« Dans le règne des fins, tout a un prix ou une dignité. Ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d'autre, à titre d'équivalent; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n'admet pas d'équivalent, c'est ce qui a une dignité. » Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs. L'une des périodes charnières représentative d'une évolution humaine prometteuse fut sans nul doute marquée distinctement par l'apparition de l'homo-erectus. Il leva enfin les yeux vers le ciel, ce firmament infini et plein d'espoir. Désormais, notre bonhomme adoptera fièrement une posture qui lui conférerait certains avantages et pas des moindres, il pourra mieux jauger les dangers et anticiper les ripostes. Les yeux braqués vers l'horizon, il peut enfin imaginer tant de choses, ses neurones étaient enfin activés et son esprit commençait pour la toute première fois à échafauder des projets d'avenir. J'étais loin d'imaginer qu'une simple posture pouvait à elle seule constituer un handicap majeur et témoigner de tant d'indignité. Assurément, avoir le dos courbé, le regard constamment rivé au sol, les bras ballants, vous condamnait d'emblée à la défaite, à vivre aux aguets et dans la peur. Vous êtes obligé pour vous défendre ou seulement pour continuer à subsister d'adopter toujours la position du repli, de préférence niché sur des hauteurs pour mieux voir, ou recroquevillé derrière quelque chose, ou à plat ventre sur le sol. Et là, pendant des moments interminables, vous attendez empli de crainte et d'espoir que le danger passe ou qu'une opportunité à votre convenance se présente et vous donne enfin cette occasion inespérée de réagir, de passer à l'assaut. Lorsque la portée de votre regard ne va jamais au-delà de vos pieds ou de votre nombril, votre esprit sera toujours mal en point, incapable de produire une pensée agissante et féconde. Le sol n'a jamais été une source d'inspiration. Le ciel, l'horizon, l'infini, et même le néant, peut-être. Votre seul défense, c'est qu'on ne puisse pas pressentir votre présence. Vos réactions toujours improvisées et aléatoires vous sont dictées par un instinct bestial qui la plupart du temps vous mène à l'échec. Ainsi vivait ce primate malchanceux qui précéda l'homo-erectus et dont la résurgence, même aujourd'hui, se fait de plus en plus pressante et manifeste car la dignité se faisant de plus en plus rare, beaucoup de nos congénères adoptent ces comportements simiesques qui n'inspirent que défiance et mépris. Et pourtant l'homme s'est mis debout pour ne plus avoir à dissimuler une présence altérée par des difformités et des peurs, être en mesure d'utiliser sa visibilité pour revendiquer une fonction, un rôle et afficher cette précieuse responsabilité du « Je », « Posséder le Je dans sa représentation », comme disait Kant. Enclencher cette prise de conscience qui constitue déjà « un pouvoir qui élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. » Ce don précieux et unique qu'a l'homme de se penser lui-même, de se constituer à la fois comme sujet et comme objet de ses propres pensées, littéralement de se rendre présent à lui-même. Dans la sourate –Le voyage nocturne- 70, on pourra y lire : « Certes, nous avons honoré les fils d'Adam... et nous les avons nettement préféré à plusieurs de nos créatures. »
S'il y a une chose qui ne peut être ni achetée ni enseignée dans les écoles, c'est bien la dignité. Toujours selon le philosophe Emmanuel Kant « l'être humain est infiniment au-dessus de tout prix » , bien entendu , il est utile de préciser que l'être humain ne peut prétendre à ce rang et à ce privilège qu'à la seule condition que son humanité soit forcément déterminée ou validée par une moralité et une dignité. La « La moralité », ajoutera le philosophe, « est la condition qui seule peut faire qu'un être raisonnable est une fin en soi ...La moralité ainsi que l'humanité, en tant qu'elle est capable de moralité, c'est donc là, ce qui seul a de la dignité » (1)
Un jour, notre président, pour ragaillardir un homme ravagé par la désespérance et la résignation prononcera cette formule emblématique de l'indignité de l'algérien : « Arfâa rassek ya ba » Cette harangue laissait entrevoir une ère de dignité « El-Izza- ouel Karama » Le temps passe, les anciens reflexes ressurgissent, les échines se courbent, les compromis se tissent, les egos se resserrent. Un logement par ci, un emploi par là, des voies carrossables et des raz de marée de voitures pour une paix sociale qui durera le temps que notre homo-consumériste soit amplement rassasié pour passer à autre chose de plus essentiel. La corruption se généralise, La prostitution se démocratise, les grèves et les émeutes se banalisent. Le peuple vieillit devant les guichets d'un service public démoniaque. L'école temporise, la justice s'essouffle, l'hôpital agonise, l'agriculture se dessèche, l'urbanisme improvise. Les bureaux de poste ressemblent à des consulats, par leurs chaînes interminables de masses humaines miséreuses et pitoyablement agglutinées pour un dû auquel ils avaient sacrifié toute une vie. Le cadastre prend conscience qu'il y a sur ce territoire des locataires qu'il faut recenser, identifier et localiser. Les habitants réclament les documents d'une propriété qu'ils possèdent depuis des lustres. C'est maintenant l'époque fastueuse des notaires et des huissiers car il faut régulariser celui-ci, déloger celui-là. Et le citoyen doit regretter d'avoir des droits car son calvaire, son purgatoire sera sous-traité par cette administration algérienne fidèle à elle-même, récalcitrante, ombrageuse, belliqueuse et pourvoyeuse de toutes les discordes, les séditions et les révoltes. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » (2) L'absence totale ou partielle des autres droits (Logement-Santé-Travail-Transport-Liberté d'expression et d'association-Sécurité...) énumérés dans tous ces textes fondateurs implique l'absence de la dignité humaine.
