Il n'est de secret pour personne que la colonne vertébrale de l'Algérie est cette frange de la population qui ne demande rien. Chez les gens de Rahouia, le grenier à blé de l'Algérie, tout est sincère. On sent la chaleur dans l'accueil, le sourire, la poignée de mains, l'accolade et la tape sur l'épaule. L'Emir Abdelkader et Bouamama ont élu domicile chez les valeureux aïeux de ceux-là qui libérèrent hier l'Algérie et la nourrissent aujourd'hui et leur choix n'était pas fortuit. Ici, vous êtes chez les Flitas. Leurs ennemis leurs ont toujours reconnu cette témérité et cette bravoure innées et qui ont fait dire en substance à un écrivain témoin du dix-neuvième siècle qu'un Fliti est toujours assis sur son épée. Toujours prêt à dégainer. Ceux qui ont toujours refusé de verser un tribut aux Empereurs français et ottoman, refusent et refuseront toujours de cautionner la débandade et pourtant… ils souffrent. Ils souffrent dans le silence et sourient. Ici, même l'eau manque. Pour étancher sa soif, il faut se réveiller de bonne heure et veiller jusqu'à l'aube. Les coupures fréquentes d'électricité, les étés poussiéreux, le malvie, le chômage, l'oisiveté font partie de la vie et l'on vous rétorque : « Hamdoulillah ». Jeudi dernier, chez ces gens-là, la commémoration de Youm El Ilm, la Journée de la Science, a commencé un jour avant celle de l'Algérie officielle. C'est dire toute l'importance que l'on donne à l'événement. Le Collège d'Enseignement Moyen Base 5, flambant neuf, qui sera baptisé incessamment à la mémoire du chahid TAGHIA Adda, situé à la sortie ouest de la ville, soulage bien depuis peu les gamins et gamines en rose et blanc. Il n'est plus question de temps perdu en trajet, de têtes recourbées par le vent ou le froid ou de dangers de la circulation routière. Le collège est noyé dans une ondée de couleurs. Dès la porte franchie, ce sont deux gardiens ou factotums qui d'eux-mêmes se sont proposés à l'accueil vous mettent à l‘aise et vous accompagnent jusqu'à la salle des professeurs reconvertie pour l'occasion en salle des fêtes. Et ce, non sans avoir admiré une exposition de peintures des collégiens, artistes en herbe, qui n'a rien à envier aux grands maîtres sauf le flagrant et frappant manque de moyens. Après qu'une chorale eut entonné le fameux chant patriotique composé par Ibn Badis et connu sous « Chaâbou L'Djazaïri Mouslimoun », le Peuple algérien est musulman, et un madih, éloge au prophète Mohamed, paix et salut sur lui, l'assistance applaudit fort la pièce de théâtre que présentèrent les petits génies. La main des professeurs sur la graine des petits acteurs déguisés en grands étaient bien visible. Un petit Ibn Badis sous une fausse petite barbe éblouit l'assistance par l'éloquence de son discours et l'habileté de ses gestes. M. Adda KHALFA, le directeur du collège était au summum de la joie. Pour Si Adda, c'est un bonheur que de réussir avec celles et ceux qui ont relevé avec lui le défi de faire de ce nouveau collège un fleuron de l'institution qui passe par de fortes perturbations. Cet infatigable fils de Chahid, bien noté par le président de l'Association des Parents d'Elèves, M. Boudali Benhbel, se dit encore en dessous des espérances. La modestie personnifiée. M. Boudali BENHBEL, lui-même ancien enseignant ne distribue pas les bonnes notes à la volée. C'est la rigueur. Quand il vous dit que ça marche bien pour les enfants, c'est que ça marche bien. L'énergique madame Mimouna MOSTEFAI, une âme bien née, tout sourire, sentait la joie de la satisfaction du devoir accompli et la foi en la réussite certaine de ces innocents qui, un jour seront le commandant de bord de l'aéronef, le juge, le wali, le ministre ou le patient et honnête enseignant comme elle et ses pairs. Elle ne manqua pas de fixer à jamais les festivités sur du numérique, événement et modernité obligent. L'aimable et avenant Sid Ahmed ABDELLAH, au verbe facile, qui sait si bien discourir pour relever et rehausser toute la noblesse de sa mission, et qui sait aussi faire parler les gens, a montré que dans un village aussi reculé soit-il, on peut bien faire malgré le manque de tout. L'heure est aux sacrifices chez soi à Rahouia plutôt qu'attendre une quelconque gratification personnelle. Etant donné qu'une pioche ne va pas sans son manche, comme dit l'adage de cette belle contrée d'Algérie, l'on verrait mal au collège le gentil Sid Ahmed sans M. Noureddine KORICHE. La bonne paire. L'abnégation dans la joie et l'amour pour ce beau pays et pour ses enfants. Vigueur et patience sont de mise. L'équipe polychrome du CEM Taghia , dépassant la partisannerie, les conflits sociaux, la cherté de la vie, le rêve de la promotion et même la soif, s'atèle à faire de la classe un lieu de villégiature à l'enseignant et à l'élève. Un lieu où il fait bon y être et que l'on sache que c'est une première en Algérie que de voir des tables d'école tapissées dans des classes pavoisées et des élèves fiers de leurs chefs-d'œuvre, car ils sont les vrais maîtres de l‘ouvrage. Au pays des Flita, on ne se fie pas aux normes. Les gens se plient aux besoins des autres. Ainsi, l'on découvre parmi le corps enseignant du nouveau CEM, une jeune demoiselle spécialisée dans les sciences de la communication qui devrait en principe manier le verbe et la plume, réduite à professer une langue étrangère ou à surveiller une cour de récréation. D'autres encore plus jeunes, attendent leur titularisation, comme il est courant de nos jours, ce bout de papier qui fera d'elles et d'eux officiellement des enseignants, donc des enseignants à part entière. Un rêve. Et pourtant, il suffit d'un petit geste de la main de quelqu'un d'autre. Et de petits gestes de la main, la « chikha » et « chikh », comme on appelle ici l'enseignant, en font des milliers par jour. Des gestes à donner la crampe aux mains et des explications à rendre aphone. On se plait au pays verdoyant des Flita, ces gens humbles et respectueux des traditions ancestrales où l'épi doré nourricier côtoie la djellaba et le burnous qui, humides par les rudes journées d'hiver vous imprègnent de cette odeur de laine humide si chère aux aïeux comme l'est aussi l'odeur du baroud, cette poudre de salpêtre et de souffre, qui raie les canons des fusils des braves cavaliers. On se plait à vivre à la sueur de son front. Pas plus. On vit la tête haute dans un silence quasi religieux et dans la dignité.Au pays verdoyant des Flita, on enseigne et on se tait. Au pays des Flita, on quitte les cérémonies avec « Kassaman », l'hymne national. Elèves et enseignants oublient vite les prix de meilleure salle de classe, meilleure interprétation ou d'autres encore qu'ils ont décrochés dès que résonne ce stimulant « Kassaman ». Et comme l'a si bien résumé un enseignant : « Pour moi, c'est encore un START pour aller vers une Algérie meilleure et en laquelle j'y crois. »Au pays vertueux des Flita, on ne fait pas de grève ! Au pays des Flita, on attend toujours que l'Algérie reconnaisse les siens.