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En période de conflit, de crise et de guerre: La communication, une équation à plusieurs inconnues
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 28 - 04 - 2022

Effectivement, comme le précise l'intitulé, c'est de communication et de crise dont je vais vous entretenir en posant la problématique en termes d'articulation. Il s'agit pour moi, de poser la question des crises et des conflits au centre de la réflexion sur la communication.
Dans une première partie, il me semble nécessaire des mettre en évidence quelques points de repères conceptuels et méthodologiques qui me semblent essentiels. Je commencerai donc par attirer votre attention sur la place de la communication et des médias dans le monde d'aujourd'hui et plus particulièrement, sur l'idéologie qu'ils véhiculent et inculquent sous le masque de la neutralité et de l'objectivité absolue. Dans une deuxième contribution, je m'interrogerai sur les mécanismes selon lesquels les individus perçoivent les informations, traitent et communiquent avec leur environnement, et sur le comment ces mécanismes peuvent être modélisés, répliqués ou simulés par les networks. Dans un troisième temps enfin, j'essaierai de reconceptualiser par rapport aux conflits, aux crises et aux guerres actuelles, la problématique de l'information. Mon propos est de faire réfléchir sur l'acte de médiation avant, pendant et après les périodes de crises.
Galvaudé, utilisé à tort et à travers, en tout lieu et à tout moment, le concept « communication », qui a longtemps fait partie du langage codé des technocrates, est en passe aujourd'hui, de devenir le sésame à même de résoudre tous les problèmes. On dit qu'elle favorise la cohésion et l'unité des groupes sociaux, et aide à résoudre les problèmes interpersonnels. On dit également qu'elle contribue à l'accomplissement des tâches collectives. On dit enfin qu'elle assure la promotion sociale et participe à la valorisation des individus. Qu'en est-il réellement ? Idéal inaccessible pour certains ou source d'inégalité et d'exclusion pour d'autres, la communication de par son omniprésence, sa pluralité sémantique et son influence grandissante, est devenue un fait social majeur. Tous s'y référent : sémiologues, sociologues, publicistes, psychothérapeutes, pédagogues, politiques... chacun apportant sa propre signification. Alors que le juriste s'interroge sur le mensonge et le secret (donc sur une situation de non communication), et que le psychologue et le philosophe recherchent l'existence d'un centre de conscience à chaque pôle du réseau, pour le publiciste, ce qui importe, c'est la finalité de l'interaction. Le linguiste, tout comme le sémiologue, est plutôt préoccupé par l'analyse des caractéristiques des messages, des codes et du langage du point de vue du sens. Enfin, ce qui intéresse l'informaticien et le documentariste, ce sont les conditions de conservation et de dissémination massive de l'information. Cette pluralité d'émetteurs et de récepteurs incite à une théorie générale de la communication. A l'instar donc de la théorie de l'information, une théorie des systèmes à même d'offrir un cadre qui permette de réunir tous les éléments en un système global de communication.
Commençons par définir le concept. Qu'est-ce que communiquer ? Quels sont les conditions à réunir pour qu'il y ait communication? Cette dernière est-elle automatique ? Quand peut-on dire qu'il y a incommunicabilité ? On peut, en adoptant le schéma canonique proposé par Lasswell (1948), affirmer que le vocable est unitaire: Qui ? ( E = émetteur et producteur d'un système de sens); dit quoi ? (M = message); a qui ? (R = récepteur, celui qui va faire émerger le système de sens); comment ? (C = canal, c'est à dire l'organisation matérielle); et avec quels effets ? (influence du message).
