Le nif pour un Maghrébin, c'est tout. C'est la dignité, la fierté, l'amour-propre, l'honneur dans tous ses sens les plus larges et les plus étroits, le courage, la noblesse, la respectabilité, le cran, la bravoure... Enfin, c'est tout. Feu Sy Benaïssa Karmaoui est un réfugié algérien au Maroc. Il est originaire de Maghnia. Il s'est établi à Oujda durant la guerre de libération. Comme lui, ils étaient des centaines de milliers. A l'indépendance de l'Algérie en 1962, tous rejoignirent leurs contrées d'origine. Enfin, presque tous. Ceux qui n'ont pas pu retourner chez eux, une infime minorité, avaient chacun ses raisons. Sy Benaïssa avait un commerce florissant. Et puis, son épouse Kheïra est marocaine. Ce prénom sonne bien algérien. C'est que la mère de celle-ci une compatriote de Sy Benaïssa. Elle est originaire de Zemmora dans l'ouest algérien et ne s'est jamais souciée quant à sa nationalité. Les vieux étaient ainsi à l'époque du protectorat et de l'occupation du Maghreb par la France. Eté 1962. L'on parle désormais de président, de gouvernement, d'assemblée et d'adhésion à l'Onu dans l'Algérie libre. Une vraie nation quoi ! Une année plus tard, Sy Benaïssa s'invita chez lui à Maghnia où il ne possédait rien, excepté l'amour pour sa patrie et la terre de ses ancêtres. Tout lui plait chez lui. Il voudrait bien y rester, mais son gagne-pain est ailleurs. Et puis, en bon musulman, Oujda ou Maghnia, c'est kifkif. « Zond zond, aurait dit un Chleuh. » Et « Bhal bhal, aurait dit un Casaoui. » Au Maroc, Sy Benaïssa ne souffrait pas de dépaysement. A son retour à Oujda, Sy Ahmed, policier de son métier, vint s'enquérir de la santé de Sy Benaïssa et de la situation en Algérie. C'était son ami intime. L'Algérien ne manqua pas d'éloges pour sa patrie. Et Sy Ahmed lui fit remarquer que si c'en était ainsi pourquoi rester au Maroc. Il le lui dit de bon cœur. Et comme Sy Benaïssa a un nif aigu, il déménagea la nuit même, abandonnant boutique et maisonnée. Armé de sa volonté de fer, il se fit à Maghnia une place au soleil sans encombre, mais il regretta d'avoir quitté tant de braves gens dont des voisins et des amis qu'il chérissait tant. Il regretta, plus que tout, la séparation avec Sy Ahmed !