Le 15 avril 1957, pour avoir été suspectés par les forces coloniales d'héberger des maquisards, trente habitants du douar Touila, situé à cinq kilomètres à l'est de la ville de Sfisef (ex Mercier Lacombe), sont enfermés dans l'une des amphores de la cave de vinification de la ferme « Laforgue ». Le lendemain matin, vingt-trois d'entre eux sont retrouvés morts asphyxiés par l'émanation de gaz sulfureux (So²) à l'intérieur de la cuve à vin. L'un des sept rescapés encore en vie, Boulsis Hanifi, apporte son témoignage sur cette pratique d'extermination longtemps usitée par l'armée française pour tenter de contrer le cours inexorable de l'histoire vers la liberté et l'indépendance de notre pays… Une manière de rappeler avec le professeur M. Korso, président de la fondation du 8 mai 45, que « la construction du futur est indissociable du devoir de mémoire ». « C'était le quinzième jour du mois de ramadan de l'année 1957 (1376 hégirienne). La veille, c'est-à-dire le 15 avril 1957, un groupe de djounoud de l'ALN était de passage dans notre douar à Touila, où il a été pris en charge par la famille d'un chef de «faoudj». Informés certainement de leur présence par un traître, vers trois heures et demie de l'après-midi la soldatesque coloniale débarque en grands renforts sur les lieux mais les maquisards avaient réussi entre-temps à sortir de l'encerclement qui se mettait en place grâce à l'un de leurs volontaires, mort en martyr, qui a couvert leur échappée en tirant sur l'un des officiers français dirigeant l'opération. Constatant leur échec, ces derniers donnèrent donc pour ordre à leurs troupes de mettre à feu et à sang la petite localité de Touila. Les militaires français et leurs supplétifs ont tout d'orge et pris en otage un grand nombre d'hommes et d'enfants parmi lesquels mes regrettés père et oncle ainsi que moi, âgé alors d'un peu plus de 17 ans. Tout le groupe a été transféré à Sfisef dans un lieu sinistre appelé « Chicha » pour y subir sous la torture toutes sortes d'interrogatoires. Vers dix heures du soir, nous avions été tous embarqués en direction de la « ferme Laforgue », de triste mémoire, située à la sortie Est de la ville de Sfisef, où l'on nous a enfermés tous à l'intérieur d'une amphore de la cave. Nos tortionnaires ont pris la peine de boucher hermétiquement son ouverture principale à l'aide de divers accessoires. On savait que notre heure était venue. Dans l'obscurité et la chaleur étouffante de cette cuve à vins, chacun de nous essayait de respirer les quelques poches d'air en suspension et de prier le Tout Puissant d'alléger nos souffrances. Le cerveau pesait lourd. J'entendais mon père lire la chahada et me demandais d'en faire autant. Nos prières s'élevaient au ciel malgré la volonté satanique de ceux qui voulaient nous faire taire de l'extérieur. « Dieu est unique ! » cria l'un de mes compagnons dont je n'arrivais pas à reconnaître la voix. Puis ce fut le silence qui prit graduellement le pas sur les gémissements de ceux qui partaient déjà. Sous l'effet des émanations de So² et de la suffocation due à l'enfermement on a fini par perdre connaissance tour à tour. Le lendemain, vers du dix heures du matin, on nous a extraits l'un après l'autre de l'intérieur de l'amphore. Sur les trente retirés, on a dénombré vingt-trois morts par asphyxie appartenant aux familles Boussetla, Kaddous, Senoun, Boulsis, Ziane, Sarno, Tchemoun … Sans que les tortionnaires se soucient outre mesure de leur état de loques, les sept rescapés de la « cave Laforgue », à savoir Ziane Mohamed, Djellili Bekaddour, Ramdoun Djillali, Bentekhissi, Sarno Benyahia, Masmoudi Bendida et moi-même (Boulsis Hanifi) ont été emmenés par les gendarmes vers le premier poste de torture visité à Sfisef visité en premier avant d'être internés par la suite, pendant près de deux mois environ, dans une ferme coloniale des environs.»