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L'Empire
Publié dans Réflexion le 08 - 11 - 2012

« L'Europe est moralement, spirituellement indéfendable...Et alors, je demande ; qu'a-t-elle fait d'autre l'Europe bourgeoise ? Elle a sapé les civilisations, détruit les patries, ruiné les nationalités, extirpé la racine de diversité. Plus de digue. Plus de boulevard. L'heure est arrivée du Barbare moderne. L'heure américaine. Violence, démesure, gaspillage, mercantilisme, bluff, grégarisme, la bêtise, la vulgarité, le désordre. » Aimé Césaire
Le 1er Novembre ! Une date si essentielle dans le devenir de notre Nation. Pendant plus de 130 années, on a refusé au peuple algérien ses droits les plus élémentaires, des droits et des libertés qui faisaient la fierté et l'âme de la civilisation occidentale. On a même refusé au peuple algérien le droit et la liberté de s'accrocher désespérément à des concepts et à une certaine sémantique qui confortaient cette légitimité qui anime tous les combats menés contre la tyrannie et l'oppression. On a substitué à un colonialisme criminel une pseudo-entreprise civilisatrice et un devoir sacré d'initier ces autres peuplades païennes et primitives aux lumières de l'occident et au verbe de Dieu. Après tant d'injustices, on a considéré une guerre portée par tout un peuple, comme étant seulement des troubles dont les instigateurs n'étaient que des hors la loi qui dénigraient cette présence positive du colon.
Toutes les religions et idéologies ont été ramenées avec le temps et suite à tant d'errances et d'injustices commises en leur nom à plus de modération et à un dialogue réconciliateur.
Une seule religion a su traverser le temps et balayer toutes les réticences morales et éthiques. Immuable et sereine, la religion du Profit a poursuivi son chemin, sa quête et ses conquêtes avec une prestance stupéfiante. Le colonialisme n'est pas un accident de l'histoire, une contingence anodine, une exception que le temps et les résistances arriveront à dissoudre. C'est la constante et la règle.
Indissociables, la notion de l'Empire et celle du Profit ont préexisté à toutes les constructions politiques, éthiques et économiques qui se sont succédées depuis la fin du moyen-âge.

L'Extermination : le cadeau d'une civilisation à une race prétendument sauvage

Et voila comment, en une chiquenaude, se volatilisent des peuples splendides, fiers de leurs origines et se distinguant d'une authenticité inaltérable qui plonge ses racines dans un passé plusieurs fois millénaire. Des ethnies serties dans un éden immaculé, immunisées contre le temps et ses vicissitudes.
Dès le début du XVIe siècle, l'Espagne et le Portugal vont se partager le monde et ses richesses. Soutenus et financés par la Royauté, l'Eglise, des mécènes ou des Financiers et hommes d'affaires. Déjà maitres des océans, ils sillonnent le globe animés par l'unique volonté de faire du profit et accessoirement contribuer à la transhumance du christianisme. Les conséquences de cette épopée sont inénarrables et effroyables. La population autochtone des Amériques qui était en 1492 estimée à 80 millions (les chiffres varient selon celui qui les rapporte) est quasi -totalement décimée en l'espace d'un siècle. La devise des conquistadores était « La croix d'une main et l'épée de l'autre », mais hélas cette civilisation occidentale ne s'est pas seulement contentée de faire du profit et du prosélytisme, elle ouvrit également la boite de pandore dans ces nouveaux territoires conquis. Ces pieux chevaliers et ces fervents prédicateurs introduisirent la variole, la rougeole, la grippe, le typhus, la diphtérie qui seront l'une des causes de l'extinction de toute une race. Aucun des grands massacres du 20ème siècle ne peut être comparé à cette hécatombe. L'empire espagnol est arrivé à conquérir une trentaine de territoires disséminés sur le globe. Les Empires Portugais, Anglais, Néerlandais ou Français, tels des charognards s'appliqueront eux aussi à dépecer d'autres contrées. Avec le temps, que ce soit à travers la consécration du Traité de Tordesillas, de la doctrine Monroe, des accords de Sykes-Picot, ou du «Grand Moyen-Orient » (1), Ils s'amuseront entre eux à s'échanger, se céder ou se vendre des territoires, des richesses et des peuples. Tout ce qui est comestible, à valeur marchande ou essentiel à l'industrialisation sera négocié et pillé : Epices – café – caco – sucre – or- argent –charbon – bois – acier- diamant –uranium- pétrole en fin de parcours...
