La chute d'Alep ne marquera pas la fin de la guerre en Syrie, mais le régime de Damas et ses alliés russe et iranien semblent à court terme en mesure d'imposer leur scénario face aux pays soutenant l'opposition et à une administration américaine sortante. Témoins impuissants de l'agonie d'Alep depuis des semaines, dix pays occidentaux et arabes, dont les Etats-Unis, la France, la Turquie, l'Allemagne, l'Arabie saoudite, le Qatar, se sont réunis à Paris pour évoquer la situation « tragique » de la deuxième ville syrienne. Quartier après quartier, l'armée syrienne soutenue par ses alliés russe et iranien continue de progresser dans la partie orientale d'Alep. «Plus de 70% du territoire [de la ville] contrôlé par les rebelles a été libéré », s'est félicité, dans un communiqué, jeudi 8 décembre, le ministre de la défense russe. Tandis que les rebelles sont de plus en plus acculés dans les dernières poches de résistance à l'est de cette cité symbole du terrible conflit qui ravage le pays depuis cinq ans, Moscou prépare l'après. Des unités spéciales tchétchènes ont ainsi été envoyées en Syrie, pour accomplir une mission de « police militaire » et sécuriser la base aérienne russe située à Hmeimim, dans la province de Lattaquié. Des dizaines de soldats suréquipés s'apprêtant à embarquer sur une piste aérienne sont apparus dans une vidéo rendue publique le 6 décembre et diffusée, jeudi, par un site Internet lié au ministère de la défense, et par des médias russes. « Ramzan, qu'est-ce tu fais ? Rouslan, t'as décidé d'y aller ? », Entend-on sur la bande. « Oui, j'ai décidé d'y aller », répond un militaire. « Qu'Allah vous protège », poursuit la voix. Filmés par un téléphone portable, ces hommes, qui s'exprimaient en langue tchétchène, appartiennent aux bataillons « est » et « ouest » établis sur la base russe de Khankala, à l'est de Grozny, la capitale de la Tchétchénie, une république autonome de Russie à majorité musulmane. Tous arborent des bérets rouges. Scénario tchétchène Le secrétaire d'Etat américain John Kerry, qui quittera ses fonctions dans quelques semaines comme toute l'administration Obama, a annoncé une nouvelle réunion d'experts américains et russes samedi à Genève, parallèlement à la réunion de Paris, « pour tenter de sauver Alep ». Mais la ville est déjà quasiment tombée, le régime contrôlant 85 % des quartiers que les rebelles tenaient avant le 15 novembre. Et Moscou exige le départ de tous les insurgés, assiégés avec des dizaines de milliers de civils dans les dernières poches sous leur contrôle. « Toute l'idée de l'opération est de faire comme en Tchétchénie pendant la deuxième guerre (1999-2000) : écraser la rébellion, leur montrer qu'ils ne peuvent rien contre les armes russes. Du coup, les rebelles peuvent se rendre, fuir ou passer du côté d'Assad », résume l'expert militaire russe indépendant Pavel Felguenhauer. « La menace terroriste demeurera » La communauté internationale semble d'ailleurs avoir intégré la chute d'Alep, ainsi que la reconquête par le régime d'une « Syrie utile », l'ouest du pays d'Alep à Damas, en passant par la province centrale de Homs et la région côtière de Lattaquié. « La partition de la Syrie se profile », mettait en garde récemment le chef de la diplomatie française Jean-Marc Ayrault, tandis que de nombreux diplomates et experts estiment qu'après Alep, Moscou et Damas concentreront leurs efforts sur la province d'Idleb (nord-ouest) encore contrôlée par la rébellion, et notamment par le groupe Fateh al-Cham, ex-branche syrienne d'Al-Qaïda. « Il y a un partage de facto de la Syrie : les Russes à l'Ouest et les Occidentaux de la coalition anti-djihadiste à l'Est », relève sous couvert d'anonymat un diplomate européen, pour qui Moscou a tout intérêt à laisser les Occidentaux s'occuper du « bourbier », les zones contrôlées par le groupe terroriste Daech. Pour autant, même s'ils sont en position de force comme jamais depuis le début du conflit en 2011, Damas et ses alliés n'ont pas gagné la guerre, répètent dirigeants et diplomates, pour qui « on ne peut pas parler de victoire au prix de 300 000 morts et de millions de réfugiés ». « Même si Alep tombe, cela ne changera pas la complexité fondamentale de ce conflit », martèle John Kerry. « La menace terroriste demeurera », « le chaos durable » s'installera, renchérit Jean-Marc Ayrault. Mais s'ils insistent sur la nécessité d'une « solution politique