Dans une grande capitale européenne, un chef cuisinier ayant acquis une étoile du guide Michelin recommande, geste à l'appui, de savourer à pleins doigts une de ses dernières créations garnies de sauces. Une telle recommandation n'est pas seulement un affront porté à la fourchette mais elle est aussi un déni à plusieurs siècles à ce que l'on assimilait à un symbole de finesse de la gastronomie. Mieux qu'elle n'indique une insulte à un comportement prétendu label civilisationnel, elle tourne le dos à un rituel pour confirmer que l'art de se nourrir et de consommer est en train de changer. Peu à peu, les cultures des peuples se croisent et se confondent pour un retour forcé aux origines humaines. Le mépris que l'on affichait face aux rites des peuples dissemblables qui ne connaissaient pas la cuillère et la table s'évanouit. Les us des consommations et des utilités s'uniformisent pour une mise à niveau planétaire. Témoin : les friperies à travers le monde ne se sont jamais portées aussi bien. Les commerces de la viande sont partout dans une pente raide. Et tout le reste suit en pliant les grands réflexes qui rythmaient la vie. Celle-ci, en tous lieux, change de nombreuses de ses contenances pour ne devenir que survie. En France, les boucheries disparaissent les unes après les autres. Les crises ont ratatiné les comportements et les modes à telle enseigne que se nourrir d'insectes n'est plus une curiosité mais un attribut nourricier pour tous. Les Algériens eux aussi n'échappent pas à cette sourde mais visible et phénoménale mue du siècle. Leurs boucheries elles aussi battent le pavé et réajustent leurs habits en abandonnant la vente des côtelettes et des gigots, leur préférant l'étalage des abats et des boyaux. Les marchands de «karentica» ont suivi. Eux ont frappé plus haut. Leurs carrioles ont délaissé les ruelles croisées. Ils tentent de se mettre au niveau des devantures de Louis Vuitton avec les riches éclats des néons.