Presque soixante-dix millions de citoyens maghrébins n'ont pas le droit d'exiger, au final, une explication rationnelle de leurs gouvernements respectifs sur la fermeture des frontières entre les mitoyens d'une contrée de l'Afrique du nord où naturellement, pour l'exemple de toutes les contradictions bravant l'aménité du bon voisinage, pour aller de Maghnia à Oujda ou l'inverse, on n'a pas besoin d'interprète, de se mettre à la page d'une religion différente pour le respect des mentalités, de revisiter l'Histoire pour les modalités de comportement de culture et d'économie. Qu'on le veuille ou non la mondialisation dans la dernière décennie n'autorise désormais plus de clivage dans les systèmes d'échange entre communautés, il n'y a plus de capitaliste à Sidi Kacem ni de socialiste à Sidi Bel Abbès, plus de pro soviétique à Constantine ni de pro américain à Tanger. La jeunesse de cette merveilleuse gratification de géographie humaine qui s'appelle Rachid ou Redouane, Amina ou Zohra, d'un côte comme de l'autre, souffre de quelque chose de terriblement douloureux qui la pénalise dans son droit d'identification et d'essor. Combien sont-ils venus au monde, fille et garçon, depuis le promettant Sommet de Marrakech en 89 ? S'ils sont vivants, ils sont majeurs et vaccinés. Et donc, au moins ceux-là, ils ont le droit qu'on arrête de leur raconter des histoires de danger terroristes, de périls armés fous furieux sur leurs territoires respectifs, communs en vérité. Un Maghreb solidaire est synonyme de développement de ses richesses humaines et matérielles En cette dixième commémoration des attentats du Onze septembre, ils n'ignorent pas, qu'ils résident à Casablanca ou Oran, que la menace fanatique peut frapper partout après le raid sur le Pentagone. Car pour ce qui concerne la foi musulmane son apprentissage dans le respect de soi et d'autrui commence dans la famille et à l'école par le doigt des parents et des maîtres posés sur la dédramatisation de ses principes et concepts. Cette jeunesse-là le comprend profondément aujourd'hui, tant en Algérie qu'au Maroc. Mieux, des anciens connus par le passé résolument radicaux qui dirigeaient le Front islamique du salut, qui sont parents ou grands-parents, rencontrés, n'hésite plus à se prononcer sur le ridicule frontalier clos depuis plus de dix-sept ans, « alors que des européens s'ignorant leurs langues vont et viennent à l'envi d'un pays à l'autre pour s'entremêler leurs cultures et leurs savoirs » raconte un ancien responsable d'un grand parti algérien dans une aérogare bruxelloise. Maintenir hermétique une voie de circulation de plus de mille quatre cents kilomètres d'aubaine de confrontation fraternelle est un acte de flagrant mépris au devenir d'un Maghreb solidaire œuvrant pour le développement de ses richesses humaines et matérielles, pour l'essor de ses capacités dans le travail de la terre, de la manufacture et dans les services. N'a-t-il pas démontré, le Maghreb, ses compétences de modernité dans la rive nord de la Méditerranée, en Amérique boréale ou en Asie arabique ? Il faut laisser accroire se complaire dans la cécité pour ne pas admettre la diaspora maroco-algérienne dans les élites métropolitaines de France et Navarre, dans tous les domaines de l'excellence, en politique, en économie, dans l'agropastoral et dans la culture. L'incontournable apport des populations du Maghreb dans l'édification de l'Europe puissante Soit dit en passant, beaucoup de choses ont été avouées, à tort ou à raison, dans les débats ayant trait à la valorisation du colonialisme français dans l'Histoire globale ou dans ses particularité – le Maghreb pour ce qui concerne le sujet - mais on ne raconte quasiment jamais le phénomène inverse : dans la diachronie de l'enchevêtrement civilisationnel, peut importe le fort ou le faible, l'incontournable apport des populations du Maghreb dans l'édification de l'Europe puissante telle qu'elle est aujourd'hui. Avec, pour des exemples au hasard, depuis une Rachida Dati et Fadila Amara jusqu'à un Tahar Bendjeloun, Mohamed Arkoune et Assia Djebar en passant par un Gad, Kad, Zizou, mais aussi, ici et là, un Albert Camus, Patrick Bruel, Pierre Cardin, et cetera, pour ne pas oublier les pieds-noirs, évidemment. C'est surtout comprendre que l'intérêt du Maghreb moderne doit illico presto échapper aux considérations qui contournent l'entendement. Qu'on dresse n'importe quelles espèces de figure de gouvernance, avec les emblèmes philosophiques qu'on veut montrer – la politique c'est la politique - le mec ou la nana de Rabat ou d'Alger, de Laâyoune ou de Tizi Ouzou, possède un avenir à construire, un devenir à se promettre. Yacine ou Karima, Moha ou Aouicha, la nature ne les a pas programmés pour attendre la prostate ou l'ostéoporose pour voyager en toute liberté sereine dans leur Maghreb qu'ils se le regardent à la dérobée dans les chaînes du satellite. Soyons sérieux au moins quand on fait semblant d'être sérieux. Nous promouvons fièrement la langue de Syphax et de Massinissa, d'un côté, et nous obligeons notre sang frais avide d'émancipation à user de mesquineries dans les bornes, de Figuig à Béni Saf et à un pas plus loin où sans longue vue on voit El Hoceima, pour visiter l'autre face de sa patrie. D'aucuns parmi les candidats juvéniles aux expéditions maritimes périlleuses, de guerre lasse, se résignent à se sentir cyniquement condamnés à envier les voisins de l'autre côté de la mer qui ont le droit de prendre le petit déjeuner à Barcelonne, le repas de midi à Bordeaux et le dîner à Bruxelles. Alors, jetons les maudits passeports dans la poubelle et exhibons, haut au bout du bras les tickets d'autobus ou les billets de train, comme des cartons rouges dans les frontières des Zouj el Beghal en disant aux gardes-frontière : « nous sommes Maghrébins, nom de Dieu ! Mais vous, vous êtes qui ? »