La nouvelle traduction donnée par Julie Wolkenstein n'enlève pas grand-chose à l'original. Il y a eu à l'annonce du projet et à la livraison des épreuves une sorte de polémique mettant en avant la piètre traduction donnée par l'écrivain pour les éditions P.O.L du grand roman de Scott Fitzgerald (1922). Parmi les reproches faits à Wolkenstein, la soustraction étrange et spectaculaire de l'adjectif qui accompagnait jusqu'ici le Gatsby du titre Gatsby de « great » et « magnifique » passe à Gatsby tout court ce qui trahit finalement le projet de cette nouvelle traduction : simplifier le texte, le rendre plus proche d'une lecture contemporaine ou d'une écriture associée plus tard aux descendants de Fitzgerald, les membres du Brat Pack comme Ellis et McInerney. Simplification, traduction littérale parfois, qui tuerait la poésie ? Les critiques ont repris l'exemple de la dernière phrase pour tomber à bras raccourcis sur P.O.L. Wolkenstein remplace la traduction de référence française qui disait « Car c'est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé » par « C'est ainsi que nous nous débattons, comme des barques contre le courant, sans cesse repoussés vers le passé ». Ce n'est pas un progrès considérable, c'est sûr, mais ce n'est pas la régression annoncée. Rebelote sur le début où le narrateur entame par le célèbre : « Quand j'étais plus jeune, c'est-à-dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit » par un « Quand j'étais plus jeune et plus influençable, mon père m'a donné un conseil que je n'ai cessé de méditer depuis » qui est à la fois plus simple et limpide. Le jeu sur vulnérable ne vaut rien mais le méditer est bien trouvé. Est-ce que la traduction peut attenter à l'intégrité d'un livre ? Est-ce qu'on est nous-même assez calé et connaisseur de Fitzgerald pour juger ? Pas sûr du tout. Ce qui frappe dans la tentative de Wolkenstein et qu'on retiendra comme une belle intention, c'est de gommer au maximum les tendances baroques, le style parfois enluminé et chargé de Fitzgerald, qui tient moins à une intention qu'à la particularité de sa langue pour en faire quelque chose de plus sec et de plus... vaporeux. C'est assez bien vu et cela permet de remettre les points sur les « i ». Contrairement à son adaptation cinématographique, Fitzgerald est un écrivain de l'économie... raté, un type qui aurait rêvé d'écrire comme Wolkenstein le traduit mais qui n'a jamais réussi tout à fait (et même si ce roman comme son tout premier) est magnifique à gommer complètement ses tics d'écrivain adolescent. Magnifique ou non, Gatsby est un modèle du genre et un jalon extraordinaire dans l'histoire de la littérature américaine. Il réinvente le livre mondain, la comédie romantique, la comédie dramatique. Sa langue est merveilleuse et les rapports entre le narrateur et l'objet de sa fascination (Gatsby) sont remarquables de précision et de tact. On rêve avec lui de tenir Melle Baker, la golfeuse, dans nos bras, de rallier New York au volant d'un bolide jaune, de participer aux fêtes galantes de son voisin comme si on s'invitait dans l'arrière-cour du Grand Meaulnes. Bien ou mal traduit, Gatsby est un chef d'oeuvre.