"Ce que je peux vous dire, c'est que la ville est sale et se clochardise de plus en plus, on a l'impression qu'il y a un vide administratif et ce à tous les niveaux, elle reflète une image de désolation, surtout Ain Sefra, est il possible que les autorités regardent un tel spectacle sans réagir? Mostaganem aujourd'hui présente deux faces, l'une merveilleuse quand on pense à elle au passé et l'autre face cachée, celle d'une ville martyrisée. Il suffit de regarder, l'état de son jardin public squatté. Tout cela contredit les grands urbanistes qui ont dit :" La ville est une fête", ce qui n'est pas le cas pour la ville des mimosas, par l'aspect qu'elle dégage. ♦ R: Qui est Djelloul Benderdouche? ♦ D. B: Djelloul Benderdouche est issu d'une famille composée de 14 membres et pauvres mais dignes, avec un cœur riche de sa pauvreté, mais qui l'ignore depuis. Je suis né en 1935 dans le quartier de Tobana Mostaganem, qui veut dire en Français Poudrière. J'ai obtenu mon certificat d'étude en 1937, à l'école Medjahers et en 1944 mon Bac, puis j'ai fais mes études à Alger, dans l'unique université, qui existait dans toute l'Afrique du Nord à l'époque. Vous savez dira-t-il, j'ai choisi la pharmacie, par accident étrange n'est ce pas? Mais ce choix me permettait de subvenir aux besoins de ma famille. Aussi pour que vous soyez au fait, l'ouverture de ma pharmacie s'est faite grâce à quelqu'un auprès de qui, j'ai put contracter un prêt, parce que je n'ai trouvé aucune aide auprès des riches de la ville de Mostaganem et j'ai dut galérer plus de 6 ans. ♦ R. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours, précédent l'indépendance? ♦ D. B. Est-il nécessaire de parler du passé, dira-t-il. Mais puisque vous insistez. En 1943 je suis devenu un militant de l'UDMA, j'ai fait mon devoir dans la clandestinité comme tous les frères de l'époque. Jai été arrêté au mois de janvier 1957 pendant la grève des 8 jours. J'ai été interné dans le camp d'Arcole "Bir El Djeir" ,qui venait juste d'ouvrir, puis transférer après une grève de 3 jours, au camp de St Leu "Betthioua". Dans ce camp je suis devenu le médecin attitré de plus de 1000 prisonniers, j'ai dut me substituer au médecin, qui ne venait que très rarement, nous devions faire avec les moyens du bord. Pendant notre séjour, nous nous livrions, à toutes sortes d'activités pour meubler le temps, à savoir; les cours d'arabe, la poésie, le théâtre, même les sketchs avec le célèbre comique Hassan El Hassani dit Boubegra, un homme de cœur, courageux et sociable que dieu l'accueil en son vaste paradis, il y avait avec moi, Bengeuttat Houcine, Med Belhadj. Djelloul Nacer et d'autres. Après une autre grève de 4 jours, entamée à la suite de l'affichage de prospectus ou on lisait "L'Algérie vivra Française", par l'autorité du camp et en protestation contre l'enfermement d'un certain Kadri. Cette grève me valut, avec quelques autres compagnons un autre transfert au camp d'Arcole, ou j'ai subi les affres de la torture et de la brutalité, et de là à Daya "ex Bossuet" Telagh. Le 14 juillet 1957, j'ai été libéré et j'ai pu obtenir l'autorisation de ré-ouvrir ma pharmacie mais j'étais toujours surveillé, car le 15 août de la même année j'ai été arrêté, cette fois avec mon frère Abdelkader, un malade du diabète, qui n'avait d'ailleurs rien à voir avec mes activités, il sera relâché quelques jours plus tard, ce fut un soulagement pour moi. Après mon arrestation j'ai été emmené à la P.J, de l'avenue Raynal ou il y avait déjà Kaddour Benantar, Benzaza Med et d'autres, nous avons encore subi toutes sortes de tortures pires que ceux pratiquées, par les Nazis. Cette arrestation était en rapport avec mes activités, à savoir accusé d'avoir collecté des fonds, et fournit des médicaments aux maquis, ainsi que pour complicité dans l'organisation d'une tentative d'évasion pour 200 soldats avec armes et bagages de la caserne, aujourd'hui devenue université "ex ITA", mais qui avait échoué et ce à la suite d'une trahison. J'ai passé des moments d'horreur surtout à Ain Tedles, ou j'ai été enfermé dans une cuve sous terre avec d'autres malheureux, pendant plusieurs jours, puis condamné à 10 ans de prison et à une amande de 5 millions de centimes, j'étais ruiné. De là j'ai été envoyé à Berrouaghia, ce n'est qu'au mois de janvier 1962, que j'ai été relâché, ce qui ne m'a pas empêché de continuer mes activités, à savoir pourvoir la population de Tijditt en médicaments et Dieu merci j'ai put assumer cette responsabilité. A l'indépendance j'ai repris ma pharmacie pour m'y consacré, jusqu'en 1967 ou j'ai été élu comme maire jusqu'en 1975, et rappelé en 1991 pour être à la tête du DEC, pendant 6 mois. ♦ R. Pouvez-vous nous parler de votre expérience en tant que maire de la première APC de Mostaganem. ♦ D. B. Vous savez, je n'ais jamais été ambitieux, mais cette responsabilité de premier maire élu, après la délégation spéciale, qui a été dirigée par le défunt Adda Benguettat à qui je rends un grand hommage, allait dans la continuité du combat, celui de la