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MOSTAGANEM: Entretien avec l'historien, le Docteur Moulay Belhamissi avant son décés
Publié dans Réflexion le 25 - 11 - 2009

“POUR MOI, L'HISTOIRE S'ECRIT MAIS NE SE VEND PAS.”
Cette interview à été réalisée alors que le défunt Moulay Belhamissi, quelques mois avant son decés, se trouvait au milieu de sa famille pour se reposer, il venait de subir une opération au niveau du cœur, il n'a trouvé aucune gêne à parler de ses travaux de recherche.
“POUR MOI, L'HISTOIRE S'ECRIT MAIS NE SE VEND PAS.”
Cette interview à été réalisée alors que le défunt Moulay Belhamissi, quelques mois avant son decés, se trouvait au milieu de sa famille pour se reposer, il venait de subir une opération au niveau du cœur, il n'a trouvé aucune gêne à parler de ses travaux de recherche.
De passage à Mostaganem (aout-sept 2003), venu humer l'air marin de sa ville natale et se reposer parmi ses siens, le Docteur Moulay Belhamissi a bien voulu nous entretenir sur son domaine de prédilection: la recherche en histoire. Un entretien à batons rompus sur son parcours, sa recherche sur l'histoire régionale et d'autres questions relatives à l'époque ottomane, la colonisation française et la longue résistance du peuple algérien.
Moulay Belhamici est vice-président de l'Association internationale des historiens de la méditérranée et membre honorifique de l'institut Ataturk pour l'histoire. Historien, il s'est intérressé particulièrement à la marine et aux marins d'Alger, à l'époque ottomane : de cette passion, il en fit sa thèse d'état qu'il soutient à Bordeaux (France) en 1986. Ecoutons le.
Le journal: qui est monsieur Mr Moulay Belhamissi?
Mr M. Belhamissi: natif de Mazouna, je suis né au mois de janvier 1930. Après des études primaires dans la localité, j'ai poursuivi mes études à Tlemcen, au lycée franco-musulman (1946-1952). Ensuite j'ai rejoins Alger, d'abord pour achever mes études à l'institut des études supérieures islamiques, puis à la faculté des lettres. Mes études ont été interrompues par de nombreuses grèves de l'époque, dont celle des étudiants, en 1956.Mon premier poste d'enseignant, en octobre 1954, fut au m'cid Fatah, sur les hauteurs de la casbah. Tout en enseignant, je préparais des éxamens à Aix-en Provence et à Paris. En 1958, après avoir été admis au CAPES, je fus nommé professeur au lycée franco-musulman de Benaknoun. Une fois reçu à l'agrégation, en 1966, j'ai rejoins l'université, en qualité de maître assistant, puis de promotion en promotion, je fut nommé professeur d'histoire moderne, après avoir soutenu mon doctorat d'état à Bordeaux, en 1986. Je suis résté à l'université d'Alger j'usqua ma retraite, en l'an 2000.
Voici une longue carrière, entièrement consacrée à l'enseignement en général, et à la recherche en Histoire en particulier.
Le journal: Votre milieu familial vous a t-il influencé ?
Mr M Belhamissi: Dans notre famille, il y avait beaucoup d'enseignants. Le doyen était Mr Belhamissi Abdelkader, qui était un des premiers instituteurs mostaganemois dans les années 1930 .Mon oncle maternel exerçait à l'école des Medjahers.L'attrait de l'enseignement a été permanent dans la famille, et jusqu'a présent d'ailleurs, hommes et femmes, avons encore cet attrait pour ce noble métier.
Journal: quelles sont vos premières lectures?
Mr M Belhamissi: La lecture était mon seul refuge, dans les années 40/50.Et je déplorais le désintérinssement des algériens à la lecture. Il y avait les partis politiques de mon temps : trois se disputaient la jeunesse musulmane, et on assistait à leur discours et campagnes électorales .On abordait les leaders pour cherchait une explication ou un conseil .De toutes les personnes qui m'a le plus marqué, c'est Ferhat Abbes. Je le voyais à la librairie de l'UDMA, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'organisation de la jeunesse de l'UDMA. On lisait beaucoup le journal “EGALITE”.
Le journal: Comment êtes-vous venu à vous intéresser à la recherche en histoire?
