Les Hararta près de Zemmora, dans la wilaya de Relizane, ces fiers et valeureux combattants Flita de l'Emir Abdelkader et de Bouamama qui ont bien tenu la dragée haute aux turcs et autres français n'ont d'yeux ces jours-ci que pour Benaïssa. Le jeune homme est âgé d'une quarantaine d'années. Fils unique et orphelin depuis qu'il était au berceau, le beau brun vit parmi les Hararta depuis une quinzaine d'années Fils unique et orphelin depuis qu'il était au berceau, le beau brun vit parmi les Hararta depuis une quinzaine d'années. Le destin a fait de lui un berger. Mais un berger modèle et connu aussi. Il est renommé pour son honnêteté, son intégrité et son sens du devoir. Un berger à la conscience plus que tranquille qui s'est toujours contenté de peu. Sa vie d'orphelin, son isolement et le besoin ont fait de lui un homme hors du temps. Il ne sait pas compter l'argent, ne sait pas prendre une fourchette et encore moins lire et écrire. Chose qui dépasse l'entendement c'est que Benaïssa était complètement déconnecté de notre monde et c'est grâce au service national dont il garde de très beaux souvenirs qu'il a appris qu'il existait un autre monde. Il a aimé l'armée et le service national, mais s'est refermé sur lui-même dès son retour au bercail. La vieille maman illettrée n'a pas grand-chose à lui apprendre ou à raconter. Cette aveugle qui vient de récupérer un œil, se dit pauvre sans aucune ressource, mais dignité oblige, elle n'a jamais tendu la main. Son fils unique, célibataire endurci a plus d'affection et d'amour pour une brebis ou un bélier que pour un humain. Le calme, tranquille et gentil pasteur salue ses brebis et rarement un humain. Mais voilà que Benaïssa se voit projeté en un clin d'œil dans une autre vie digne des contes des mille et une nuits. Il ne cesse de répéter : « Est-ce que je rêve ? » C'est au génie de l'universitaire en chômage Bousserouel Benatia, connu pour sa patience, son amour des siens et de l'Algérie des valeurs ancestrales, son sens de l'organisation et sa jovialité que les Hararta font appel. Très respecté, cet universitaire père de famille, croit dur comme fer que pour bien construire, il faut bien détruire. Et c'est ainsi qu'il a d'abord transformé l'image de Benaïssa le « rien que berger » en « Benaïssa l'indispensable berger. » Une métamorphose que lui envierait bien Kafka. L'universitaire lui a trouvé le tuteur, la belle fiancée, le beau costume, la jolie cravate et le projeta lundi dernier dans le monde de Cendrillon. Des noces grandioses, célébrées mieux que chez les nantis, dit-on. Le Dj Allal avec sa chanson Moulay Soltane en pleine campagne parmi des maisons en ruines à cause de la bêtise humaine, n'a pas été avare de décibels et Hadj Abed Belkadi, cet homme jovial au grand cœur n'a pas daigné compter ses moutons dans les marmites. Le maire et ses seconds n'ont pas failli. La joie. C'est la fête au douar. Chose étonnante, même des écoliers de six et sept ans, garçons et filles, sont venus demander si l'on avait besoin d'eux dans cet élan de solidarité. Le hic dans cette histoire, c'est que Benaïssa va bientôt s'acheter son propre petit troupeau et plus étonnant encore, il est devenu propriétaire d'un terrain agricole dont lui a fait don l'altruiste et bienveillant M. Benmâamar Harrat, un cadre de l'éducation nationale. Pour l'instant Benaïssa qui n'a jamais rien demandé à personne se repose, tous frais payés, après cette bonne aventure. Son rêve, et encore s'il a le droit de rêver, c'est bénéficier d'un logement rural et quitter ses ruines. Et si tous les bergers comme Benaïssa faisaient grève ? N'ayez crainte, ils n'y ont jamais réfléchi. Sacrés Hararta, quand ils veulent, ils peuvent. A la question « Comment faites-vous ? », M. Bousserouel Benatia, ce respecté enfant de Sidi Harrat à la grande foi, vous répond avec un large sourire qu'il a la foi en l'Algérie profonde, qu'il faut retourner à nos coutumes ancestrales et que ce rêve de Benaïssa n'était qu'une petite touiza chez nos aïeux. L'insoupçonnable génie en jean, casquette et chemise demi-manches ajoute qu'il a des idées, mais…pas d'argent. La vie est une aventure dont personne ne sort vivant et il n'y a qu'un pas entre la condition de berger et de maître. L'inverse est tout aussi vrai.