de l'indigénat ne connaît pas de frontières, ces exilés algériens sont partiellement traités par le même régime discriminatoire. Les ordonnances stipulées dans ses textes de loi les poursuivent comme des signes identitaires qui les distinguent des citoyens du type occidental. Partout où ils iront, ils seront toujours observés comme des indigènes. Même s'ils sont francisés de culture ou convertis à la religion chrétienne, les Algériens, où qu'ils soient, seront toujours regardés comme des sujets de rang inférieur. Nombreux politiciens, intellectuels et défenseurs des droits de l'homme ont dénoncé les méthodes de gestion féodales de l'indigénat. Ils reprochent à la France son comportement monstrueux avec ses sujets colonisés. Ils appellent, en vain, à la suppression de ce système honteux, arrogant et sans scrupule ni pitié, qui crispe le sentiment noble de la justice et de la liberté et froisse la dignité d'un peuple opprimé sur son territoire. Des pétitions qui pointent du doigt les abus du pouvoir en place sont signées par des collectivités de la communauté autochtone pour réclamer l'abrogation de ce traitement sélectif inéquitable à leur égard, ou du moins l'allègement des dispositions drastiques de cette constitution. Mais les réclamations répétées des autochtones et leurs agissements revendicatifs sont perçus comme des actes de récidive, condamnables donc pour l'infraction de désobéissance à l'autorité, d'offense aux fonctionnaires de l'Etat ou de troubles de l'ordre public, comme il est mentionné dans les articles de ce régime pénal oppressif. Conséquemment, deux classes sociales se sont constituées dans la même société algérienne suite à l'application effective du code de l'indigénat. L'Algérie est alors un pays régi par deux législations juridiques, le code du droit commun civil officiel et celui de l'indigénat. Européens et Algériens étaient, au départ, différents par leurs critères identitaires dissemblables : origine, langue, culture, religion et couleur de la peau. Le fossé qui sépare les deux classes des habitants de l'Algérie a considérablement accru à cause des mesures discriminatoires du code de l'indigénat. L'écart qui départit les deux communautés adverses n'est pas segmenté par la différence des cultures et des modes sociaux seulement, il est aussi durci par la haine et le rejet des uns aux autres. Les Français d'Algérie bénéficient d'un cadre de vie moderne similaire à l'émancipation sociale concrétisée en métropole. Pour compenser la faiblesse de leur nombre par rapport aux habitants premiers, les citoyens de souche européenne s'appuient sur la force de la machine militaire et aussi sur le diktat de l'administration, laquelle impose des textes de lois hostiles pour faire crever le grand nombre des Français musulmans. Ainsi, après la barbarie militaire pour l'extermination de la résistance populaire et l'occupation territoriale totale du pays, vient alors l'oppression juridique et administrative qui a pour but le maintien des colonisateurs en place et l'aplatissement de la population locale. Le mouvement révolutionnaire résistant s'élime avec le temps. Son espace de survie s'efface, son énergie humaine et matérielle s'épuise et le colonialisme finit par prendre la forme d'un vécu naturel. Pauvres, dépossédés de leurs terres, dépouillés de leurs biens et démunis de leurs moyens de productivité, les indigènes n'ont, cependant, jamais courbé l'échine devant la cruauté des envahisseurs français. Leurs répits et leur silence périodiques n'ont guère été des signes d'acceptation et de soumission à la volonté coloniale. Ce sont des moments de trêves obligées pour minimiser les pertes, pour panser les plaies et pleurer les morts, en attendant que d'autres colères remontent et génèrent encore d'autres soulèvements. L'occupation des Français de l'Algérie est une véritable guerre de cent ans. La révolte amorcée dès le premier contact des colonisateurs avec le peuple algérien n'a jamais connu de fins définitives. A peine une émeute est étouffée ici, qu'une escarmouche éclate là-bas, puis d'autres insurrections se déclenchent un peu partout ailleurs. Le terrain de la révolution populaire était fertile de volonté, il n'en manquait qu'un directoire meneur et une organisation réfléchie pour purifier le pays de l'intrusion des envahisseurs étrangers. La relance du dialogue sur l'identité algérienne sous l'autorité coloniale s'est imposée comme un sujet