Profitant de sa présence depuis quelque temps à Sétif, dans le cadre du tournage d'un nouveau film documentaire dont le titre Ne restent dans l'oued que ses galets est ancré dans l'adage populaire algérien, le réalisateur Jean-Pierre Lledo a projeté, mercredi dernier à la maison de la Culture, son film Un Rêve algérien. Ce documentaire réalisé en 2003 est consacré à Henri Alleg, journaliste, écrivain et militant anticolonialiste qui fut directeur d'Alger républicain de 1950 à 1955. Encore une fois, il est désolant de constater que cette production de haute facture, qui retrace à travers une démarche captivante une partie de l'histoire de l'Algérie, s'est faite devant une très faible assistance (34 spectateurs exactement), en raison d'une déficience en matière d'information. Pour revenir à la production de Lledo, Un Rêve algérien, elle se veut le flash-back d'un personnage qui a marqué par son militantisme, à l'instar de ses camarades, une époque de l'Algérie sous le joug colonial. En effet, tout comme il était venu par bateau en 1939, alors qu'il n'avait que 18 ans, Henri Alleg (né Harry Salem) a accepté d'accompagner le réalisateur en retournant dans le pays, 40 ans plus tard, pour sillonner ses vastes régions et retrouver ses anciens compagnons de l'époque coloniale. Dans un style à la Dziga Vertov, la caméra de Lledo immortalise merveilleusement les nombreuses retrouvailles jonchées d'émotions, de nostalgie et de fraternité. C'est ainsi qu'on découvre les rencontres poignantes avec Abdelkader Benzegala ou Eliette Loup (agent de liaison d'Henri Alleg en 1957), avec le jardinier et « le rebelle » de Cherchell, Saâdoun, et avec les anciens confrères d'Alger républicain - le seul quotidien anticolonial de l'époque -, comme feu Abdelhamid Benzine, Boualem Khalfa, Lucette Hadj Ali, Denise Duvalet et autres Aïssa Baïod. En retournant sur certains lieux après cette longue période, Alleg se remémore la terrible année 1957 où il a vu pour la dernière fois son camarade Maurice Audin. La même année marque aussi son arrestation par les parachutistes du général Massu dans cet immeuble d'El-Biar, qui demeure aujourd'hui anodin et ne porte aucune plaque témoignant de ces faits marquants. C'est du 6e étage de ce même immeuble qu'a été poussé le regretté Ali Boumendjel. L'auteur de la Question revient aussi sur les sinistrement célèbres villa Susini et prison Barberousse, où la torture et les humiliations subies par de nombreux nationalistes algériens se conjuguaient au pluriel. Avec la démarche, délibérément choisie par le réalisateur, de faire un film non pas sur Henri Alleg mais avec Henri Alleg, qui a d'ailleurs lui-même exigé de ne pas apparaître comme un héros, le spectateur peut se donner l'opportunité de fouiner dans une partie oubliée de l'histoire de l'Algérie. Celle où plusieurs communautés d'Algériens rêvaient, comme l'a souligné le réalisateur à la fin de la projection, d'une Algérie débarrassée de toute haine religieuse, raciale ou ethnique. Il convient de rappeler, enfin, que le film Un rêve algérien a reçu le prix de la communication interculturelle documentaire au 20e festival « Vues d'Afrique » de Montréal. M. H. G.