On retiendra du 2e sommet des « Amis de la Syrie » réuni dimanche 1er avril à Istambul une image – Recep Tayyep Erdogan faisant des courbettes à Hillary Clinton – et deux décisions : accorder un nouveau label de représentativité au CNS et fixer au gouvernement syrien une « date limite » pour l'application pleine et entière des six point du plan Annan . Si les violences continuaient au-delà de cette date-limite, qui devrait selon les participants être fixée par Kofi Annan, le dossier syrien devrait revenir sur le bureau du Conseil de sécurité des Nations-Unies selon le texte publié à l'issue du sommet. A noter que Kofi Annan s'était fait représenter à cette manifestation de l'opposition radicale. Cacophonie & schizophrénie Comme on l'imagine, Hillary Clinton, Recep Tayyep Erdogan, Alain Juppé, le prince Séoud al-Fayçal et le cheikh ben Jassem al-Thani ont rivalisé de menaces et de condamnations solennelles à l'égard de Bachar al-Assad, l'Américaine feignant de s'étonner de la persistance des violences une semaine après l'acceptation du plan Annan par Damas, et le Français prêchant pour mettre une limite à la « patience » des Occidentaux. Le Turc, hôte de cette mascarade, a lui rituellement entretenu la flamme de l'indignation : « La Syrie n'a pas tenu ses promesses (…) Avec cette tragédie humanitaire en Syrie, il est temps d'agir » Et tant lui que le Qatari ont insisté avec force sur le devoir et la nécessité de donner au peuple syrien les moyens de son « autodéfense« , le Séoudien proclamant qu'armer les opposants syriens était un « devoir« , ce devant Hillary Clinton, théoriquement opposée à une telle mesure. Mais, comme le note Libération et Le Monde, il n'a pas été fait une mention expresse de l'armement de l'opposition et de l'ASL dans le document final, le sujet n'étant pas consensuel, même au sein de la grande famille des ennemis de la Syrie souveraine. Il revenait à Alain Juppé, véritable « parrain » politique de Burhan Ghalioun, d'annoncer que les « Amis » allaient reconnaître le CNS comme leur « principal interlocuteur » et appeler tous les opposants syriens à rejoindre cette coalition. Et Juppé, à qui l'on ne peut reprocher de n'avoir pas de suite dans ses mauvaises idées, a également fait savoir que la conférence allait constituer un groupe de travail sur des sanctions à adopter contre le régime syrien, qui se réunira « à Paris sous quinzaine ». On notera que le CNS est malgré tout déçu, lui qui espérait obtenir à cette occasion un brevet d'interlocuteur « unique« . Cette restriction s'explique sans doute par le fait que même ses protecteurs les plus attentionnés, de Washington à Paris, sont un peu dubitatifs sur les capacités du CNS à remplir le rôle qui lui a été assigné : Juppé, dans un grand moment d'authenticité, n'est-il pas allé jusqu'à mettre en cause la « médiocrité » de l'opposition syrienne. Le moins qu'on puisse dire c'est que M. Juppé, et tous les « Amis de la Syrie » avec lui s'enfoncent dans une impasse : le CNS étant marginalisé de plus en plus par rapport au peuple qu'il prétend représenter, mais aussi contesté par une partie notable de l'opposition au régime syrien. Comme l'expliquait récemment un diplomate français au journaliste du Figaro Georges Malbrunot, le Quai d'Orsay s'est tellement engagé, dès le début de la crise, dans une attitude radicale qu'il ne peut plus en changer sans se renier (voir notre article « Malbrunot : Juppé contre Chevalier (et les réalités syriennes)« , mis en ligne le 30 mars). La remarque vaut aussi pour Erdogan qui a averti que son pays refusait de soutenir un plan qui permettrait au régime syrien de se maintenir. On aurait presque envie de lancer au vibrionnant « Grand-Turc » de l'AKP un défi : qu'il attaque militairement la Syrie, puisqu'il la menace depuis un an ! La Ligue arabe, par la bouche de son patron officiel Nabil al-Arabi, appelé les participants à faire pression sur le Conseil de sécurité de l'ONU pour qu'il mette en oeuvre des mesures « contraignantes » contre le régime de Bachar al-Assad. Nouvelle manifestation de schizophrénie diplomatique dans la mesure où au même moment, depuis Bagdad, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki assurait, lui, que le régime syrien ne tomberait pas, et que chercher à le renverser par la force ne ferait qu'aggraver la crise dans la région : « Cela fait un an (que la crise dure) et le régime syrien n'est pas tombé. Il ne tombera pas et pourquoi devrait-il tomber ? Nous sommes opposés à l'envoi d'armes (à l'opposition) et à tout processus menant au renversement du régime car cela aggraverait la crise dans la région », a ainsi déclaré le chef du gouvernement irakien, dont le pays, faut-il le rappeler à M. Nabil al-Arabi, préside désormais aux destinées diplomatiques de la Ligue arabe. La façon pétro-monarchique de faire la guerre Autre mesure, plus « technique », prise dans la foulée des palabres d'Istambul, le président du CNS Ghalioun a annoncé que celui-ci allait « verser des salaires » aux membres de l'ASL. En fait de CNS, les tueurs ASL vont plutôt bénéficier des faveurs de « généreux donateurs » pétro-monarchiques : Libération fait état de sources anonymes mais sérieuses indiquant que l'Arabie Séoudite et le Qatar allaient « verser des millions de dollars » pour entretenir leur « danseuse » ASL. On voit que la Syrie croule littéralement sous les motifs de déclarations de guerre à ces pays ainsi qu'à la Turquie. Mais la Syrie est gouvernée par d'habiles politiques qui laissent ses ennemis se griser de résolutions farouches et se décrédibiliser au contact des réalités de terrain. Car, au fond, et pour conclure sur ce nouveau happening à grand spectacle de la coalition antisyrienne, les quelques 83 Etats et institutions participants brassent beaucoup d'air, à partir du moment où l'armée syrienne a contraint les bandes armées à la défensive, Bachar a conservé et renforcé sa légitimité aux yeux d'une majorité de la population, les BRICS pesant de tout leur poids international, et l'Irak jouant pour la Syrie à la tête de la Ligue arabe. La Syrie a justement condamné cette soi disant « conférence des amis de la Syrie », vrais amis de l'Amérique et d'Israël, et, à Istambul même, des centaines de Syriens et de Turcs ont manifesté contre la dite conférence, s'attirant une riposte musclée de la police. Les manifestants scandaient, il est vrai, des slogans peu susceptibles de plaire à Erdogan et à ses invités : « Le peuple veut Bachar al-Assad ! », « Ghalioun, tu es un traitre travaillant pour le compte des USA ! », « Malgré toi Erdogan, Bachar est président !« . Sept manifestants ont été blessés. Là encore, on ne peut que faire remarquer à quel point Erdogan se coule politiquement sur la Syrie : il renforce son opposition intérieure et aggrave, au moins dans les régions frontalières, les conditions de vie des Turcs touchés par l'état de guerre larvée et le gel des échanges commerciaux. « Malgré toi Erdogan, Bachar est président ! » : c'est au fond la morale de toute cette histoire, et la seule réponse au barnum international d'Istambul.