CCXIX?me Nuit (Suite) Cette d?claration ing?nue aurait peut-?tre aigri tout autre que le calife; mais ce fut ce qui acheva d?adoucir ce prince. Il ordonna ? Tourmente de se relever; et, la faisant asseoir aupr?s de lui: ?Raconte-moi, lui dit-il, ton histoire, depuis le commencement jusqu?? la fin.? Alors, elle s?en acquitta avec beaucoup d?adresse et d?esprit. Elle passa l?g?rement sur ce qui regardait Zob?ide; elle s??tendit davantage sur les obligations qu?elle avait ? Ganem, sur la d?pense qu?il avait faite pour elle; et surtout elle vanta fort sa discr?tion, voulant par l? faire comprendre au calife qu?elle s??tait trouv?e dans la n?cessit? de demeurer cach?e chez Ganem pour tromper Zob?ide; et elle finit enfin par la fuite du jeune marchand, ? laquelle, sans d?guisement, elle dit au calife qu?elle l?avait forc? pour se d?rober ? sa col?re. Quand elle eut cess? de parler, ce prince lui dit: ?Je crois tout ce que vous m?avez racont?; mais pourquoi avez-vous tant tard? ? me donner de vos nouvelles? Fallait-il attendre un mois entier apr?s mon retour, pour me faire savoir o? vous ?tiez? -Commandeur des croyants, r?pondit Tourmente, Ganem sortait si rarement de sa maison, qu?il ne faut pas vous ?tonner que nous n?ayons point appris les premiers votre retour. D?ailleurs, Ganem, qui s??tait charg? de faire tenir le billet ? Aube du jour, a ?t? longtemps sans trouver le moment favorable de le remettre en main propre. C?est assez, Tourmente, reprit le calife; je reconnais ma faute et voudrais la r?parer en comblant de bienfaits ce jeune marchand de Damas. Vois donc ce que je puis faire pour lui; demande-moi ce que tu voudras, je te l?accorderai.? A ces mots, la favorite se jeta aux pieds du calife, la face contre terre, et, se relevant: ?Commandeur des croyants, dit-elle, apr?s avoir remerci? Votre Majest? pour Ganem, je la supplie tr?s humblement de faire publier dans vos ?tats que vous pardonnez au fils d?Abou A?bou et qu?il n?a qu?? vous venir trouver. Je ferai plus, repartit ce prince pour t?avoir conserv? la vie, pour reconna?tre la consid?ration qu?il a eue pour moi, pour le d?dommager de la perte de ses biens, et enfin pour r?parer le tort que j?ai fait ? sa famille, je te le donne pour ?poux.? Tourmente ne pouvait trouver d?expressions assez fortes pour remercier le calife de sa g?n?rosit?. Ensuite, elle se retira dans l?appartement qu?elle occupait avant sa cruelle aventure. Le m?me ameublement y ?tait encore: on n?y avait nullement touch?. Mais, ce qui lui fit le plus de plaisir, ce fut d?y voir les coffres et les ballots de Ganem, que Mesrour avait eu soin d?y faire porter. Le lendemain, Haroun-al-Raschid donna ordre au grand vizir de faire publier, par toutes les villes de ses Etats, qu?il pardonnait ? Ganem, fils d?Abou A?bou; mais cette publication fut inutile, car il se passa un temps consid?rable sans qu?on entend?t parler de ce jeune marchand. Tourmente crut que sans doute il n?avait pu survivre ? la douleur de l?avoir perdue.