Lorsque l?Emir en toute humilit? explique en 1862 pourquoi, au prix de sa vie et celle des siens, il a sauv? d?une mort certaine des milliers de chr?tiens ? Damas, comme cela ? ?t? si bien explicit?, il pr?cisait donc que ce f?t: ?par fid?lit? ? la foi musulmane et pour respecter les droits de l?humanit??. Ce n?est ?videmment pas hasard qu?il est le premier a formul? la notion de droits humains et qu?il lie les deux dimensions celle de la foi et de la raison. Il inaugure par l? une phase nouvelle de la culture moderne qui ne se g?n?ralisera qu?au XXeme si?cle, en prenant une autre trajectoire. Les droits de l?homme constituent un ph?nom?ne r?cent du droit international. Ils sont l?aboutissement de r?gles et pratiques qui se sont d?velopp?es au sein de diff?rentes cultures, soci?t?s et civilisations. Pour l?Occident, auquel nous appartenons aussi, puisque hier il fut jud?o-islamo-chr?tien et gr?co-arabe, les textes fondateurs de la naissance des droits de l?homme se sont ?nonc?s au XVIII si?cle avec la D?claration Am?ricaine de l?Ind?pendance en 1776 et la D?claration fran?aise des Droits de l?Homme et du Citoyen en 1789. Leur d?veloppement en tant qu??l?ments de droits internationalement reconnus, dont le respect concerne l?ensemble de la communaut? internationale, a commenc? au XX ?me si?cle, dans les d?combres de la premi?re puis celle de la seconde guerre mondiale avec les textes de Gen?ve de 1929 et 1949, puis aux Nations Unies en 1948 la D?claration Universelle des Droits de l?Homme. L?Emir consid?re que le premier horizon fix? par un texte humain pour les droits humains est la Constitution de M?dine suivi par le discours d?Adieu ? Arafat, Kutbet el waadaa , que le Proph?te a mis en place pour r?guler ?quitablement les relations au sein de la communaut? et entre les personnes et les groupes musulmans et non musulmans, c?est-?-dire pas seulement assurer leur coexistence, mais leur rencontre, leur ?coute r?ciproque, leur compr?hension mutuelle afin que tout diff?rend et toute violence soit r?gul?e de mani?re civilis?e. C?est ce point de d?part g?nialogique de l?Emir et du lien ?troit entre droits humains et valeurs abrahamiques, sur lequel il faut attirer notre attention. Certains consid?rent que vouloir tirer les droits de l?homme ? partir des textes r?v?l?s n?a pas de sens, comme si cette notion, ou celle de la s?cularit? n?avaient rien d?abrahamique. A y regarder de plus pr?s on risque de r?viser ces pr?jug?s. Les discours de notre ?poque sur les ? droits de l?homme ?, que ce soit de la part de ceux qui, sans discernement, ont en font l?apologie au nom de la modernit?, ou ceux qui les d?nigrent, au nom de la pr??minence d?une vision ?troite de la loi religieuse, semblent oublier l?id?e m?me de l?humain. La vision de l?Emir se veut ? un autre niveau, l?universel li? au concret de la vie. Pour Abdelkader la question des droits humains est la question fondamentale, pas seulement une question fondamentale. Il s?agit du vivre ensemble, des conditions de la paix ou de la guerre, de l?oppression ou de la libert? pour r?aliser la civilisation ou sombrer dans la barbarie. Sa vision n?est donc pas seulement g?n?reuse et subjective, elle est li?e ? l?histoire de sa civilisation, elle est politique et spirituelle. C?est ? ce niveau que se situent les enjeux. Pour l?Emir tant que nous continuerons ? raisonner uniquement en termes de vision ?troite et de techniques juridiques, qui ignore l?id?e d?un principe supr?me, une v?rit? au dessus de toutes les v?rit?s, Celui ? qui rien ne ressemble, et qui est au-del? de toutes les formes, nous resterons ferm?s ? une part importante de notre exp?rience humaine. "Droits de l?homme" implique qu?on ait une vision et une notion claires de ce que c?est "l?humain". Mais "l?homme", comme le pense l?Emir ? l?instar de Pascal, "passe infiniment l?homme". Ce d?passement infini de soi, qui fait son ?tre m?me, ne lui donne pas de droits gratuits, puisque c?est lui qui peut et doit construire des droits et des devoirs. Il ne s?agit donc pas de dire qu?il n?y a pas de droits de l?homme : au contraire, ces droits doivent ?tre toujours mesur?s ? l?incommensurable d?passement qui traverse l?homme. A ce d?passement, certains au vu des traditions ferm?es savent que la religion peut constituer une borne. Mais cela peut aussi et surtout ouvrir des possibilit?s incomparables de droits et une profondeur infinie. On pourrait dire avec la spiritualit? que: le droit de l?homme c?est d?adorer Dieu ; comme le Coran le dit - ? la fois comme un droit et un devoir. Pour l?Emir, la question des droits humains exprime tout le myst?re et les enjeux de la destin?e humaine, ? la hauteur de ce que dit le Coran. Dans la vision de notre h?ros, pour pouvoir "adorer Dieu", se rapporter ? l?infini - il faut ne pas ?tre opprim?, ni opprim? l?autre, il faut que les droits fondamentaux pour tous soient respect?s. Par l?articulation entre les droits de l?individu et de la communaut?, entre les droits de soi et de l?autre, entre les droits de Dieu et de l?homme, le sens fait signe, chaque g?n?ration doit l?assumer et r?aliser ummata wassat. Les temps modernes se sont engag?s dans une impasse d?un monde livr? aux formes scientistes du despotisme, coup? du sens, d?un individu coup? de sa communaut?, isol?. Les parts ? la fois d?humanit? commune et de singularit?, constitutives de chaque ?tre humain, sont une des raisons du respect que l?on doit exprimer ? notre prochain. La liquidation de la possibilit? de l??tre commun et de la singularit? de l?autre r?duit les droits de l?homme.