Au moment où le mouvement national atteint sa maturité, une crise de leadership paralyse, pendant plusieurs mois, son fonctionnement. Pour recoller les morceaux, un comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA) est né le 23 mars 1954. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que son avènement ne résulte pas d'une stratégie de lutte, mais consiste à remettre, il ne serait-ce que dans le premier temps, la machine sur les rails. Pour ce faire, les animateurs du CRUA, notamment les activistes, décrètent que l'urgence est de ressouder les rangs du parti avant de s'engager dans un quelconque bras de fer avec les autorités coloniales. De toute évidence, bien que la crise de commandement remonte au début des années cinquante, correspondant à l'orientation réformiste du parti, le président, Messali Lhadj, ne s'est pas montré d'emblée intransigeant sur la nouvelle stratégie. Bien qu'il ait soutenu une autre thèse à l'occasion de ses tournées en Algérie, entre 1951 et 1952, force est d'admettre qu'il n'a pas été dur avec les membres du comité central. Car, dans le conflit qui l'opposait aux radicaux en 1949, Messali s'est appuyé sur les modérés, tels que Ben Khedda, Lahouel, en vue de se débarrasser des durs. Sous la direction de ces intellectuels, le parti va être orienté sur la voie réformiste. D'une façon générale, profitant du démantèlement de l'OS (organisation spéciale) –le bras armé du parti –, les modérés s'accommodent de la seule option politique en abandonnant le recours à la lutte armée. Et dans une certaine mesure, les membres du comité central sont même prêts à travailler « avec les représentants éclairés de la colonisation », à l'instar de Jacques Chevalier, Banquet-Crevaux, etc. « Ratifiée par un congrès du MTLD en avril 1953, elle [cette orientation] est très vite vouée aux gémonies », note l'éminent historien , Mohamed Harbi, dans « 1954, la guerre commence en Algérie ». Pour parvenir à leur objectif, les membres du comité central excluent les anciens de l'OS du congrès. Seul Ramdane Benabdelmalek, le représentant de l'Oranie, et ce, bien que son supérieur Larbi Ben Mhidi ne soit pas autorisé à y assister, participe au congrès d'avril 1953. Hélas, une hirondelle ne fait pas le printemps. Quoi qu'il en soit, bien que Messali soit en résidence surveillée à Niort, il ne tarde pas à réagir. Dès l'été 1953, il demande à ce qu'on lui confère les pleins pouvoirs dans le but de redresser le parti. Malgré les réserves du président du parti, les membres du comité central maintiennent le cap et envisagent de sceller une alliance avec les autres formations modérées en vue de définir un programme électoral. Alors que la proposition a été repoussée en 1951 et au début de l'année 1953, grâce cette fois-ci à l'intervention de Messali, le 10 décembre 1953, le comité central revient à la charge. Sachant que le comité central est déterminé à aller jusqu'au bout, Messali en appelle directement à la base. Or, « son triomphe a lieu sous la bannière du radicalisme, mais son action ouvre la brèche dans l'édifice que les activistes utilisent pour se regrouper, formuler d'autres enjeux et engager le pays dans la lutte armée », note Mohamed Harbi. Cependant, bien que les partisans de la troisième voie ne soient pas des têtes d'affiche, au sein du parti, les deux tendances se les arrachent. Ainsi, de décembre 1953 à mars 1954, date à laquelle le comité central cède aux exigences de Messali, la victoire de ses partisans est quasi totale. Mais, pour le moment, les activistes n'ont pas encore dit leur dernier mot. « Mohamed Boudiaf, inquiet de voir l'avantage que prennent les messalistes à la base risque de conduire surtout à une scission du parti, quitte alors l'Hexagone, où il occupe comme son ami Didouche des responsabilités auprès d'une direction « centraliste » déjà très déstabilisée, pour regagner –durablement, pense-t-il –l'Algérie », écrivent Benjamin Stora et Renaud de Rochebrune. En tout cas, c'est dans ce climat, marqué essentiellement par la rivalité au sommet du principal parti