CLXXXXVIIIe nuit Ce fut alors que Noureddin rentra tout de bon en lui-m?me et qu?il reconnut sa faute irr?parable de s??tre fond? si facilement sur l?assiduit? de ces faux amis ? demeurer attach?s ? sa personne et sur leurs protestations d?amiti? tout le temps qu?il avait ?t? en ?tat de leur faire des r?gals somptueux et de les combler de largesses et de bienfaits. ?Il est bien vrai, dit-il en lui-m?me, les larmes aux yeux, qu?un homme heureux comme je l??tais, ressemble ? un arbre charg? de fruits: tant qu?il y a du fruit sur l?arbre, on ne cesse pas d??tre alentour et d?en cueillir; d?s qu?il n?y en a plus, on s?en ?loigne et on le laisse seul?. Il se contraignit tant qu?il fut hors de chez lui; mais, d?s qu?il fut rentr?, il s?abandonna tout entier ? son affliction et alla la t?moigner ? la belle Persane. D?s que la belle Persane vit para?tre l?afflig? Noureddin, elle se douta qu?il n?avait pas trouv? chez ses amis le secours auquel il s??tait attendu. ?Eh bien, seigneur, lui dit-elle, ?tes-vous pr?sentement convaincu de la v?rit? de ce que je vous avais pr?dit? -Ah! Ma bonne, s??cria-t-il, vous ne me l?aviez pr?dit que trop v?ritablement! Pas un n?a voulu me reconna?tre, me voir, me parler! Jamais je n?eusse cru devoir ?tre trait? si cruellement par des gens qui m?ont tant d?obligations et pour qui je me suis ?puis? moi-m?me! Je ne me poss?de plus et je crains de commettre quelque action indigne de moi, dans l??tat d?plorable et dans le d?sespoir o? je suis, si vous ne m?aidez de vos sages conseils. -Seigneur, reprit la belle Persane, je ne vois pas d?autre rem?de ? votre malheur que de vendre vos esclaves et vos meubles, et de subsister l?-dessus, jusqu?? ce que le ciel vous montre quelque autre voie pour vous tirer de la mis?re?. Le rem?de parut extr?mement dur ? Noureddin; mais qu?e?t-il pu faire dans la position o? il ?tait? Il vendit premi?rement ses esclaves, bouches alors inutiles, qui lui eussent fait une d?pense beaucoup au del? de ce qu?il ?tait en ?tat de supporter. Il v?cut quelque temps sur l?argent qu?il en fit; et, lorsqu?il vint ? manquer, il fit porter ses meubles ? la place publique, o? ils furent vendus beaucoup au-dessous de leur juste valeur, quoiqu?il y en e?t de tr?s pr?cieux, qui avaient co?t? des sommes immenses. Cela le fit subsister un long espace de temps; mais enfin, ce secours manqua, et il ne lui restait plus de quoi faire d?autre argent: il en t?moigna l?exc?s de sa douleur ? la belle Persane. Noureddin ne s?attendait pas ? la r?ponse que lui fit cette sage personne. ?Seigneur, lui dit-elle, je suis votre esclave, et vous savez que le feu vizir votre p?re m?a achet?e dix mille pi?ces d?or. Je sais bien que j?ai diminu? de prix depuis ce temps-l?; mais aussi je suis persuad?e que je puis ?tre encore vendue une somme qui n?en sera pas ?loign?e. Croyez-moi, ne diff?rez pas de me mener au march? et de me vendre avec l?argent que vous toucherez, qui sera tr?s consid?rable, vous irez faire le marchand en quelque ville o? vous ne serez pas connu; et par l? vous aurez trouv? le moyen de vivre, sinon dans une grande opulence, d?une mani?re au moins ? vous rendre heureux et content.