De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ! (Danton) Le Président Tebboune vient d'appeler les walis à « se libérer de l'hésitation et à faire preuve d'esprit d'initiative et d'audace, d'autant que cette étape est celle des défis stratégiques de la sécurité énergétique, alimentaire et hydrique ». Saluant au passage leur contribution au « règlement des problèmes qui entravaient les entreprises pour des raisons bureaucratiques ou des vides législatifs », ce qui avait permis, en peu de temps, de créer entre 600 et 700 micros, petites, moyennes et grandes unités économiques, contribuant au développement local. Des décisions qui ont également permis, a-t-il dit, « la création de 52.000 emplois au moment où le monde fait face à une crise économique. « Les méthodes de gestion n'étant pas figées, les walis n'ont pas à attendre les instructions centrales », a ajouté le président de la République. Les walis sont-ils, présentement, en capacité de faire bouger les lignes ou sont-ils confrontés à des limites objectives qui rendent leur rôle bien aléatoire ? La première limite, a précisé quelqu'un, se trouve au niveau de la conception même de la fonction : leur action est noyée dans une multitude de tâches qui grèvent leurs capacités de réflexion et de planification. Des avaloirs bouchés aux ordures ménagères, en passant par la voierie, leur énergie se consume dans des missions censées être accomplies par les APC et les services spécialisés. À force de s'occuper de tout, le wali donne parfois l'impression de ne s'occuper de rien, comme il se doit. Le président de la République a été un des premiers à dénoncer les grandes vicissitudes qui contrarient l'articulation normale de la vie citoyenne et en même temps dénaturent la mission d'un wali. Ne pas recevoir d'explications sur le retard effarant dans la construction d'une école ou d'un hôpital et être obligé de se focaliser sur les avaloirs et les poubelles ne doit pas être le premier souci d'un représentant local attitré du gouvernement et n'est assurément pas indiqué pour créer des emplois ni pour insuffler une dynamique industrielle.* La seconde tient à l'interventionnisme étouffant des administrations centrales à travers un fatras de circulaires et de messages qui entravent leurs actions en compliquant les procédures. Prenons l'exemple de la capacité du wali à affecter des terrains pour l'investissement. Depuis l'été 2011, les wilayas ont attribué des dizaines de milliers d'hectares de terrains d'investissement. En cinq ans, peu de projets ont connu une avancée sur le terrain et un nombre insignifiant a été achevé et mis en exploitation. D'ailleurs, l'explication vient des walis eux-mêmes : complexité des procédures administratives dont les solutions dépendent des multiples intervenants aux niveaux central et local. En résumé, si le wali affecte les terrains, le reste des procédures lui échappe dans une large mesure. Le président de la République se devait de rassurer les walis pour qu'ils se démarquent de l'effarante indolence dont ils font preuve à prendre leurs responsabilités pour entériner par leurs signatures des affaires qui leur sont soumises. Quels sont leurs rapports avec l'autorité politique et comment leur fonction évolue-t-elle ? On imagine parfois leur carrière comme une vie reposante et douillette de haut fonctionnaire jouissant des ors de la République, dans un confortable ennui. On à tort, et ce, pour plusieurs raisons : D'abord, parce qu'ils sont en première ligne pour la mise en œuvre des politiques publiques de l'Etat au niveau local, notamment pour le maintien de l'ordre public ; dans ce domaine, toute faute peut entraîner une révocation immédiate par le pouvoir politique. Ensuite, parce que la pression politique sur eux s'est accentuée avec le temps, ils doivent composer avec une sphère politique locale dont les impératifs ne recoupent pas toujours parfaitement, avec ceux de l'administration dont le wali incarne l'autorité. Enfin, parce que le représentant de l'Etat épouse les évolutions de ce dernier, s'impose avec le temps une dimension plus managériale de son action, une obligation de résultats et de rendre des comptes à l'autorité politique, voire à la population, le tout avec des ressources de plus en plus limitées. Ceci étant dit, certains parmi les walis, parce qu'ils sont les premiers responsables au niveau local, n'ont pas réussi, jusqu'à présent, le développement économique espéré malgré la levée de tous les obstacles, notamment le foncier ! Est-ce à dire qu'ils doivent porter le chapeau, alors que les présidents d'APC, qui ont pourtant bénéficié d'une formation appropriée, de l'augmentation de leur salaire et de l'apport non négligeable de plus de 5.000 cadres entre ingénieurs et architectes, vont se tirer indemnes de ce désastre économique. Rappelons que le Premier ministre avait insisté lourdement lors de la dernière rencontre gouvernement-walis sur cet aspect; il avait parlé de la nécessité de l'établissement de « contrats de performance entre les maires et les walis ». Les uns et les autres sont, en principe, tenus de rendre compte, non seulement des taux de consommation des crédits, mais aussi et surtout de la valeur ajoutée en matière d'investissement, de postes créés en matière d'emploi, de ressources propres valorisées et de nombre de problèmes réglés. - Un défi pour des élus locaux habitués aux ordres du pouvoir central et, surtout, à dépenser sans compter ! Désormais, ils devront faire face, seuls, à toutes les dépenses budgétaires. Ils doivent trouver comment innover et gérer leur budget. Loin des subventions d'équilibre octroyées jusque-là très généreusement par les pouvoirs publics. Il faudrait pour cela, crise oblige, rogner sur les budgets, reporter des projets non prioritaires et surtout chercher de l'argent pour investir et créer de l'emploi localement. L'Etat, à l'évidence, n'est