Si l'on en juge par le nombre croissant des publications qui lui sont consacrées et sur la place prépondérante qu'elle occupe dans les sociétés modernes, nous pouvons dire que la communication a pénétré les mœurs et les comportements. Si pour certains, elle est un fait social majeur, la pierre angulaire du développement et l'élément vital du dynamisme d'une société, pour d'autres, elle est plutôt modèle de culture et de pensée (c'est à dire vision des choses, des événements et des hommes dans leurs comportements individuel et collectif). Certes, grâce au développement des télécommunications et des machines à communiquer, on constate que l'on n'a jamais autant communiqué. Mais, paradoxalement, on constate aussi que l'on ne s'est jamais senti aussi loin les uns des autres. La plupart des prétendus dialogues s'avèrent trop souvent de simples monologues. Que ce soit dans le cadre des relations internationales ou à l'échelle d'une même société, le déficit est manifeste. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à dessiller les yeux sur notre quotidien et notre réalité sociale et politique.
Les dysfonctionnements relationnels et incommunicabilité
Les dysfonctionnements relationnels se manifestent à tous les niveaux : au sein de la cellule familiale (où l'adulte a trop tendance à imposer son point de vue), à l'école (où la soumission et l'obéissance sont de rigueur), à l'université (où esprit critique et débats contradictoires sont peu tolérés), et partout ailleurs dans l'entreprise, dans le monde politique... Ce déficit n'est cependant pas spécifique à notre pays. Sous d'autres cieux et même au sein des sociétés dites de communication, les rapports humains sont trop souvent conflictuels, opaques et le tissu social distendu à l'extrême.
L'autre anachronisme à signaler, c'est la confusion maladroite et inconsciente qui persiste chez certains esprits entre les concepts de communication et d'information. Les deux termes sont très souvent assimilés l'un à l'autre. S'informer aujourd'hui, ce n'est pas seulement se tenir au courant, c'est aussi acquérir le droit de participer à la vie sociétale, c'est essayer de comprendre son environnement, c'est savoir dépister l'information, savoir la traiter, la stocker et l'ordonner pour mieux la réutiliser. Aux côtés de l'information de presse, des périodiques, de la télé, de la radio et du cinéma, sont venus se greffer les NTIC et les réseaux sociaux. Il ne faut pas oublier l'information scientifique et technique, l'information économique, juridique et sociale. Lorsque deux personnes se parlent, s'écoutent ou créent, lorsque des réformes économiques et des nouveaux mécanismes de gestion ou de régulation s'imposent à nous, lorsque nous voulons mettre en place des banques de données, nous sommes obligés de faire de la recherche d'information. La communication par contre est l'écoute, l'échange, le partage de cette information. Ni processus unique, ni phénomène passager, elle est un mécanisme qu'il importe de démonter pour en comprendre le sens, et une science qui fait appel à des méthodes et à des techniques spécifiques.
La notion de conflit est omniprésente dans toute organisation humaine. L'opposition, les antagonismes sont intrinsèques à la nature des individus. Ils sont partie intégrante de la vie et de l'action collective. L'absence totale de frictions est impossible. Dans la vie quotidienne, nous sommes tous, bien qu'à des degrés divers, confrontés à des situations conflictuelles. De l'antagonisme larvé, fondé sur des ressentiments, aux affrontements verbaux directs et à la violence déclarée, le pas est vite franchi. Chaque individu a une personnalité propre et une vision personnelle des événements et des choses. De la secrétaire avec son chef de service, aux litiges plus grands entre employés et même entre responsables, les conflits polluent le bon fonctionnement de l'organisation à tous les niveaux. Le conflit peut être cependant, tout à la fois expression d'un déséquilibre et facteur d'intégration et de progrès social comme c'est souvent le cas en entreprise. En remettant en cause l'ordre établi, il peut devenir force créatrice à condition d'être canalisé à temps et correctement. Là où le bât blesse, c'est lorsqu'on rien n'est fait pour le juguler, lorsque l'action salutaire d'apaisement est retardée ou lorsqu'on le laisse s'installer, avec en perspective, le pourrissement. Or, comme tout un chacun le sait, un problème ne se règle jamais seul et un conflit étouffé n'est en rien un conflit achevé. Les désaccords demeureront insolubles. D'où la nécessité d'une stratégie cohérente, réaliste et hiérarchisée de gestion préventive des conflits. Celle-ci ne peut faire abstraction du dialogue social, de la communication et de l'information, qui sont autant de moyens permettant de limiter et même parfois d'éviter les conflits.
