La paup?risation est revenue au galop ces derniers temps ? Oran. Femmes, hommes et enfants font les poubelles des march?s de fruits et l?gumes pour ramasser de quoi se nourrir. ?Tous les jours, ils arrivent et vont directement au point d?enl?vement des restes de l?gumes que jettent les commer?ants pour les r?cup?rer?, dit un habitu? du march? d?El-Hamri. L?image a de quoi secouer bien des certitudes. De quoi choquer toutes les ?mes sensibles que nous avons interrog?es dans le march? des fruits et l?gumes d?El Hamri. Il est 17 heures. Une dame voil?e, la soixantaine entam?e au visage tatou?, se pr?cipite, un panier en plastique ? la main, sur un carton de l?gumes, ou plut?t de restes qu?ont jet?s les commer?ants. Le geste pr?cis, elle se courbe, fouine avec ses maigres doigts ? la recherche de quelques choses ? mettre ? mijoter pour le repas. Pour ce soir, c?est tout juste une laitue qu?elle a r?cup?r?. ?C?est pour mes petits-enfants. J?aurai aim? trouver des l?gumes parmi ces d?chets?, r?pond-elle furtivement avant de dispara?tre dans la nature? Pour un moment seulement, elle est revenue quelques minutes apr?s, ?elle ne voulait pas se faire remarquer?, l?che un habitu? des lieux. En effet, ? son retour, toujours discr?te elle s?est attaqu?e ? d?autres poubelles, celles des restes des viandes. ?De quoi faire une chorba avec de la graisse en ces temps durs?, nous dira-t-on. Nous avons attendus, 19H45, le moment de l?appel ? la pri?re du Maghreb, pour voir d?autres silhouettes fouiller les poubelles du march? pour calmer leur faim et celle de leurs prog?nitures. ?La derni?re flamb?e des prix semble avoir laiss? sur le carreau beaucoup de victimes, beaucoup de n?cessiteux?, l?che un vendeur de carottes qui nous confient que les gens sont ?touch?s jusqu?? l?os?. ?On le sens?, fait-il remarquer. A peine sa phrase termin?e, nous apercevons deux femmes en djellabas marocaines qui arrivent sur ces lieux en ces moments pr?cis de fin de march? o? les poubelles sont plus ?g?n?reuses? pour ramasser ces restes. Elles le font, disent-elles, ?par n?cessit??. Na?ma B., 40 ans, une habitante d?un bidonville de A?n Be?da, d?clare, sans aucun signe d?humiliation: ?Hadi hiya a?chti (C?est cela ma vie). Depuis que mon mari est tomb? malade, je me d?brouille pour ramener de quoi manger ? mes enfants. Mon mari travaillait dans une usine de matelas ? Es-S?nia. Il a perdu la vue avec une incapacit? de 80%. Actuellement, il ne per?oit que 1.000 dinars par mois comme contribution de l?Etat.? ?J?ai deux enfants qui travaillent de mani?re irr?guli?re comme chiffonniers ou comme ramasseurs d?objets en plastique. Il m?arrive de faire aussi les cimeti?res? Mais qu?est-ce que vous voulez, c?est pour survivre? Et si je trouvais un boulot comme femmes de m?nage ou femme de peine dans n?importe quelle soci?t?, je le ferais. Car la vie est devenue tr?s ch?re?? poursuit-elle. Khe?ra Y. est une autre habitu?e du march? d?El-Hamri. Celle-ci, discr?te, n?est pas moins connue des marchands, comme elle le reconna?t. Tr?s discr?tement, Ammi Mohamed, un commer?ant, lui remet un petit colis qu?elle glisse dans son panier. ?C?est pour calmer la faim?, dit-il avec pudeur. Celle-ci confie, sans complexe aucun: ?J?habite El-Barki. Si je peux vous raconter ma vie, je dirais que je n?ai pratiquement pas de mari. Il est, certes, vivant, mais je t?moignerais devant Dieu, le tout puissant, qu?il n?a jamais ramen? un petit pain pour ses enfants. J?ai m?me une fille qui est ? l?universit?. Je suis, aujourd?hui, heureuse, car tous mes enfants sont scolaris?s, et ils ne se courberont jamais pour fouiller les poubelles. Je le fais pour mes enfants. Je n?ai personne d?autre que Dieu.? Les histoires de ces damn?s de la terre sont l?gion. Fatma B., une habitante de M?dioni, visiblement fi?re, confie n?avoir aucune vie depuis la perte de son mari. ?Cela fait quatre mois que j?attends le mandat. Mais que voulez-vous que je fasse ? Que je mendie ? Jamais !? Je ne suis pas la seule. Il y a des enfants et m?me des hommes ?? salaires? qui font les poubelles le soir?? Il est 21 heures, cette nuit d?avril, ce mois de toutes les augmentations, une soir?e qui verra d?filer, ?galement, Fouad F., handicap? physique qui perdu son bras depuis son jeune ?ge. Mari? et p?re, celui-ci avoue ?ne percevoir que 3000 dinars?, comme aide de l?Etat. ?Au d?part, je ne touchais que 1040 dinars d?aide du bureau de l?aide sociale de la section urbaine. Toujours dans le cadre social, j?ai d?pos? un dossier en tant que personne handicap?e, mais je per?ois que 3000 dinars, puisque j?ai perdu les 1040 dinars que les Affaires sociales me versaient mensuellement.? Par pudeur, il pr?f?re changer de sujet et parle de ?survie?. Il faut dire que la pauvret?, nagu?re latente, est aujourd?hui bien pr?sente, comme ne le cachent pas de nombreuses personnes que nous avons interrog?es. Aussi, les t?moignages des marchands sont ?difiants ? plus d?un titre. ?Parmi les gens d?munis, ils sont nombreux ceux qui pr?f?rent faire le ramassage des restes de poubelles pour se nourrir que de faire la manche, notamment les personnes ?g?es. Et le nombre va en augmentant. La chert? de la vie a fait des d?g?ts cette ann?e?, soutient un vendeur dans une boucherie, qui confie avoir un oncle, mari?, employ? comme factotum par la mairie et qui touche 3.000 dinars par mois, depuis au mois 15 ans. ?Moi aussi, je travaille dans cette boucherie pour arrondir les fins de moi. Je touche un salaire de 15.000 dinars, et cela n?est pas suffisant?, conclut-il.