essentiel qui définit les rapports entre colonisateurs et colonisés. Le sujet de la citoyenneté et de la nationalité ne peut pas avoir de conclusions justes sans prendre en compte la catégorie des indigènes. Bien que ces derniers soient Français, le régime qui régit leurs affaires leur enlève toutes les vertus du statut de citoyens. Le titre de la nationalité française accordé aux autochtones avec la mention de «musulman» n'est qu'une formalité administrative subjective. Le système discriminatoire légalisé du code de l'indigénat s'est avéré défaillant car il ne garantit pas la stabilité politique du régime colonial et n'offre aux autochtones qu'une possibilité de faire valoir leurs droits à la dignité, le soulèvement. Toutefois, une prise de conscience s'est fait graduellement ressentir chez les gouverneurs d'Algérie durant et après la Première Guerre mondiale. L'insertion des Algériens dans les accords sociaux français à travers leurs participations effectives dans l'effort de guerre et dans la construction du pays après l'armistice a été accompagnée par des réformes dans l'exercice du code de l'indigénat. Plusieurs infractions ont été éliminées de la liste des délits. Des permissions d'agir ont été allouées aux éléments indigènes avec l'émergence du mouvement nationaliste maghrébin pendant les années 1920. Nationalistes algériens, réformistes musulmans, assimilationnistes ou indépendantistes ont tous demandé la suppression sans conditions du code de l'indigénat, voire l'autonomie totale et la souveraineté du peuple algérien sans la France. L'enchaînement des revendications populaires a abouti à la révolution algérienne qui s'est déclenchée le 1er novembre 1954. Pendant ce temps d'éveil nationaliste, le code de l'indigénat a continué d'exister comme une loi qui régule le comportement des indigènes et contrôle leur évolution sociale, économique et même culturelle. La suppression de ce régime drastique ne s'est pas effectuée d'un coup, les Français avaient toujours besoin du support juridique de ce code pour garantir leur mainmise sur la population autochtone. Son démantèlement a commencé à être effectif après la Deuxième Guerre mondiale. En effet, les nouveaux gouverneurs français ont pris conscience de l'austérité du code de l'indigénat qui les met en face, non pas de sujets colonisés, mais d'une population d'ennemis potentiels. Pour réparer rapidement les torts coloniaux de ce système paralysant, une série d'améliorations s'est concrètement opérée dans un temps très court : - Suppression du statut pénal des Français musulmans d'Algérie le 7 mars 1944. - Suppression des sanctions judiciaires administratives le 22 décembre 1945. - Suppression des peines exceptionnelles de l'indigénat le 20 février 1946. - Accord de la qualité de citoyen à tous les indigènes d'Algérie le 7 mai 1946. - Imposition des principes d'égalité à l'accès aux emplois de la fonction publique le 20 septembre 1947. - Instauration de l'égalité juridique entre tous les citoyens en 1956. - Accord du droit de vote à tous les citoyens en 1958. Mais ces mesures d'allègement du comportement de l'administration coloniale avec les indigènes avaient pour objectif le rachat de l'estime des Algériens et, par la même, le maintien sur place de la gouvernance du pays par les Français. La distance entre les discours républicains des gouverneurs et la pratique des accords avec les gouvernés musulmans était très large. Il se trouve aussi que ces concessions sont venues très en retard car le mal fait n'avait pas de correction, autre que le divorce entre colonisateurs et colonisés. Finalement, le code de l'indigénat ne sera aboli totalement qu'avec la fin du colonialisme en 1962. Ce régime d'exception répressif a été appliqué pendant 80 ans en Algérie. Manipulé comme un jeu juridique, ce traitement était un outil de domination essentiel dans la mise en œuvre du projet colonial. Fondé sur le principe de la punition, ce code constitué d'un ensemble de sanctions insensées a beaucoup fragilisé la société algérienne. Il a, par contre, largement contribué à l'émancipation et à la prospérité de plusieurs générations de colons. Ce système de gouvernance discriminatoire aura amplifié l'écart entre les deux communautés. Il aura envenimé les rapports entre les musulmans et les Européens. L'indigénat a été un grand échec dans le temps, une grosse tâche de honte dans l'histoire de ceux qui l'ont pensé et appliqué.