construction du pays. Même si elle m'a été imposée, je dirais que cela a été une riche expérience. Lorsqu'on me l'a proposé, j'ai refusé et il a fallut l'insistance du wali de l'époque Attar Houari et Benoueguef, ainsi que plusieurs personnalités de la ville. Ce que je peux dire, sur cette époque, c'est qu'avant tout, j'ai eu la chance d'avoir des hommes intègres et honnêtes, qui ne m'ont jamais déçus, tels que Ouaddeni, Benhameur,Boukhoudmi, Sebbane, Benbouzid, Belazeddine et d'autres . Après l'élection il fallait travailler, malgré les difficultés le manque de moyens matériels financier et humains, tels que les professionnels, les techniciens et spécialistes dans les différents corps et filières, non moins importantes, pour donner à la ville les moyens du décollage et croyez moi ce n'était pas facile, cependant nous avons misé sur le civisme et sur l'aide, d'ailleurs tout le monde était motivé du simple citoyen, à l'élu au responsable pas comme aujourd'hui. Un soupir et d'ajouter: Ah! si nous avions à l'époque les moyens dont dispose le pays, je crois que cette ville serait devenue un paradis pour la population, hélas. Nous à notre époque, nous nous sommes attelés, aux priorités et aux choses les plus importantes, tels les découpages en créant 3 annexes, pour faciliter la vie au citoyen en matière administrative pas comme aujourd'hui. Nous avons procédé à la couverture des trois ponts, dans le but de ressusciter l'ancienne place Gambetta, nous avons déplacé le marché de gros des fruits et légumes vers Sayada, pour libérer la ville de l'encombrement, l'ancien devait être transformé en lycée mais cela n'a jamais été réalisé, c'est les services techniques de la commune, ont pris possession des lieux. Nous avons aussi créé des crèches pour enfants et construit plusieurs écoles. Pour Ain Sefra il fallait canaliser l'oued, un grand projet était prévu, mais nous ne pouvions faire de grandes choses vu le manque de budget, cependant une chose est certaine nous avions pour priorité l'hygiène et je ne sais pas si vous vous souvenez la ville était d'une propreté parfaite, toute personne étrangère qui venait visiter notre cité était en contemplation, idem pour les vestiges qui faisaient l'histoire de Mostaganem et je déplore les destructions de ces derniers, car c'est un crime et je dirais un sabotage, pour les Mostaganémois. ♦ R. parlez nous du plan de Constantine. ♦ D. B. Il n'a concerné que la périphérie de la ville c'est-à-dire l'extérieur, non l'intérieur de la cité, ce qui est dommage. Je vous dirais seulement que certains projets même s'ils ont été repris, ils n'ont pas fait l'objet d'études très poussées, mis à part le pont du 17 octobre, que l'on appelle "Pont deDallas". Pour ce qui est d'Ain Sefra, il fallait continuer à partir du pont de Tobana, mais cela n'a pas été fait, voyez vous c'est une déception totale pour une ville d'une telle importance, malheureusement comme je vous l'ai dit nous n'avions pas d'argent, pour procéder à de tels projets, avec la volonté qu'on avait on aurait put la rendre plus belle, car elle l'était déjà. Un grand travail a été fait et ce par nos propres moyens et les habitants peuvent en témoigner. ♦ R. Votre impression aujourd'hui. ♦ D. B. Adieu cette joie de vivre, oui adieu et mon impression c'est qu'aujourd'hui l'aspect de cette ville a changé en négatif et cela se reflète, à travers le comportement et imprime au citoyen un caractère de morosité et de tristesse, avec une absence totale d'esthétique et d'espaces vert pratiquement inexistants. Aussi mon souhait c'est que l'on prenne conscience de cet état si dégradant, afin de remédier à tout ce gâchis. Pour conclure il fera une réflexion, à retenir certainement, il dira: " Vous savez, c'est à partir de réflexions et à la faveur de l'enseignement, que se définit la responsabilité et l'acte à travers le temps pour les générations futures, c'est sur cela que l'on juge les hommes. M. Djelloul Benderddouche ne cache pas sa déception, il dira: "On ne peut calquer sa théorie sur des idées purement abstraites, car tout prétexte, poussera plus loin la réflexion sur ce qui est important pour le citoyen, aussi tout élu doit œuvrer à réduire la distance qui le sépare de celui ci. La réflexion dira-il est l'apanage des hommes qui se dévouent pour le pays, elle permet d'ouvrir ce champ si vaste au mécanisme de construction et de représentation des choses, contrairement à celles dites abstraites, qui renvoie cette fausse image, d'où le refus de toute pensée des autres, qui pourrait symboliser l'intégrité et l'honnêteté que nous avons de tout temps défendues. Il met cela au compte du gâchis et du contexte qu'il va falloir assumer si l'on veut se corriger pour réussir. C'est en marge de l'entretien qu'il tiendra à notre intention ces propos, tellement énonciateurs et lourds de sens, à croire que l'homme était perdu dans ses pensées et qu'il était loin de tous ces bouleversements, et semble revenir de loin, ses confidences sont une source d'informations et de connaissances jamais égalées.