plus en mesure de supporter les charges des collectivités locales, comme cela a été le cas jusqu'à présent. Les pouvoirs publics n'ont pourtant pas économisé leurs efforts pour renforcer les financements propres des communes, en peine perdue, sommes-nous tentés de le dire, dès lors que ces dernières restent excessivement dépendantes du budget de l'Etat. Plus de la moitié d'entre elles, soit 62%, sont déficitaires, alors que les communes les plus riches ne représentent que 7% de l'ensemble des APC. Quant au reste, elles « vivotent » comme elles peuvent, et le service public s'en ressent bien sûr ! A cause de la baisse du taux de la taxe sur l'activité professionnelle (TAP), ce qui va impacter gravement leur trésorerie. En valeur absolue, c'est une perte de près de 80 milliards de dinars pour l'ensemble des communes ! Pour la précision, rappelons que 58% des recettes communales proviennent de la TAP, 35% de la TVA et que les autres impôts ne représentent que 4% de la fiscalité locale. Du côté du ministère de l'Intérieur, on parle de nouvelles mesures visant à faciliter le recouvrement des impôts, comme la taxe foncière, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères; on parle même d'engager des huissiers de justice ou de mettre en place des équipes spécialisées pour assurer ces recouvrements qui sont dus aux impôts. On parle aussi des négociations à venir avec le ministère des Finances pour voir dans quelle mesure on peut donner de nouvelles prérogatives en la matière aux élus, ou comment faire pour que des cimenteries et autres carrières d'agrégats implantées, par exemple, à Meftah ou à Tissemsilt puissent profiter aux communes où elles sont implantées Et pourtant, l'ancien ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Zerhouni, se plaisait à le rappeler. «La véritable réforme à faire dans les collectivités locales, disait-il, réside dans la réforme des finances et de la fiscalité locales». Dans le même contexte, Si Yazid estimait qu'«il ne servait à rien de confier à une commune trop d'attributions si elle ne disposait pas de ressources ou n'en n'était pas capable d'en mobiliser; des APC, a-t-il ajouté, disposent, pour certaines, de ressources patrimoniales très importantes, mais peu d'entre elles font l'effort de les récupérer ou de les valoriser». Un chiffre pour illustrer ce propos : le rendement des biens immobiliers des communes ne dépasse pas les 7% des ressources locales ! Pour l'heure, le budget de fonctionnement des communes explose, tout comme leur masse salariale. Cela a fait réagir, peu ou prou, le ministre de l'Intérieur d'alors qui a fait état de son ressentiment aux walis de l'ouest du pays qu'il avait regroupés sous son égide. Et les chiffres relevés dans la presse à l'occasion de ce regroupement font froid dans le dos : le taux de réalisation de PCD de ces wilayas n'a atteint que 5,3%. Au niveau national, il n'est que de 7,3% ! - Quid des codes de la commune et de la wilaya ? On croit savoir que cela touchera essentiellement, voire exclusivement, le domaine économique. Les élus auront dans ce sens une large manœuvre pour participer au développement local à travers notamment la création des zones d'activité et le lancement de projets créateurs d'emplois et de richesse. Sur le plan législatif, les maires n'auront plus à se plaindre de blocages administratifs. La libération des initiatives est évidente si on parle de la révision des textes régissant les collectivités locales, mais la décentralisation absolue du pouvoir de décision attendra encore ! Un élargissement des prérogatives des présidents d'APC, de sorte que la commune devienne le centre de décision au niveau local, et une dépénalisation « effective » de l'acte de gestion constituent, par ailleurs, les deux conditions essentielles pour relancer l'investissement, la croissance et le développement sur le plan local et national. En théorie, une libération de l'initiative locale contribuerait à l'amélioration du vécu des populations locales, mais il y a des conditions à remplir par les élus locaux, eux-mêmes, dont la compétence et l'intégrité notamment. Deux critères qui n'ont pas toujours été remplis lors des précédentes mandatures; il n'y a qu'à voir le nombre d'élus poursuivis devant les tribunaux ou condamnés à des peines privatives de liberté pour s'en rendre compte. Toutefois, il faut rappeler cette vérité : les communes ne disposent pas, contrairement à ce qu'on pense, du pouvoir fiscal. Elles sont tributaires de la redistribution de la fiscalité ordinaire par le biais du Fonds commun des collectivités locales, qui s'est transformé entre-temps en Caisse de garantie des collectivités locales, tout en gardant ses vieilles habitudes et sa frilosité légendaire. Il y a aussi ces inadéquations entre cette redistribution et les missions attribuées aux communes, dont la plupart trouvent d'énormes difficultés pour financer des projets et surtout à prendre en charge l'entretien des établissements scolaires et autres centres de santé. Une vérité aussi ! Il faut arrêter de croire que les communes, en Algérie, ont des vertus « créatrices de valeurs » tout comme les entreprises, dès lors que ce ne sont pas les mêmes règles commerciales, comptables et juridiques qui les régissent ! Elles ne disposent également ni de l'expertise ni du professionnalisme des entreprises et de leurs gestionnaires. Et donc la vision prospective d'un maire gérant sa commune comme une entreprise économique apparaît comme utopique au regard des difficultés listées supra. Ce qui est de nature à replacer le wali au centre de la politique économique locale ! D'autant plus que c'est une exigence du président Tebboune qui a clairement demandé aux walis d'être de vrais managers, avec tout ce que cela implique comme initiative, audace et... erreurs. *Le wali, un gouverneur sans nom par Abdou Benabbou (Le Quotidien d'Oran)