Ceci dit, la question qui nous préoccupe est celle de savoir si, en période de conflit, de crise et de guerre, les médias parviennent à remplir leur rôle d'informateur. Ce que l'on sait déjà — les études l'ayant largement confirmé — c'est qu'en situation de crise, les gens s'intéressent plus aux informations, lisent plus les journaux, écoutent davantage la radio et regardent de manière plus assidue le petit écran. Ce que l'on constate également, c'est le pessimisme structurel de l'appareil médiatique et son engouement pour la spectacularisation de l'actualité. Ecrite, radiophonique ou télévisuelle, l'information semble avoir un penchant particulier pour les violences, les désastres, le catastrophisme et les guerres. On a par moment l'impression que les médias se nourrissent des mauvaises nouvelles et des tragédies de la planète. Comme subjugués par les crises et les drames, les médiateurs adorent mettre en exergue l'événementiel, au besoin en le dramatisant à l'extrême.
Les faits et phénomènes les plus importants étant rarement les plus spectaculaires, les journalistes n'éprouvent aucun scrupule à privilégier l'accessoire au détriment de l'essentiel. Ils trient, sélectionnent, hiérarchisent et établissent l'ordre du jour de la planète avec au menu, des accidents effroyables, des épidémies horribles, des tremblements de terre et des inondations terribles et des guerres médiatisées à l'extrême. Dés que les calamités diminuent d'intensité, la couverture médiatique s'estompe. La surmédiatisation laisse alors la place au silence et à l'oubli. Les gens ont alors l'impression que les problèmes posés ont été résolus en tout ou en partie.
Information en temps de paix et information en temps de guerre
La guerre de l'information n'est plus un secret pour personne. Elle a ses stratèges, ses guerriers et ses réseaux. Elle a pénétré le politique, l'économique et le social. Chaque jour, sous couvert d'information et d'objectivité, on dramatise à l'excès, on minimise des événements graves, on occulte des faits. Que pouvons nous faire face à la désinformation, à la manipulation et à tous ces instruments dits d'information qui tels des gaz chimiques, anesthésient, troublent et perturbent les opinions publiques inquiètes ? L'événement se fabrique. Le mensonge est élevé au rang de vérités. Des faits, pourtant remarquables de clarté sont obscurcit. Les dérives médiatiques sont devenues choses banales. Lors des derniers drames qui ont secoué la planète on a même constaté que les médias sont partie intégrante aux crises.
Y-a-t-il eu modification dans les comportements depuis les glissements scandaleux enregistrés durant les dernières guerres ? On aurait pu croire que les médias occidentaux et outre atlantique, mis au banc des accusés, allaient modifier certaines de leurs routines. Mais la médiatisation outrancière des drames palestinien, irakien et syrien confirme la persistance de l'ignominie. Depuis le 11 septembre, toutes les chaînes américaines jadis, jalouses de leur indépendance — se sont mises sous la coupe directe ou indirecte du pentagone. Les tout puissants networks, qui s'évertuaient à doser et orchestrer l'information selon le bon vouloir des politiques, ont fini par oublier leur rôle d'informateur. Le sentiment de malaise que nous éprouvons à l'égard de la société de l'information chaotique qui s'instaure ne semble guère prêt à s'effacer. Qui faut-il incriminer ? Les médias ? Les journalistes ? Les détenteurs des moyens d'information ? Le parti-pris, le choix délibéré pour telle ou telle attitude, la préférence pour tel ou tel camp, l'overdose et la redondance des mauvaises nouvelles sont-ils intrinsèques au métier lui-même ? Comment expliquer cette délectation inconsciente chez certains journalistes à ne dire et à ne montrer que les malheurs du monde ? Comment se déclarer ardent défenseur de la liberté et la couvrir d'immondices en entraînant les gens dans le désordre des passions ? Comment oser prendre position dans des conflits complexes et passer, du jour au lendemain du stade d'observateurs de l'actualité à celui d'acteurs des événements ? La réponse à toutes ces questions lancinantes n'est guère évidente tant les règles du jeu médiatique sont complexes et périlleuses.