crédible » pour parvenir à la paix en Syrie, les pays soutenant la rébellion ont peu de leviers pour l'imposer. « Assad aurait dû finir pendu depuis longtemps » « On ne va pas prétendre que l'opposition modérée a le vent en poupe », reconnaît un diplomate français. Pour autant, cette opposition dirigée par un ancien Premier ministre d'Assad ayant fait défection, Riad Hijab, « est la seule qui porte un projet et incarne une transition politique crédible », juge cette source. Mais ni Damas ni Moscou n'ont jamais voulu reconnaître sa légitimité, et les négociations indirectes engagées sous l'égide de l'ONU en 2016 à Genève ont à chaque fois échoué. La seule pression dont disposent désormais les pays occidentaux est sans doute d'ordre financier. La Syrie est un pays dévasté par plus de cinq années de guerre, son ancienne capitale économique Alep est un champ de ruines, son économie s'est effondrée, et plus de la moitié de sa population est déplacée ou réfugiée. « On parle de reconstruction, mais il est hors de question de financer une Syrie contrôlée par Assad. On ne payera pas pour les Russes, on ne payera pas pour une fausse paix. Il ne faut pas imaginer que tout va reprendre comme avant, que les fleurs vont repousser, que l'Union européenne alignera les chèques et qu'on tournera la page du conflit syrien », souligne le diplomate français. Mais pour l'expert russe Pavel Felguenhauer, « tout le monde comprend désormais que là où il y a (Vladimir) Poutine, il y a des victoires. Et au Moyen-Orient, tout le monde va faire la queue pour devenir ami avec la Russie. Tout le monde sait qu'Assad aurait dû finir pendu depuis longtemps. Mais il a parié sur la Russie et a gagné». L'Iran se déclare «première puissance de la région» A tous ceux qui en douteraient, l'Iran a tenu à rappeler officiellement son rôle dans la «libération» d'Alep et de manière générale en Syrie. Plusieurs responsables politiques et militaires iraniens ont présenté leurs félicitations au régime et des slogans des Gardiens de la révolution ont fait leur apparition à Téhéran attribuant cette victoire «à la lutte contre les Etats-Unis». Alors que la situation demeure très confuse à Alep-Est concernant le sort de plusieurs milliers de combattants rebelles et de civils, Téhéran a voulu cueillir sans tarder les fruits de cette victoire. Dans la capitale iranienne, des panneaux ont été apposés sur les murs portant l'inscription «la lutte contre les Etats-Unis a encore payé. Alep a été libérée». Un slogan signé des Gardiens de la révolution, la force d'élite du pays, et de la mairie de Téhéran. Téhéran salue le rôle des milices chiites dans la «victoire» d'Alep Selon la télévision d'Etat, le ministre de la Défense, le général Hossein Dehghan, a appelé son homologue syrien Fahd Jassem el Freij afin de «féliciter le peuple et le gouvernement syriens pour les victoires de l'armée syrienne et des forces de la résistance» pour la libération d'Alep des mains des terroristes. Même allusion de la part d'Ali Larijani, président du Parlement iranien, qui a salué «les victoires des enfants valeureux de la région qui ont fait reculer le terrorisme» libérant l'importante ville d'Alep, en Syrie, et bientôt Mossoul, en Irak. Les deux responsables entendaient ainsi souligner le rôle des milices chiites armées, entraînées et encadrées par les Gardiens de la révolution iraniens. A savoir, les milices irakiennes regroupées sous le nom de al Hachd al Chaabi (la mobilisation populaire), les Azaras, des chiites afghans réfugiés en Iran et enrôlés dans la guerre en Syrie et enfin le Hezbollah libanais, fer de lance de l'«axe de la résistance» chapeauté par la République Islamique. Pour bien enfoncer le clou, le général Yahya Safavi, haut conseiller du guide suprême Ali Khamenei et ancien chef des Gardiens de la révolution, en a profité pour affirmer que l'Iran agissait désormais «comme la première puissance de la région». «La coalition entre l'Iran, la Russie, la Syrie et le Hezbollah a permis la libération d'Alep et libérera prochainement Mossoul (...). Cette coalition est en train de l'emporter (...), ce qui renforcera encore le poids politique de la République islamique d'Iran dans la région», a-t-il dit. «Le nouveau président américain élu (Donald Trump) devra accepter cette réalité que l'Iran est la première puissance dans la région», a encore lancé le général Safavi à l'attention des Etats-Unis.