nationaliste, que le CRUA est créé. Réunis à l'école coranique Al Rachad, deux centralistes (Dekhli et Bouchebouba) et deux anciens de l'OS (Ben Boulaid et Boudiaf), quoi que Ben Boulaid soit aussi membre du comité central, se donnent pour mission de sauver le parti. « Pour Boudiaf, l'objectif était de convoquer un congrès unitaire où toutes les tendances seraient représentées, y compris les anciens de l'OS, écartés depuis 1951 et interdits de congrès en 1953, de refuser de reconnaitre la délégation provisoire messaliste », relève pour sa part Gilbert Meynier, dans « Histoire intérieure du FLN ». Néanmoins, bien que le comité affiche sa bonne volonté d'œuvrer à l'unification du parti, dans les faits, ses membres ne sont pas aussi neutres qu'ils le prétendent. Et pour cause ! « La publication d'un bulletin, le patriote, est décidée le même jour [le 23 mars 1954]. Il sera financé par le CC (comité central) et ses éditoriaux sont rédigés par Lahouel », souligne Mohamed Harbi. Du coup, on comprend aisément pourquoi les messalistes n'acceptaient l'arbitrage sous les auspices du CRUA. En outre, tous les activistes n'imputent pas l'éclatement du parti à Messali. Le groupe de Kabylie, à sa tête Krim Belkacem et Amar Ouamrane, se solidarise avec le président du parti. De ce fait, la réunion du 8 mai 1954, regroupant d'un côté Ben Boulaid et Boudiaf et de l'autre Krim et Ouamrane, se termine sur un échec. Pour ces derniers, il est un secret de polichinelle que le CRUA est influencé par les centralistes. Le comité ne reprend-il pas les mêmes griefs contre Messali ? Tout compte fait, l'alliance entre les centralistes et les activistes n'est pas construite sur la base d'un projet commun. Dans le fond, le comité central a sa propre stratégie. Au même titre que les messalistes qui désirent récupérer le parti à eux seuls, les centralistes, en voulant se servir des activistes, pensent la même chose. Ainsi, à l'annonce de la tenue d'un congrès messaliste pour la mi-juillet, les centralistes convoquent la conférence des cadres pour le 1er juillet. D'ailleurs, au sein du CRUA, les deux centralistes défendent naturellement le point de vue du comité central. Bien que créé pour unir leur famille politique, le CRUA est désormais divisé en deux. Revenant à l'évidence, les deux activistes du CRUA convoquent, à l'insu bien entendu des deux autres membres, la réunion des anciens de l'OS, le 25 juin 1954. Se retrouvant entre anciens de l'organisation spéciale, « le groupe des 22 » parvient très vite à dégager un consensus sur la lutte armée. Après la tenue du congrès messaliste et la programmation par les centralistes de leur congrès pour la mi-aout, le divorce est consommé. Désormais, le PPA-MTLD compte trois tendances distinctes. En tout cas, dès la réunion des 22, le conseil de la révolution prend la place du CRUA. Pour se lancer dans l'action révolutionnaire, « le groupe des cinq », issu de la réunion des 22, entreprend des démarches en vue de convaincre les représentants de la Kabylie. Jugées encore messaliste, les activistes se méfient des chefs kabyles. D'ailleurs, ces derniers n'ont-ils pas envoyé, au congrès messaliste d'Hornu le 14 juillet 1954, une délégation ? Et c'est surement la séparation entre activistes et centralistes qui décident Krim et Ouamrane à rejoindre le conseil de la révolution. Du coup, les choses s'accélèrent. Vers la fin aout, le comité s'élargit à Krim. De la même façon, la délégation extérieure du PPA-MTLD, composée d'Ait Ahmed, Ben Bella et Khider, bien qu'elle veuille recoller elle aussi les morceaux, s'engage avec les activistes. Avec les représentants de l'intérieur, ils forment le fameux « groupe des neuf ». Enfin, en rompant avec le langage politicien, ce groupe n'a aucun mal à rassembler les partisans de la lutte armée. Bien que deux bastions, en l'occurrence l'Algérois et le Constantinois, désistent au dernier moment, l'action révolutionnaire du 1ernovembre 1954 va réaliser l'objectif de plusieurs décennies de combat, à savoir casser le carcan colonial qui obstrue l'avenir de l'Algérie.