Loin de calmer le jeu, nous constatons que d'une crise à l'autre, les médias s'animent et acquièrent une place de plus en plus privilégiée. L'incessant matraquage médiatique auquel nous sommes tous soumis, bien qu'à des degrés divers, rend difficile le libre exercice d'une raison exigeante. Ce n'est qu'au lendemain des drames que les observateurs de la scène politique et sociale arrivent à évaluer les manipulations dont ils ont été victimes. Ce n'est qu'à ce moment là qu'ils prennent la mesure des véritables enjeux.
Force est donc de constater que nous nous trouvons face à des interrogations de plus en plus dramatiques. Où finit l'information ? Où commencent l'intoxication et la propagande ? La frontière est difficile à tracer. Les conflits et les guerres ont imposé de nouvelles règles, de nouveaux codes déontologiques de l'objectivité. La présentation déséquilibrée des conflits révèle la partialité de la vision de chacun des acteurs politiques, militaires ou médiateurs à travers la subjectivité de leurs discours. En tant que relais aux stratégies d'influence, les médias occupent dans ce schéma, une position stratégique. Cette dernière, cependant, ne les met pas à l'abri des menaces constantes de rétention de l'information ou de manipulation. Considérant que la communication était un front, l'administration américaine a, bien avant le déclenchement des hostilités en Irak, joué de main de maître, le jeu de la transparence opaque, inondant les networks du monde, d'images et de sons soigneusement canalisés, triés et aseptisés, dosant parfaitement les communiqués de victoires et les confidences inquiètes. Tout comme en Afghanistan, l'ennemi, une fois désigné, est diabolisé à l'extrême. Commence alors un cérémonial médiatique sordide alliant avec minutie travail de sape idéologique et trustage du cerveau. L'opinion publique abusée, délivre alors le quitus nécessaire pour le déclenchement des opérations militaires.
Dans leur désir de séduction, les décideurs américains n'hésitent pas à jouer sur tous les registres, sur l'affectivité en puisant dans les grands sentiments ou des grandes valeurs du moment, tels la « suprématie de la civilisation occidentale », le culte du spiritualisme ou encore, la « croisade » contre les « forces du mal » et les « états voyous ». De telles formules à l'emporte pièce, à défaut de forger une image idylliquement désintéressée de la grande puissance, offrent, au contraire, une vision éthérée complètement irréaliste de l'Amérique. Mais, les citoyens du monde ne sont plus dupe. A force de compromissions, de renoncements, et de flagrants délits de mensonge, l'Amérique conquérante a terni son image de marque. Ces dernières années, les bavures médiatiques ont été nombreuses.
Du Viet-Nam à la guerre des Malouines, en passant par les faux charniers de Timisoara, et la rétention de l'information en Afghanistan, sans oublier la crise du Panama, les médias ont multiplié les erreurs. Les journalistes piégés et manipulés ont fini par se mettre sous contrôle militaire. D'une crise à l'autre, ils s'animent, s'intègrent au conflit et se retrouvent propulsés, acteurs à part entière des événements. Cela se traduit par un traitement partiel et partial de l'information sans aucun effort d'analyse, sans mise en contexte et sans commentaire critique. Nous avons vu comment, subjugués par le discours nationaliste de leur président qui les rappelait au sens patriotique, la plupart des magnats de la presse et des médias américains ont accepté l'ingérence de l'autorité militaire en se pliant au diktat de l'autocensure.
Mais, évitons de limiter la dénonciation à l'inconscience, voire à la mégalomanie des médias occidentaux. Ne masquons pas nos propres lacunes. Analysons nos erreurs de parcours. La désinformation, la manipulation et la rétention de l'information existent aussi chez nous.


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