Si la campagne présidentielle a pris l'allure d'un duel Nicolas Sarkozy-Ségolène Royal, l'irruption d'un troisième rival, François Bayrou, et la multitude de candidatures de l'extrême gauche réduisent la marge de manœuvre de la candidate du Parti socialiste français. Face aux enjeux de la mondialisation, de la construction européenne, aux défis économiques et sociaux internes, la France reste visiblement en quête de son nouveau rôle et d'une nouvelle identité, oscillant entre tendances lourdes du libéralisme et acquis hérités de son propre modèle. Alors que Sarkozy assume franchement sa volonté d'un axe Londres-Washington, comment le PS pourra-t-il à la fois assumer les valeurs de cet axe représenté par Tony Blair, George Bush, Angela Merkel, et la demande sociale et politique d'un électorat de gauche contestataire de l'ordre actuel ? Comment réagira une certaine France gaulliste peu ou prou encline à suivre l'actuel ministre de l'Intérieur ? Contrairement au premier tour des présidentielles de 2002 marquées par une forte abstention, la défaite de Lionel Jospin et la montée de l'extrême droite avec 16% des voix, l'élection de 2007, avant même le décret de convocation des électeurs, le 22 février, suscite déjà un intérêt passionné ou désabusé. Pour la première fois, également, le scrutin n'oppose pas seulement un candidat gaulliste à un candidat socialiste, avec ou sans l'arbitrage de formations d'extrême gauche et d'extrême droite nationaliste. La campagne 2007 met en scène trois présidentiables, représentants d'une nouvelle génération politique :- Sarkozy qui, fort d'une détermination et d'une ambition que lui reconnaissent ses plus vifs adversaires, a su capter deux courants, l'ultralibéral et celui incarné par une partie de l'extrême droite musclée hostile aux étrangers et immigrés ; - Ségolène Royal, certes issue du PS, et collaboratrice de François Mitterrand, mais incarnant une nouvelle génération, libérale aussi, et se voulant porteuse d'une modernité économique et sociale, écologique ; - François Bayrou, centriste défendu par des gaullistes inquiets du projet Sarkozy, voire des électeurs du Parti socialiste. Enfin, mais cela constitue-t-il vraiment une surprise dans le contexte de la montée de Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Le Pen, à la veille de la publication, le jeudi 22 février, du décret de convocation des électeurs à la présidentielle, avait quelques difficultés à récolter les 500 signatures nécessaires. Trois inconnues, malgré les sondages donnant une avance de Sarkozy sur Ségolène Royal, pèsent sur l'issue du scrutin. Comment réagira l'électorat gaulliste, et comment réagira la base socialiste traditionnelle, qui devra voter utile et disciplinée dès le premier tour, alors qu'une multiplicité de candidatures d'extrême gauche défavorise, comme ce fut le cas en 2002, la candidate du PS ? L'extrême gauche demeure, certes, le reflet de courants réels, des Verts à l'altermondialisme de José Bové, et de la traditionnelle Lutte ouvrière au PCF à la Ligue révolutionnaire. En fait, le paysage sociologique de la France de 2002 n'a pas véritablement été bouleversé. Au plan politique, la droite libérale s'est radicalisée comme en témoigne le plébiscite de Sarkozy. L'aveu de Jacques Chirac qualifiant son ministre de l'Intérieur de trop « libéral », est à cet égard éloquent. Les questions de fond demeurent. Elles portent pour l'essentiel sur l'avenir du modèle français dans une Europe en élargissement à l'Est, soit un renforcement de l'atlantisme au profit des Etats-Unis, et son statut sur l'échiquier politique et économique mondial, ce qui suppose des réformes internes ou des solutions récusées par la société de gauche et la société héritée du gaullisme. L'enjeu de 2007 constitue un tournant car il est celui de l'orientation politique stratégique de la France. « Les Français qui aspirent à un profond changement dans leur vie quotidienne, peut-être même à un bouleversement radical du paysage politique, ont bien intégré les thèmes récurrents, ils ont également bien observé l'évolution de leur pays et de leur mode de vie depuis trente ans ; ils savent désormais que rien ne changera ni avec une politique de gauche traditionnelle, ni avec une politique de droite traditionnelle. Jusqu'à preuve du contraire, la tendance lourde est quand même la rupture de confiance qui existe entre le peuple et les hommes politiques professionnels », peut-on lire dans Agora Vox. « Alors vers qui faut-il se tourner ? les altermondialistes jugés trop “gauchistes” ou “idéalistes” ? les centristes jugés trop “mous” ? les libéraux jugés trop “outrageusement capitalistes” ? les nationalistes taxés de faire trop de... “nationalisme” ? Comment parfaire le « modèle français, dans le modèle européen, dans le modèle global, sans qu'il y ait un sensible impact négatif sur la vie quotidienne de chaque individu, si l'on tient compte de ce que sont réellement l'hyper-capitalisme et la mondialisation, et leurs conséquences ? » Or, si les choix atlantistes de Nicolas Sarkozy font peur aux classes moyennes françaises et aux sensibilités dites de gauche, le programme de la social-démocratie dans la version actuelle du PS ne rassure pas nécessairement ceux qui votent traditionnellement socialistes. Pour Mme Royal, cependant, « la France n'est pas la synthèse impossible de l'Ancien Régime et de la Révolution ». Sarkozy a bien tenté de se réclamer de l'héritage de Jaurès, curieusement pas de De Gaulle, sa sortie a été ressentie comme une tactique de campagne. En matière de politique étrangère, le choix n'est pas plus large. Sarkozy et Ségolène Royal s'accordent au moins sur la nécessité de la Constitution européenne, projet relancé actuellement par la présidence allemande de l'Union européenne, lors d'une réunion en Espagne. Dans le cas d'une victoire de Sarkozy, l'alliance avec la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les Etats-Unis se consoliderait. Qu'en sera-t-il de l'intégration de la Turquie, et surtout de la politique avec la Russie de plus en plus opposée à un monde unipolaire, comme vient de le réaffirmer Vladimir Poutine. Au Proche-Orient, sa victoire se traduirait par une consolidation des rapports avec Israël. Quel sera le statut de la France en Afrique, un continent sur lequel lorgne ouvertement Washington ? Plus prudent dans ses soutiens à la politique américaine, le PS ne se démarque pas fondamentalement d'un atlantisme récusé au contraire par les vieux gaullistes. En attendant, le souvenir de 2002 et du passage de Le Pen au second tour a dopé une population décidée à s'inscrire et voter. Mardi 20 Février 2007 Par Chabha Bouslimani, La Tribune-Algérie