Mr M Belhamissi: Ce penchant s'est forgé dans mon enfance, essentiellement à l'école, où des mots blessants comme “envahisseurs arabes”,”pirates algériens”… aiguisaient ma conscience et me poussaient à m'interroger sur notre propre histoire.Je me souviens à Tlemcen, d'un professeur qui, en nous remettant les copies, nous disaient “le travail arabe ! ”.Dans cette histoire tronquée, voire falsifiée, on ne nous parlait pas, par exemple, des captifs algériens.
Trois questions me tenaient à coeur. Premièrement, la course en mer, faussement appelée piraterie .Il ya une difference énorme entre piraterie et corsaire. Deuxièment, le drame des captifs algériens en europe, notamment à Marseille, Toulon et Naples. Un livre leur a été consacré. Le troisième point essentiel concerne les captifs européens en Algérie.Toutes les plumes européennes ont essayé de noircir leur situation, alors qu'ils étaient les captifs les mieux traités, par rapport à ceux qui gémissaient dans les prisons espagnoles ou anglaises. Il fallait, documents et témoignages à l'appui, rendre justice aux dirigeants algériens de l'époque. L'exemple le plus saisissant est celui des libertés religieuses. La tolérence des dirigeants algériens était unanimement reconnue. Tous les cultes s'exerçaient librement et Alger était pourvu d'églises et de synagogues. Les cimetières des chrétiens et des juifs se trouvaient à Bab el oued. Les offices religieux se tenaient selon les rites qui éxistaient en Algérie. Par contre, les algériens captifs à Marseille, Toulon ou ailleurs, subissaient sans relache, les pressions pour qu'ils abondonnent leur religion d'origine. Ils étaient privés de mosquées et de cimetières. Seules les pressions fortes et continuent du gouvernement d'Alger procuraient à ces malheureux un allegement de leur situation.
Le journal: Et si vous nous présentez un résumé de vos recherches ?
Mr M. Belhamissi : Dés le début de ma carrière, je fus attiré par l'histoire de l'Algerie ottomane (du 16eme au 19eme siècle). Une histoire combien éscamotée par les plumes de la colonisation française. Comme je fus embalé par l'histoire de la méditérrané et de ses conflis (à cette époque), j'ai partagé mon temps entre l'étude des grands évenements internes à l'Algérie et l'histoire de la marine algérienne. J'ai produit une dizaine de livres et une soixantaine d'articles publiés en Algérie et à l'étranger, parmi lesquels ma thèse qui à été édité, pour la deuxième fois, sur l'histoire de la marine nationale, grâce au ministre de la culture. Une autre publication paraîtra incéssamment sur « l'Algérie et ses eaux, sous les deys ».
Le journal : Quelle est, selon vous, l'importance de l'histoire régionale et locale ?
Mr M. Belhamissi : L'histoire régionale qui ne heurte point mais complète l'histoire nationale, m'a toujours intéréssé, notamment celle des grandes villes de l'ouest (Tlemcen, Nedroma, Mazouna, Mostaganem, Mascara… ) et des grands hommes de la région, ainsi que des évenèments marquants du passé.
A ce titre, j'ai publié « L'histoire de Mazouna », « L'histoire de Mostaganem », et « L'épopée des Flita de Relizane ». J'ai fait également connaître le drame, combien poignant, d'une plume algérienne de haut niveau, celle de l'Oukil Youcef de Mazouna qui a eu maints démélés avec l'administration coloniale. C'est un modèle de lutte pour la dignité de l'algérien, malgré une pauvreté paralysante. Il fut, tour à tour, instituteur, oukil judiciaire, écrivain…
Au sujet des grands hommes de la région, et sans remonter loin dans le passé, c'est surtout l'histoire de l'Emir Abdelkader et de ses compagnons, qui pourrait encore nous donner des leçons de courage, de résistance et d'abnégation, qui à inspiré mes recherches. Cette région, indépendamment des évenements politiques qui s'y sont déroulés, fut longtemps une pépinière de savants, de poêtes et de juristes. Les zaouias éparpillées à travers la région, abrittant des centaines de talebs algériens ou marocains, ont pérpétué le cachet arabe et musulman de l'oranais.
Le journal: Vous avez cité les évenements auxquels ont participé les Flita.Que s'est-il vraiment passé ?
