CCVI?me nuit (Suite) Il ne fallait pas vous alarmer si fort s?il ne vous plaisait pas; et vous voudrez bien que je vous dise que vous avez pris la chose tout autrement que vous ne le deviez. Mais laissons-l? ce discours, qui ne ferait que renouveler des sujets de douleur et de plainte que vous devez oublier avec nous; et faites-nous part de tout ce qui vous est arriv?, depuis un si long temps que nous vous avons vue, et de l??tat o? vous ?tes pr?sentement; sur toute chose, marquez-nous si vous ?tes contente?. La reine Gulnare se jeta aussit?t aux pieds de la reine sa m?re; et, apr?s qu?elle lui eut bais? la main en se relevant: ?Madame, reprit-elle, j?ai commis une grande faute, je l?avoue, et je ne suis redevable qu?? votre bont? du pardon que vous voulez bien m?en accorder. Ce que j?ai ? vous dire, pour vous ob?ir, vous fera conna?tre que c?est en vain bien souvent qu?on a de la r?pugnance pour de certaines choses. J?ai ?prouv? par moi-m?me que la chose ? quoi ma volont? ?tait le plus oppos?e est justement celle o? ma destin?e m?a conduite malgr? moi?. Elle lui raconta tout ce qui lui ?tait arriv? depuis que le d?pit l?avait port?e ? se lever du fond de la mer pour venir sur la terre. Lorsqu?elle eut achev?, en marquant qu?enfin elle avait ?t? vendue au roi de Perse, chez qui elle se trouvait: ?Ma s?ur, lui dit le roi son fr?re, vous avez grand tort d?avoir souffert tant d?indignit?s, et vous ne pouvez vous en plaindre qu?? vous-m?me. Vous aviez le moyen de vous en d?livrer, et je m??tonne de votre patience ? demeurer si longtemps dans l?esclavage: levez-vous et revenez avec nous au royaume que j?ai reconquis sur le fier ennemi qui s?en ?tait empar??. Le roi de Perse, qui entendit ces paroles du cabinet o? il ?tait, en fut dans la derni?re alarme. ?Ah! dit-il en lui-m?me, je suis perdu et ma mort est certaine, si ma reine, si ma Gulnare ?coute un conseil si pernicieux! Je ne puis plus vivre sans elle, et l?on m?en veut priver!? La reine Gulnare ne le laissa pas longtemps dans la crainte o? il ?tait. ?Mon fr?re, reprit-elle en souriant, ce que je viens d?entendre me fait mieux comprendre que jamais combien l?amiti? que vous avez pour moi est sinc?re. Je ne pus supporter le conseil que vous me donniez de me marier ? un prince de la terre. Aujourd?hui, peu s?en faut que je ne me mette en col?re contre vous de celui que vous me donnez, de quitter l?engagement que j?ai avec le plus puissant et le plus renomm? de tous les princes. Je ne parle pas de l?engagement d?une esclave avec un ma?tre: il nous serait ais? de lui restituer les dix mille pi?ces d?or que je lui ai co?t?; je parle de celui d?une femme avec un mari, et d?une femme qui ne peut se plaindre d?aucun sujet de m?contentement de sa part. C?est un monarque religieux, sage, mod?r?, qui m?a donn? les marques d?amour les plus essentielles. Il ne pouvait pas m?en donner une plus signal?e que de cong?dier, d?s les premiers jours que je fus ? lui, le grand nombre de femmes qu?il avait, pour ne s?attacher qu?? moi uniquement.