L'Algérie compte parmi les premiers pays au monde à avoir autant de cerveaux qui on abandonné leur pays , autant de gosses qui ont pour sépulture une méditerranée maudite et nauséabonde , et des centaines d'anciennes personnalités politiques de haut rang qui ont désormais choisi de vivre partout dans le monde sauf chez eux , non pas pour des questions d'ordre fiscal puisque le pays est lui-même un paradis fiscal qui s'ignore , mais tout simplement parce ce pays a toujours été un lieu de prédation et de concupiscence mais sûrement pas pour y vivre et s'épanouir. Chaque période électorale ressemble à une kermesse. Tout se vend et s'achète sur le dos du peuple dans ces enchères du diable : sénateurs, maires, élus, électeurs.
Les autres vermines, ceux qui n'ont pas pu prétendre à cette razzia se sont mis à kidnapper vos chérubins où à leur proposer un succédané de bonheur (drogue, sexe, psychotropes). Les plus malins incendient le pays pour s'approprier des biens immeubles inaliénables qui feront de nouvelles fortunes et créeront autant de spéculations et de disparités meurtrières. Le pays est menacé de l'intérieur et de l'extérieur. Les bandes criminelles autochtones intra-muros donnent autant de fil à retordre à la nation que cette maudite bande du Sahel incommensurable avec ses troubles politiques, ses groupes terroristes, sa drogue et ses armes qui sont un prétexte de choix pour une communauté internationale bigarrée et malintentionnée qui aspire à se re-déployer sur des territoires en manipulant allégrement un échiquier qu'on n'a jamais cessé de reconfigurer pour les commodités géopolitiques , stratégiques et économiques.
Nos familles politiques implosent et s'effritent. Les redresseurs tels des homo-erectus, se redressent pour décimer leurs chefs des clans, fossiles d'une politique stérile et criminogène qui refusaient de sortir par la grande porte. Les coups d'états scientifiques n'empêcheront pas certains de réintégrer le palais en empruntant laborieusement des dédales inimaginables.
Pour ne pas succomber à la corruption, le juge réclame plus d'argent, toujours plus d'argent. Le percepteur trouve moralement acceptable de racketter des fraudeurs. Ce qui subsiste de digne et d'honnête est inexorablement poussé vers l'abime de la solitude et du désespoir.
« Arfâa Rassek Ya ba ! » Ce n'est sûrement pas ce que le Président avait en tête en rêvant à cet algérien du futur. En ces temps de tractations et d'alliances, de défections et de connivences, le grand bazar ouvre ses portes, celui des âmes déchues en quête de réincarnation ou de prétendants énurétiques qui aspirent à l'immortalité. Le roi se meurt ! Les sicaires fourbissent leurs armes. On s'agitent dans les coulisses, on complote dans les alcôves. Les pensées et les moindres regards sont suspendus au compte à rebours. Les charognards s'impatientent face à cette extrême onction qui s'éternise. Tout le monde se demande quelle est cette surprise que le dernier des mohicans leur réserve.
« Ce qui permet de mettre ma vie en jeu est manifestement quelque chose de plus que la vie: être reconnu par l'autre comme porteur d'une qualité dépassant la vie même, la dignité humaine; que l'autre me reconnaisse cette qualité. » (3)
Notes :
(1) Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs. (2) Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) (3) Thomas De Koninck et Gilbert Larochelle coord., La dignité humaine. Paris, PUF, 2005