De Marseille à Lille, et de Brest à Strasbourg, les Français ont voté en masse hier pour un choc final entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal pour la présidence, en donnant, au premier tour, un avantage au candidat de droite devant sa rivale socialiste, selon les premières estimations. Dans un scrutin dont l'importance était qualifiée d'“historique”, M. Sarkozy a obtenu 29,6% devant Mme Royal, qui recueille 25,1%, selon les estimations de quatre instituts de sondage diffusés à 20h locales (18h GMT). Le centriste François Bayrou a raté son pari “d'arracher le pouvoir” à la droite et à la gauche, mais effectue une percée majeure en obtenant 18,7%, et ses électeurs seront au centre de la bataille du second tour, le 6 mai. Le chef de l'extrême droite, Jean-Marie Le Pen, avec 11,5% n'est pas parvenu à rééditer le choc de 2002 quand il s'était qualifié pour le second tour au détriment du candidat socialiste Lionel Jospin. Les huit autres candidats — dont cinq de la gauche radicale — n'ont obtenu que de faibles scores. La participation a été très forte, preuve de l'engouement pour les Français de ce scrutin visant à désigner le successeur, pour cinq ans, de Jacques Chirac, 74 ans, qui quitte la scène après 12 ans au pouvoir. Le 6 mai, 44,5 millions d'électeurs seront donc appelés à retourner aux urnes pour départager Mme Royal, 53 ans, première femme à avoir des chances sérieuses de devenir présidente en France, et M. Sarkozy, 52 ans. Cet affrontement — celui de la gauche contre la droite, d'un homme contre une femme, de deux personnalités opposées, mais manifestant toutes deux une certaine poigne et une volonté affichée de faire de la politique autrement — promet de passionner la France. Avec “Ségo” ou “Sarko”, c'est une nouvelle génération qui s'apprête à prendre le pouvoir. M. Sarkozy va devoir gagner les voix de l'extrême droite et du centre. Il devra s'efforcer d'apparaître en “rassembleur”. Pour pouvoir l'emporter, Mme Royal va devoir mobiliser largement contre M. Sarkozy, dont elle a dénoncé la “brutalité” durant la campagne. Après ce premier tour, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal vont se livrer à une bataille acharnée pour récupérer les voix du centre, clef du scrutin. Se dessine également la perspective d'un deuxième tour le 6 mai susceptible de tourner au “référendum pro ou anti-Sarkozy”. La grande inconnue du second tour sera le report des voix lancées par le centriste François Bayrou. Bayrou a fait recette en candidat antisystème prônant le dépassement du clivage gauche-droite et a fédéré, bien au-delà du centre, les voix d'électeurs de droite et de gauche déçus ou effrayés par Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal et longtemps restés indécis. Autre réservoir, les voix de l'extrême droite. Le Pen donnera le 1er mai ses consignes. En apparence, ses partisans pourraient choisir Sarkozy. Mais Le Pen, qui a passé son temps à lui dénier le droit de guider la France en raison de ses origines étrangères, aura du mal à se déjuger. Ségolène Royal peut, elle aussi, profiter de l'électorat “lepéniste”, en partie braqué contre Sarkozy, et récupérer jusqu'à 20% de ses voix, estiment les politologues. D'autant que Le Pen pourrait ne pas soutenir le candidat de droite et ne donner, comme en 1988 ou en 1995, aucune consigne de vote. Ségolène Royal peut aussi escompter un report massif des voix rassemblées par les candidats communistes, trotskistes, écologistes et altermondialistes. Malgré les critiques sur sa personnalité ou son programme, la socialiste férue d'“ordre juste” a réussi dès le premier tour à fédérer autour d'elle la gauche modérée, et ses appels au “vote utile” après l'élimination du candidat socialiste en 2002 semblent avoir été entendus. Mais pour espérer l'emporter le 6 mai, Royal, première femme propulsée en finale d'une présidentielle, doit créer une nouvelle dynamique, jugent les analystes. Et ce, “sur une base plus positive” que le positionnement “tout sauf Sarkozy” déjà largement exploité. Tous les sondages publiés avant le premier tour donnaient Sarkozy gagnant face à Royal. Mais les sondeurs répètent tout le temps qu'ils ne sont pas des prophètes. Y. K.