La passion qui animait les premiers explorateurs du 15ème siècle était la conquête, l'aventure et la quête de richesses au demeurant essentielles pour booster des économies moribondes ou financer les interminables guerres que l'occident prédateur se livrait sans cesse pour un hégémonisme qui a toujours été dévastateur. Les choses évoluant, pour continuer à exploiter les ressources incalculables dont regorgeait le nouveau monde, il était devenu urgent de s'y installer. De nouveaux désastres vont progressivement s'enclencher. L'immensité des territoires acquis contraignirent l'Espagne à créer des vice-royaumes qui donneront naissance plus tard, entre autres, à la Colombie, l'Argentine, le Mexique. Les colons purent prospérer grâce au système de «l'encomienda», (2) et partout se développèrent des « latifundia » (grandes propriétés agricoles) , malheureusement , comme toute économie reste fondamentalement tributaire d'une main d'œuvre et de préférence une main d'œuvre bon marché , et étant donné que la population autochtone amérindienne avait déjà été décimée par les guerres , l'asservissement, le travail forcé , les déportations , les maladies ramenées par les colons , Ils fallait à tout prix trouver de nouvelles recrues corvéables. Ce fut le début d'une nouvelle et longue ère tristement célèbre par ses innommables atrocités : «La Traite négrière » aura de beaux jours devant elle , cette exploitation du sauvage par le civilisé contribua à la prospérité des Amériques en permettant aux exploitations de canne à sucre, de tabac, de coton ...de faire la richesse et le bonheur de tout le monde sauf bien sur celui des esclaves. Cette aberration perdurera plusieurs siècles jusqu'à engendrer une guerre civile au sein même de la plus grande nation du monde : les Etats-Unis. La guerre de sécession fera 600.000 morts et n'affranchira pas pour autant les noirs du mépris et de la haine que manifestaient à leur égard les derniers résidus de cette race supérieure esclavagiste. En laissant de profondes stigmates au sein d'une nation américaine qui n'était pas si homogène et sereine qu'elle paraissait sur autant de sujets où il était question de Capital , de Justice et de Droits de l'Homme , ce conflit exacerba et dévoila des divergences idéologiques majeures qui perdurent jusqu'à aujourd'hui. Hormis son aspect inhumain, immoral et monstrueux, la Traite négrière ne fera pas que des victimes parmi les esclaves eux-mêmes, elle créa une terreur telle, qu'il y eut en Afrique une nette régression de l'agriculture, les populations terrorisées seront souvent poussées à déserter les gros villages pour aller s'y refugier dans des petits hameaux éparpillés à l'intérieur des forets. C'est un bien beau bilan que laisseront ces premiers Empires coloniaux. Dans une première phase, plusieurs dizaines de Millions d'amérindiens seront exterminés pour assurer le bien être de ces empires. Dans la seconde phase, celle de la Traite négrière on décompte, selon les chiffres des Historiens qui divergent, entre 10 à 15 millions de victimes. Afin que l'on cesse de se focaliser sur la barbarie de ces Empires coloniaux, la littérature historique ne manquera pas de rappeler qu'il est judicieux de distinguer dans cette maudite Traite négrière des ramifications significatives : La Traite Occidentale d'habitude la plus décriée, la Traite Orientale, celle bien entendu des musulmans qui étaient sensés avoir proscrit l'Esclavage, et finalement la Traite intra-africaine.
Le livre «Les Traites Négrières , Essai d'Histoire globale» de L'Historien Français Olivier Pétré-Grenouilleau donnera enfin les arguments tant attendus à tous ceux qui aspirent à dédouaner l'Europe de ses crimes, Les recherches de cet auteur auront pour tâche de minimiser le rôle de la Traite occidentale , le palmarès revient selon ce chercheur à la Traite orientale qui aurait fait selon ses calculs 17millions de victimes, avec par ailleurs 14 millions de victimes pour la Traite intra-africaine et seulement 11 à 13 millions pour la Traite européenne. Cet historien croit surement avoir eu l'élégance de remettre les pendules à l'heure en contribuant selon ses propres propos à « détruire les poncifs » et à « dépasser les rancœurs et les tabous idéologiques accumulés, sans cesse reproduits par une sous littérature n'ayant d'historique que les apparences. » Mais cette rigueur historique que lui et ses pairs ne cessent de proclamer religieusement omet d'abord comme par hasard de préciser que, contrairement à ce qui se passait dans l'Empire musulman, L'Occident a de manière simultanée et consubstantielle pratiqué à une échelle massive et féroce la Traite négrière et l'Esclavage. Cette rigueur historique omet aussi de préciser que le commerce ou les économies musulmanes n'ont jamais prospéré grâce à des systèmes tels que « L'Encomienda » et les «Latifundia ». Et enfin ,cette rigueur historique omet de clore le débat en soulignant aussi que ce ne sont pas les musulmans qui ont contribué à l'extinction d'ethnies dont le nombre excède la centaine de millions pour ne comptabiliser que les victimes apparentes et directes décimées dans le nouveau monde , pour ce qui est des victimes et dommages collatéraux qui jonchent la planète suite aux méfaits de l'ensemble des empires coloniaux de l'Occident , çà c'est une autre Histoire car elle ne s'est pas encore achevée.