Mr M. Belhamissi: Les tribus Flita ont résisté aux attaques organisées et planifiées par les généraux de la conquête, basés dans la circonscription de Mostaganem ou venant des autres villes de la région. Parmi les généraux de la colonisation, on peut citer, Bugeaud (le principal), Lamoricière, Changarnier, Lapasset…Aucune répréssion, aucune razzia, aucun pillage ne fit taire et soumettre les Flita, jaloux de leur indépendance, jusqu'à ce fameux jour en 1865, où l'empéreur Napoléan III voulait se rendre à Relizane (fondée en 1857), afin d'«évaluer les progrés » de la colonisation. La confédération des Flita saisissant cette occasion, décida de kidnapper le souverrain et refusa l'argent jeté à ses pieds, en exigeant la libération de ses emprisonnés en Corse. Ils avaient, en effet, participé au soulèvement des Ouled Sidi Cheikh en 1864. Satisfaction leur fut accordée, car l'empéreur secoué par cet affront, abrégea son voyage à Relizane, et s'en retourna à Mostaganem, après avoir satisfait aux revendications des Flita.
Le journal : Quelles sont vos relations avec les institutions de la recherche en histoire, en Algerie ?
Mr M. Belhamissi: Pour moi, l'historien est indépendant, et l'histoire s'écrit mais ne se vend pas. L'historien traite la question qu'il juge nécessaire d'aborder, en toute objectivité, apres avoir consulté maints et maints documents, contemporains ou postérieurs. Il doit se dessaisir de toute passion ou parti pris .Il faut rappeller que l'historien n'est pas un poète ou un romancier. Ici, l'histoire est plus une science qui cherche le vrai, qu'un art qui vise le beau.
Ayant choisi mon terrain d'investigation, l'Algérie ottomane, j'ai consacré une grande partie de mes investigations à l'histore de la capitale et de sa région et à l'Algérie sous la domination turque (histoire politique, économique, sociale et culturelle). Mes préoccupations essentielles allèrent à la méditérranée, aux conflits sud-nord, aux grandes batailles, à la course, dont l'histoire fut sciemment éscamotée, et aux captifs algériens (je rappelle que des bibliothèques entières et des écrits tentancieux furent consacrés aux seuls captifs chrétiens retenus à Alger ou à Tunis). Ce souci primordial, ne m'empêcha pas de m'interresser à la deuxième activité de la ville d'Alger, à savoir la vie culturelle, combien riche, et qui n'avait rien à envier à Fes ou à Tunis.Les zaouias, les professeurs qui y dépensaient un savoir de haut niveau, les centaines d'étudiants venus de tous les coins du pays et même de l'éxtérieur, les personnalités étrangères, qui urent des discussions sur tel ou tel sujet de droit, de grammaire ou de théologie, montrent combien notre capitale était une kibla pour ces assoiffés du savoir.
Le journal: est-ce que vos écrits et vos prises de positions vous ont fait connaître à l'étranger?
Mr M. Belhamissi: Etant bilingue, et écrivant tantôt en francais, tantôt en arabe, le cercle de mes lecteurs grandissait chaque jour davantage. Collègues et lecteurs des pays méditeranéens surtout, m'honorent encore aujourd'hui, de publications et de revues. Et puisque vous me rendez visite, vous voyez sur ma table deux livres à lire et dont il faut préparer un compte rendu. Il s ‘agit de « Mémoire d'un galérien du roi soleil » de Jean Marteilhe et « L'islam et la mer » de Xavier de Planhol.
D'autre part, j'ai eu dans le passé l'immense satisfaction et l'insigne honneur d'être élu membre honorifique de l'institut Ataturk pour l'histoire. La cérémonie eut lieu, en 1986, à Ankara.Puis, je fus élu vice-président de l'Association Internationale des historiens de la méditérranée, dont le siège se trouve à Rome.
Vous constatez, que malgré l'âge avancé, mes problèmes de santé, et surtout l'absence de toute aide matérielle, je ne baisse pas les bras. Malgré aussi une pension de retraite insultante, pour un chercheur-professeur qui passa un demi-siècle à l'université d'Alger, comme enseignant dirigeant des thèses, participant aux conférences nationales et internationales.
Le journal: Quelles sont vos principales sources documentaires?
