CCXV?me Nuit (Suite) La dame mit aussit?t la main sur le voile et le lui pr?senta, en lui demandant s?il savait lire. ?Madame, r?pondit-il d?un air modeste, un marchand ferait mal ses affaires s?il ne savait au moins lire et ?crire. -Eh bien! reprit-elle, lisez les paroles qui sont ?crites sur ce voile; aussi bien c?est une occasion pour moi de vous raconter mon histoire.? Ganem prit le voile et lut ces mots: ?Je suis ? vous et vous ?tes ? moi, ? descendant de l?oncle du Proph?te!? Ce descendant de l?oncle du proph?te ?tait le calife Haroun-al-Raschid, qui r?gnait alors, et qui descendait d?Abbas, oncle de Mahomet. Quand Ganem eut compris le sens de ces paroles: ?Ah madame, s??cria-t-il tristement, je viens de vous donner la vie, et voil? une ?criture qui me donne la mort! Je n?en comprends pas tout le myst?re; mais elle ne me fait que trop conna?tre que je suis le plus malheureux de tous les hommes. Pardonnez-moi, madame, la libert? que je prends de vous le dire. Je n?ai pu vous voir sans vous donner mon c?ur; vous n?ignorez pas vous-m?me qu?il n?a pas ?t? en mon pouvoir de vous le refuser, et c?est ce qui rend excusable ma t?m?rit?. Je me proposais de toucher le v?tre par mes respects, mes soins, mes complaisances, mes assiduit?s, mes soumissions, par ma constance; et ? peine j?ai con?u ce dessein flatteur, que me voil? d?chu de toutes mes esp?rances. Je ne r?ponds pas de soutenir longtemps un si grand malheur. Mais, quoi qu?il en puisse ?tre, j?aurai la consolation de mourir tout ? vous. Achevez, madame, je vous en conjure, achevez de me donner un entier ?claircissement sur ma triste destin?e.? Il ne put prononcer ces paroles sans r?pandre quelques larmes. La dame en fut touch?e. Bien loin de se plaindre de la d?claration qu?elle venait d?entendre, elle en sentit une joie secr?te; car son c?ur commen?ait ? se laisser surprendre. Elle se dissimula toutefois; et, comme si elle n?e?t pas fait d?attention au discours de Ganem: ?Je me serais bien gard?e, lui r?pondit-elle, de vous montrer mon voile, si j?eusse cru qu?il d?t vous causer tant de d?plaisir; et je ne vois pas que les choses que j?ai ? vous dire doivent rendre votre sort aussi d?plorable que vous l?imaginez. Vous saurez donc, poursuivit-elle, pour vous apprendre mon histoire, que je me nomme Tourmente: nom qui me fut donn? au moment de ma naissance, parce que l?on jugea que ma vue causerait un jour bien des maux. Il ne vous doit pas ?tre inconnu, puisqu?il n?y a personne dans Bagdad qui ne sache que le calife Haroun-al-Raschid, mon souverain ma?tre et le v?tre, a une favorite qui s?appelle ainsi. On m?amena dans son palais d?s mes plus tendres ann?es, et j?ai ?t? ?lev?e avec tout le soin que l?on a coutume d?avoir des personnes de mon sexe destin?es ? y demeurer. Je ne r?ussis pas mal dans tout ce qu?on prit la peine de m?enseigner; et cela, joint ? quelques traits de beaut?, m?attira l?amiti? du calife, qui me donna un appartement particulier aupr?s du sien. Ce prince n?en demeura pas ? cette distinction; il nomma vingt femmes pour me servir, avec autant d?eunuques; et depuis ce temps-l? il m?a fait des pr?sents si consid?rables, que je me suis vue plus riche qu?aucune reine qu?il y ait au monde.