Le gain, le profit et l'exploitation des richesses planétaires.

En Septembre 1817 Le Ministre des colonies françaises disait : « La fin qu'on s'est proposée en établissant des colonies étant essentiellement de favoriser et d'étendre le commerce de la métropole, ce serait un contresens ruineux que de rien tolérer qui peut augmenter le petit nombre de dérogations au régime de l'Exclusif. »(3)
Cette profession de foi n'avait rien de surprenant, dés la deuxième moitié du 17ème siècle (1664), une devise similaire "Florebo quocumque ferar" (Je fleurirai partout où je serais plantée), frondeuse et annonciatrice de toutes les audaces et forcément de tous les arbitraires fût le crédo de cette France des lumières pour qui le mercantilisme prédateur n'a jamais été un phénomène étranger à sa culture. Elle guerroyait déjà avec les Anglais et les Hollandais dès les débuts de cette razzia mondialisée que ces empires avaient essaimés urbi et orbi. Les multinationales n'on rien à envier à leurs géniteurs. On s'étripait entre gens civilisés par Compagnies interposées (Compagnie anglaise, hollandaise et française des Indes orientales). La conquête de l'Algérie s'inscrit dans le sillage de cette religion à laquelle tout le monde vouait une dévotion sans limites. Il n'y a jamais eu d'emblée des colonisations, il y a toujours eu préalablement des expéditions, des explorations, des prospections à but strictement marchand, lucratif, mercantile menées par des entreprises commerçantes qui ne recherchaient que le profit ; les colonisations et les empires viendront par la suite. C'est l'appât du gain et le profit qui engendra les empires et non l'inverse.
Ainsi, avant toute chose, à la base il y avait toujours eu une mentalité, un état d'esprit, une idéologie : La cupidité. Cette cupidité était le trait dominant commun à tous ces empires de l'Occident. Peu importe qui était l'ennemi, le monopole sur les richesses mondiales devait transcender toutes les autres considérations. Tantôt, on les voyait se livrer entre eux des guerres interminables (Espagne-Portugal / France-Angleterre / France-Hollande...), parfois ils formaient au gré de leurs humeurs et de leurs intérêts du moment des alliances contre un ennemi commun, mais le plus souvent ils s'arrangeaient séparément pour asservir et décimer des peuples entiers afin de s'approprier leurs richesses et leurs territoires. Beaucoup d'historiens estiment que si les motivations du premier Empire colonial français étaient purement mercantilistes, la perpétuation ou la création du deuxième Empire colonial était par contre induite par des considérations plutôt axées sur la promotion et le soutien à la politique de l'Etat dont la présence et la gloire s'amenuisaient dangereusement en Europe et surtout vis à vis de l'Angleterre.
On essaye souvent de traiter séparément deux problèmes consubstantiels :(Mercantilisme d'une part / prestige, gloire et puissance de l'Empire d'autre part), alors qu'il a été invariablement démontré que tout bêtement ce sont toujours les entreprises commerciales (Compagnie des indes, l'ensemble des comptoirs disséminés sur le globe et plus tard les multinationales) qui ont toujours façonné ces puissances.
On ne pourra peut-être évoquer mais que partiellement l'alibi de la gloire d'un empire crépusculaire qu'il fallait restaurer, s'agissant de cette France fortement ébranlée face à la quasi-disparition de son ancien empire (Canada-Louisiane-Antilles-Haïti). Certains illuminés resteront fidèles à cette mystique politique qui contribuera à la "délocalisation de leurs intérêts économiques" ailleurs, notamment en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. On ne manquera pas plus tard de dénoter ces pulsions revanchardes et cette volonté de reconquérir hargneusement un prestige miteux chez ces militaires rossés en Indochine et notamment à Diên Biên Phu et qui tenteront piteusement d'utiliser la guerre d'Algérie comme une aubaine pour se réapproprier une gloire et perpétuer la notion d'un empire qui faisait déjà partie d'une ère définitivement révolue.