Mr M. Belhamissi: Il n'ya pas d'histoire sans sources documentaires. Et dans ce cadre, on a souvent négligé, sinon méprisé les sources musulmanes, à qui, on a trouvé tous les défauts .Les sources musulmanes, locales en particulier, apportent toujours des informations ou compléments d'informations, qu'il s'agisse de la période ottomane ou de la période coloniale. Mais l'historien doit également chercher ailleurs ses sources, qui sont méditerranénnes ou asiatiques, du nord ou du sud, car chaque document a sa « personnalité » et libre au chercheur de l'analyser conformément aux règles établies.
Concernant l'Algérie ottomane, il faut admettre que plus de 80% des pièces d'archives sont européennes (rapport des consuls, traités…) et on ne peut prétendre écrire l'histoire de l'Algérie, en ignorant cette mine de documents qui se trouve à Aix en Provence, à Paris, à Madrid ou à Rome et dans d'autres villes d'Allemagne ou d'Angleterre. A mon sens, le problème est de les repérer, de pouvoir les exploiter, afin de compléter nos connaissances.
Le journal: Et les archives turques?
Mr M.Belhamissi: Bien sûr elles sont importantes, mais la géographie a fait que l'Algérie est plus proche de la France et de l'Espagne que d'Istambul. Aussi, le fond européen est plus riche que le fond ottoman, lequel est « spécialisé » dans l'enregistrement et la perception des multiples impôts imposés aux algériens. Un exemple pour illustrer : les voyageurs européens, les captifs chrétiens, les consuls en poste à Alger ont beaucoup écrit sur El Djazair et jusque au moindre détail. L'histoire de la capitale ne peut s'écrire sans la contribution évidente de ces européens, témoins de notre histiore. Par contre, nous n'avons presque rien de semblable dans les bibliothèques turques. Ce sont surtout des archives de comptabilité (elles se trouvent dans leur majorité à Istambul), écrites dans la langue turque au moyen de l'alphabet arabe, et où les habous et leurs produits tiennent une large place. La gestion turque, en Algérie, était basée sur l'exploitation des ressources et des richesses du pays…
Le journal: Est-ce qu'on peut parler de colonialisme turque ?
Mr M Belhamissi: L'idée qui consiste à présenter les turques comme des colonisateurs date de 1830.En effet, les français, pour justifier leur action, avaient trouvé aux turques tous les défauts d'une administration, y compri en invoquant l'exploitation du pays. Personnellement, je ne souscris pas à cette idée, car entre musulmans il n'y a pas de colonialisme, notammant le colonialisme de peuplement. Du début à la fin de leur présence en Algérie, les turques n'ont jamais dépassé les 15000 personnes. Certes, l'exploitation à outrance était bléssante pour les algériens. Mais on a oublié la «contrepartie »: sans les ottomans, les espagnols auraient été les maitres du maghreb central et du bassin occidental de la méditéranée. La mission des espagnols étant de christianniser les populations, tout en exploitant le pays, a connu l'échec grâce à la détermination des dirigeants de la régence. Rappelant que bougie fut libérée en 1555 par Salah Rais. Auparavent, le pen perron (bastion) d'Alger, fut libéré par Kheireddine, en 1529.Oran, dernière base éspagnole, fut libérée une première fois en 1708, à l'époque de Bouchelâghem, et une seconde et dernière fois, en 1791.
Le journal: pourquoi l'expédition française a réussie en 1830 ?
Mr. M. Belhamissi: Il ya d'abord les circonstances internes : la propagande (antiturque) des confréries en Algérie (en oranie, les Derkaoua, El Kadiria, dont le père de l'Emir…). Je rappelle que la libération d'Oran, en 1791, avait enlevé aux turques le prétexte du danger espagnol. Il faut ajouter à cela les mésententes entre turques, entre turques et courroughlis (ils sont devenus plus nombreux que les turques et ont revendiqué leur part dans l'administration). Ainsi, l'obéissance au pouvoir n'était plus ferme comme avant. Marines et armées de terre traversaient des moments difficiles. Toute cette situation était connue des français. Il faut d'ailleurs se référer au rapport du commandant Boutin pour s'en apercevoir (il est venu en Algérie, en 1808, et a décrit un tableau complet de la situation, en particulier militaire). Quant aux circonstances externes, il y avait en premier lieu, la faiblesse de la Turquie, qu'on appelait à cette époque, “l'homme malade”. Il faut signaler aussi, hélas, l'hostilité du Maroc et de la Tunisie, gouvernés par des beys d'origine turque, ennemis de leurs frères d'Alger. Un exemple pour illustrer : quand les français ont occupé Alger, en 1830, le premier à les féliciter était le bey de Tunis, et il avait proposé une aide matérielle aux conquérents. Je complèterais en rappelant qu'il y a eut plusieurs tentatives de colonisation dont celle de Djidjel, en 1660 (échec de Louis XIV), où, il faut le préciser, ils ont même prévu, en cas de victoire, l'administration de cette région. C'est donc, bien avant 1827, avec le fameux “coup d'éventail” (auquel, malheureusement, beaucoup d'algériens, croient jusqu'à maintenant), que le dossier de l'Algérie était ficelé. Voilà, sommairement, la situation qui prévalait à l'époque.
