Même si le pouvoir en Iran est partagé entre divers organes et si les grandes décisions sont prises par le guide suprême Ali Khamenei, le président élu au suffrage universel dispose de marges de manœuvre, en particulier dans le secteur économique. Quatre candidats vont solliciter les suffrages de 56,4 millions d'électeurs, dont les deux principaux sont le président modéré sortant Hassan Rohani, allié des réformateurs et le religieux conservateur Ebrahim Raissi. Avec un taux de chômage de 12,5% — 27% chez les jeunes — et une croissance de 6,5% en 2016 essentiellement due à la reprise des exportations de pétrole, l'économie est l'enjeu principal de ce scrutin. Le président Rohani a réussi pendant son premier mandat à réduire le taux d'inflation de près de 40% à environ 9,5% (chiffres officiels) et à conclure un accord avec les grandes puissances sur le programme nucléaire de l'Iran qui a permis la levée d'une partie des sanctions internationales qui le frappaient. «Rohani a freiné le déclin, mais a imposé trop d'austérité», estime Djavad Salehi-Isfahani, professeur d'économie d'origine iranienne qui enseigne aux Etats-Unis. Il a récemment annoncé une hausse des aides directes aux plus pauvres, insuffisante selon ses adversaires conservateurs qui l'accusent d'avoir gouverné pour 4% de la population la plus riche. Le gouvernement Rohani a estimé à 50 milliards de dollars par an les investissements étrangers nécessaires à la relance de l'économie. Mais les investisseurs et les grandes banques internationales restent réticents en raison de l'attitude des Etats-Unis qui ont renforcé les sanctions non liées au programme nucléaire, ainsi que du système économique et financier opaque de l'Iran. De l'aveu même du 1er vice-président iranien Es-Hagh Jahanguiri, il y au depuis l'entrée en vigueur de l'accord nucléaire en janvier 2016 «entre un et deux milliards» d'investissements étrangers directs. Ali Khamenei et les candidats conservateurs insistent sur la priorité qui doit être donnée à «l'économie de résistance» axée sur la production et les investissements nationaux. La grande inconnue du scrutin présidentiel est le taux de participation. De nombreux Iraniens, surtout parmi les moins riches, se font peu d'illusions sur les changements qui pourraient intervenir dans leur vie quotidienne à l'issue du scrutin, quelle qu'en soit l'issue. «Le régime a besoin de participation, c'est ce qui lui importe le plus, pas le résultat», affirme Clement Therme de l'Institut international d'études stratégiques (IISS). Le guide suprême a appelé à une participation massive comme un moyen «d'intimidation des ennemis» de la République islamique. Approuvé par Ali Khamenei en personne, cet accord a permis une levée des sanctions internationales contre l'Iran en échange de son engagement à travailler sur un programme nucléaire strictement civil. Il n'est dès lors remis en cause par aucun candidat. Mais Ebrahim Raissi a accusé Hassan Rohani d'avoir été «faible» pendant les négociations et de ne pas avoir su tirer avantage de l'accord. Plus que de l'Iran qui applique l'accord à la lettre, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), son avenir dépend des Etats-Unis. Depuis l'arrivée au pouvoir du président républicain Donald Trump, les relations entre Téhéran et Washington n'ont cessé de se dégrader. Rohani avait placé l'amélioration des libertés publiques au centre de sa campagne électorale de 2013, mais à échoué face à l'intransigeance du pouvoir judiciaire et des services de sécurité. Les arrestations et intimidations à l'encontre de journalistes, d'étudiants, d'artistes ou d'hommes d'affaires accusés d'agir contre la République islamique avec l'aide de ses «ennemis» étrangers, n'ont pas cessé pendant quatre ans. M. Rohani vient d'attaquer ses adversaires conservateurs en affirmant: «Je suis candidat pour dire aux partisans de la violence et aux extrémistes que leur époque est révolue». Une société combative D'autres misent plutôt sur un développement de l'économie « à la chinoise » : ce sont les Pasdarans, ceux qui ont combattu contre l'Irak et veulent aujourd'hui la place qu'ils estiment leur être dus. Enfin le clergé, traversé par des tensions et des positions bien souvent opposées sur l'évolution de la société, reste arrimé au pouvoir. Au milieu de ces rivalités, il y a la société iranienne qui n'a jamais été aussi combative. Il y a les femmes qui luttent pour l'égalité et la liberté et que l'on retrouve souvent au premier rang des manifestations. Mais aussi le cinéma qui, malgré la censure, décrit très bien la société iranienne, ses limites et sa façon de se jouer des interdits. Et encore la création littéraire, où là aussi, les femmes sont de plus en plus présentes. Sans oublier la place indétrônable des grands poètes, Hafez, Rumi, véritable patrimoine que les Iraniens conservent jalousement. Une société en pleine évolution La réélection de Hassan Rohani ou l'élection d'un nouveau candidat, le 19 mai, ne changera pas la réalité d'une société en pleine évolution, malgré une situation économique toujours à la peine et des libertés surveillées. Bernard Hourcade, directeur émérite au CNRS français, décrypte bien les fondements de cette société basée sur les « trois i », l'Iran (au sens du peuple, de la culture, etc.), l'islam et l'international. Depuis la mise en place de la République islamique en 1979, ces trois forces s'opposent et rivalisent. Selon le chercheur, si « l'équilibre du pays reste fragile », c'est en raison de la place excessive donnée à l'islam. L'Iran demeure pour l'Occident un pays complexe avec de multiples pouvoirs. Une partie de ses dirigeants, comme le président sortant, Hassan Rohani, souhaitent la « normalisation » des relations avec la communauté internationale. Mais après la signature de l'accord sur le nucléaire avec les Etats-Unis, en juillet 2015, cette normalisation se fait encore attendre.