Qu'aurait pensé Aimé Césaire, lui qui estimait que l'Europe était "moralement et spirituellement indéfendable", s'il avait constaté que cet Occident tout court est disposé à menacer sa propre stabilité politique et économique au nom du Profit.
En ce début du 16ème siècle, à l'aube de cet empire colonial espagnol et pour toutes ces richesses que le nouveau monde avait mises généreusement entre les mains de ces conquistadors trublions devenus maitres des lieux, on n'hésitera pas à fomenter une guerre civile et à assassiner un vice-roi espagnol dépêché pour mettre un peu d'ordre dans cet eldorado incontrôlable.
Deux siècles plus tard, une autre guerre civile et d'autres séditions naitront, toujours à cause du profit et pour la conservation d'un style de vie dont on ne pouvait plus se passer. Afin de sauvegarder des pratiques inhumaines qui faisaient la prospérité de leurs train-train économique quotidien, une lutte fratricide allait endeuiller toute l'Amérique. Une guerre de sécession qui menaça les fondements de cette puissance qui peinait à rendre viable et politiquement monolithique une nation qui a suffisamment payé les frais de sa liberté, de sa souveraineté et de ses glorieux principes. 600.000 milles personnes et un président de la république seront sacrifiés pour des champs de coton et des plantations de tabac.
En 1959, La France coloniale tentera de rejouer le même remake. Le Lobby colonial français entrainant dans sa folie meurtrière des Officiers supérieurs qui auraient du rester au service de la République et non pas à la solde d'intérêts privés déjà menacés par une série de mutations globalisées, était à deux doigts de renverser la quatrième république, de liquider leurs propres institutions afin de préserver leurs immenses richesses et privilèges. Les sicaires de l'O.A.S mèneront une lutte féroce sur plusieurs fronts : D'abord, infléchir les décisions d'un général mythique, ce héros du 18 Juin, qui était subitement devenu à leurs yeux un traitre, ensuite, répondre au F.L.N par les moyens les plus barbares, et enfin bruler un pays qu'il voyait glisser inexorablement entre meurs mains.
En 2008, les guerres sont d'un autre genre, on frôlera l'une des crises économiques et financières les plus désastreuses de l'histoire. Les contrecoups de ce cataclysme dont les causes sont le goût immodéré et quasi pathologique pour le profit se feront ressentir à travers tout le globe pour des décennies.
"On avait parfaitement compris, longtemps avant Georges Orwell, qu'il fallait réprimer la mémoire. Et pas seulement la mémoire, mais aussi la conscience de ce qui se passe sous nos yeux, car, si la population comprend ce qu'on est en train de faire en son nom, il est probable qu'elle ne le permettra pas."(4)
Notes :
(1) Le traité de Tordesillas est un traité international établi le 7 juin 1494 entre les deux puissances coloniales émergentes, l'Espagne et le Portugal, pour établir le partage du Nouveau Monde, terres qui selon ces seigneurs n'appartenaient à personne puisque les amérindiens ne figureraient pas selon eux parmi une espèce humaine susceptible de revendiquer des droits quelconques. Les accords Sykes-Picot, sont des accords secrets signés le 16 mai 1916, entre la France et la Grande Bretagne (avec l'aval des Russes et des Italiens), prévoyant le partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre. Le grand Moyen-Orient est une variante de la doctrine Monroe qui ne prône plus l'isolationnisme mais plutôt le retour vers un Empire unipolaire et monstrueusement globalisant au nom des intérêts U.S et de leur fidèle allié Israël.
(2) L'encomienda était un système appliqué par les Espagnols dans tout l'empire colonial espagnol lors de la conquête du Nouveau Monde à des fins économiques. C'était le regroupement sur un territoire de centaines d'indigènes que l'on obligeait à travailler sans rétribution dans des mines et des champs : une forme de pseudo –servage qui perdure jusqu'à aujourd'hui, sous des formes plus sournoises et moins ostentatoires.
(3)Charles -Robert Ageron, France coloniale ou parti colonial, 1978 ?
(4) Noam Chomsky, "La Doctrine des bonnes intentions. "


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