Le journal: Dans les facteurs internes, vous avez cité des tribus et zaouia qui se sont révoltées contre les turcs…
Mr M Belhamissi: Il faut souligner que la bataille de la libération d'Oran, en 1791, à l'époque de Uthman dey, avait imposé de longs et minitieux préparatifs et mobilisé d'importantes tribus arabes, dont des chefs de zaouia, des tolbas et des volontaires venus pour assiéger et libérer Oran.Paradoxalement, les succés remportés sur les éspagnols contribuaient à l'affaiblissement des turcs : les tribus arabes demandèrent aux turcs, le prétexte de la domination espagnole étant enlevé, de quitter le pays.C'est ce qui explique, qu'en 1804, Abd el Qadir al Chârif al Derqâoui levait l'étentard de la révolte anti-turque, s'emparait de plusieurs localités du Dahra, dont les tribus combattaient cette fois les troupes du Bey d'Oran Al Manzali. Le chef derquaoui sortit victorieux de ce combat, et en l'espace d'un mois, toute la région entre Miliana et Oran, échappait au contrôle des turcs.
Journal: Vous citez dans votre livre “Histoire de Mazouna"(p.50), le cas du cheikh Belgandouz…
Mr M Belhamissi: Oui, le cheikh Muhammed ibn al Gandouz al Mostaghânmi porta ombrage au dernier bey d'Oran, al Hassan, qui n'aimait guère les Khouans et les trouvait dangeureux. Le bey le fit arrêter et l'éxécuta en1829, à Mazouna.Le cheikh al charif ibn Takkuk lui dédia un poème qui est resté célèbre. Rinn dans “Marabouts et Khouans”, rapporte que la réputation de Belgandouz est grande dans le pays, et que cette éxécution est un des nombreux grièfs du cheikh Senouci contre les turcs.
Le journal: Qu'en est-il de la place et du rôle de l'histoire dans les programmes scolaires?
Mr M Belhamissi: Dans les pays du monde, avancés ou en voie de développement, l'histoire comme matière de formation du citoyen, a une place importante. Malheureu sement, dans le passé récent, cette matière, combien salvatrice, a été, sinon délaissée, du moins négligée. Plusieurs ont nié l'utilité de l'histoire, n'ont vu aucun lien entre le passé et le présent. J'irais même plus loin, en rappelant, que dans ce pays où l'option scientifique, apres avoir aveuglé les dirigeants, était considéré comme le seul pivôt d'une politique scolaire, où on voulait tous être ingénieur ou médecin .En ignorant que cet ingénieur ou ce médecin avaient besoin de connaitre leur racine, et que l'histoire renforcerait leur personnalité. De ces futurs diplomés, leur méconnaissance de l'histoire était devenue telle, qu'ils ignorent l'essentiel du passé de leur société. Cette période lugubre, dieu merci, ayant fait son temps, on revient petit à petit à l'importance de la matière. Et notre souci actuellement, est de savoir, comment l'enseigner avec profit.
Journal: Si vous permettez, revenons à l'histoire des captifs, particulièrement celles des captives d'Islande.
Mr M Belhamissi: En effet, ces événements se sont déroulés en 1627, en Islande, où les marins algériens ont capturé 400 femmes et les ont ramenés en Algérie.Elles se sont toutes mariées à des algériens. Une seule femme a été libérée à cette époque, portant des habits traditionnels turcs, qu'elle a offert au musée de son pays. Ces habits existent jusqu' a nos jours au musée de l'Islande.Il faut souligner que cet évènement historique est suivi avec une grande attention en Islande, à tel point que chaque année, une fête est organisée en son souvenir.Tout récemment encore, j'ai reçu une délégation de ce pays, intéressée par le même sujet.
Journal : Comment vous décrivez l‘état réel des forces entre les forces coloniales et l'armée de l'Emir Abdelkader ?
Mr M Belhamissi: C'est un combat inégal. En 1840, les français disposaient de 110.000 hommes, tandis que les forces de l'Emir Abdelkader ne comptaient que 20.000 combattants. Au niveau de l'armement, il n'y avait aucune comparaison. Catte inégalité des forces avait été compensée par une stratégie fondée sur les guets-apens, les coups-fourrés, un harcèlement sans relâche des forces coloniales et également, l'espionnage. A noter aussi, que l'Emir encourageait les déserteurs français (avec leur armes).Ces techniciens (fabrication d'armes, réparation de canons…) apportaient leur expérience dans l'armée de l'Emir.Aussi, c'est un ambassadeur hollondais, en poste au Maroc, qui a décrit les derniers moments de l'Emir, en mettant en relièf son sens de l'organisation et de l'administration.
Journal : Vous venez de souligner l'activité d'espionnage de l'Emir, précisez cet aspect du combat.
Mr M Belhamissi : C'était les meilleurs services de l'Emir. Les femmes, à l'époque de l'Emir, citadines, épouses de guerriers ou filles de dignitaires, récoltaient les renseignements et les transmettaient à l'Emir ou à ses officiers. Elles observaient particulièrement les mouvements de troupes, les campements. Les femmes avaient beaucoup de taches (préparaient la nourriture, tissaient les habits …) et étaient debout du matin jusqu'au soir. En 1843, après l'attaque de la smala de l'Emir, les Français ont trouvé beaucoup de biens et particulièrement des documents, dont des correspondances d'espions qui informaient l'Emir. Pour plus de précisions, il faut se référer à mon article intitulé « Le renseignement militaire et sa place dans la stratégie de l'Emir ».
Journal : Dans l'entretien préliminaire, vous avez abordé l'enjeu que constituaient les silos de blé dans la guerre que menait l'Emir contre les Français. Qu'en est-il au juste ?
M. M Belhamissi : C'était un combat très serré entre l'Emir Abdelkader et les Français autour des silos de blé. L'Emir a pu aménagé 20.000 silos éparpillés à travers le pays, et avait ses propres méthodes (et codes) pour les identifier, ce que les soldats français n'ont pu retrouver même après le départ de l'Emir.
Journal : Quel était l'état d'esprit des algériens dans leur lutte de résistance ?
M. M Belhamissi : En me référant à mon livre «histoire de Mazouna » je présenterais au lecteur certaines indications. Je citerais des passages de la correspondance de Saint Arnaud décrivant la lutte dans le Dahra : «…Quelle guerre interminable et toujours renaissant plus furieuse. Les Arabes sont de rudes soldats. » (14.10.1845). Dans une autres lettre du 14.02.1846, il affirmera «Quelle guerre! Ces Arabes, ce sont des Chouans, les bons Chouans de 1794.Les chefs leur manquent heureusement et l'union car chaque tribu est un peuple qui agit selon ses passions et dont la tribu voisine est souvent l'ennemie mortelle ».
La révolte dans le Dahra a pris des formes multiples, et ce n'est qu'en 1874 que les premiers colons s'installèrent par la création de villages de colonisation, au milieu d'une hostilité générale. L'insurrection se termina dans un combat des plus tragique : les enfumades du Dahra où Pellissier, chef d'état major du Maréchal Bugeaud, enfuma dans les cavernes de Negmaria un millier d'hommes, de femmes et d'enfants, de la tribu des Ouled Riyâh, avec leur bétail. Saint Arnaud en procédant avec la même cruelle démarche, organisa une autre tragédie, en enfumant, dans une seconde caverne, au sud de Ain Merâne, une fraction des Sbîhs.
A Mostaganem, un groupe de Mouhadjirines préféra quitter le pays plutôt que d'accepter la domination française. Se joignant à d'autres gens de l'Ouest du pays, ils allèrent grossir la colonie algérienne de Fès. (« Histoire de Mostaganem »).
Autre fait de résistance à citer : durant la première guerre mondiale, les travailleurs algériens désertèrent leur régiment, non pour ne pas périr au front, mais pour mener une campagne au milieu des montagnards hostiles aux français venus accaparer les meilleures terres, et exprimer leur opiniâtreté à demeurer libres sur la terre de leurs ancêtres.
M. GHOBRINI


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