Le premier président de l'Algérie est décédé à 96 ans, l'année du cinquantième anniversaire de l'indépendance de son pays. Ahmed Ben Bella est mort hier à Alger. Combattant infatigable de l'indépendance de l'Algérie et de la cause arabe, il fut le premier président de la toute nouvelle république algérienne entre 1962 et 1965. Figure emblématique de la guerre d'Algérie, il a su attirer sur lui les projecteurs de la presse internationale en se présentant comme le champion de la lutte contre le colonialisme occidental et le défenseur du panarabisme. «Il faut faire l'Union du Maghreb, déclarait-il encore dans Jeune Afrique en mai 2011. C'est tout à fait possible. Comment pourrais-je penser autrement alors que, même si je suis né en Algérie, même si j'ai été le chef de la rébellion algérienne, ma mère et mon père étaient tous deux marocains.» C'est pourtant dans les rangs de l'armée française qu'il avait commencé sa carrière. Il était né en 1916 dans une famille paysanne à Marnia, localité d'Oranie proche de la frontière marocaine. Lycéen à Tlemcen, l'une des cités prestigieuses de l'Islam, il conquit le grade de sergent des tirailleurs algériens pendant la campagne d'Italie, puis fut nommé adjudant des tabors marocains. Sa conduite au feu pendant la bataille de Monte Cassino en 1944 lui valut d'être décoré de la médaille militaire par le général de Gaulle en personne. Le massacre de Setif en 1945 sera déterminant dans son engagement pour l'indépendance de l'Algérie. Membre du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), lui-même issu du Parti populaire algérien (PPA), il fonde en Oranie l'Organisation spéciale (OS), bras armé du MTLD. Ce dernier a besoin d'argent. En 1950, Ben Bella attaque la poste d'Oran, se fait arrêter avec ses complices. Il se retrouvera à la prison de Blida, dont il s'évadera en 1952. Il expliquait il y a quelques mois que cette attaque était l'un des faits d'armes dont il était «le plus fier». L'argent volé servira à financer le groupe de militants chargé de préparer la lutte armée contre le colonisateur. Il part ensuite pour Le Caire - ce sera son premier exil -, d'où il entreprend la préparation d'une insurrection qui explosera le jour de la Toussaint 1954. Il ne connaîtra pas la rude vie des maquis. Chargé au Caire des relations extérieures du Front de libération nationale (FLN) algérien, il part en octobre 1956 pour le Maroc qui, de même que la Tunisie, apporte son appui aux insurgés. Renversé par Boumedienne C'est alors que les autorités françaises le rendront involontairement célèbre dans le monde entier. À son retour vers Le Caire, son avion - un appareil marocain - est détourné sur Alger par l'armée de l'air française. Le voici une nouvelle fois emprisonné, en France métropolitaine, avec ses compagnons de route, dirigeants éminents du FLN. La couverture médiatique de cette arrestation en fera le symbole de la lutte pour l'indépendance du peuple algérien. Les accords d'Evian (mars 1962), qui marquent la fin de la guerre d'Algérie, lui rendent du même coup la liberté. En juillet, l'Algérie étant devenue officiellement indépendante, Ben Bella y revient en triomphateur. Son passé et son emprisonnement ont fait de lui une figure mythique. Il signe un pacte avec «l'armée des frontières» de Boumedienne, dont il finira par devenir l'otage. Pendant trois ans, il applique une politique résolument marquée à gauche. Il multiplie les nationalisations, les créations de coopératives. Il dirige aussi la violente répression contre la révolte kabyle en 1963. Il déclenche en octobre 1963 la guerre des sables contre le Maroc avec le soutien de l'Egypte et de Cuba. Il tend la main aux Soviétiques et à la Chine communiste. Son credo est la défense du tiers-monde face aux puissances coloniales. Il veut devenir l'un des leaders de ce combat. Mais l'armée algérienne ne lui en laissera pas le temps. Il est renversé par un coup d'Etat militaire dirigé par Houari Boumedienne en 1965. Exilé en France Ahmed Ben Bella restera emprisonné pendant quatorze ans - on croira même, pendant un temps, qu'il a été discrètement «liquidé» par son successeur. Installé en France en 1981, il croit pouvoir jouer à nouveau un rôle politique. Il crée le Mouvement pour la démocratie en Algérie (MDA), s'allie un moment avec un autre exilé, le Kabyle Hocine Aït Ahmed, l'un des «chefs historiques» de la révolution algérienne. En septembre 1990, il retourne en Algérie. Le pays vient de vivre des élections locales qui ont montré le poids électoral du Front islamique du salut (FIS). Ahmed Ben Bella se déclare prêt à travailler avec le FIS alors que les élections législatives à venir semblent déjà quasi gagnées par les islamistes. Par ailleurs, Ahmed Ben Bella fera des déclarations tonitruantes sur l'Irak, affirmant que des dizaines de jeunes Algériens sont prêts à aller se battre aux côtés de l'armée de Saddam Hussein, pour défendre l'Irak contre l'agression occidentale. «Les Algériens iront combattre, car là-bas ce sont les intérêts de tous les Arabes qui sont menacés et nous assistons à la naissance d'une croisade, une autre croisade lancée contre les peuples arabes», déclarait-il dans Le Figaro le 29 septembre 1990. Mais le temps des enthousiasmes qui ont marqué les débuts de l'indépendance est bien révolu. L'armée décide d'interrompre le processus électoral. Ce sera le début des années noires pour le pays et d'un nouvel exil, cette fois en Suisse, pour le héros de l'indépendance. Il était rentré en Algérie depuis quelques années. Il avait assisté à la prise de fonctions de Bouteflika en 2009. Il confiait, toujours dans Jeune Afriquede juin dernier, au sujet du président actuel de l'Algéri: «Il y a des moins et des plus chez lui, pour l'instant, c'est le moins mauvais et je m'en contente», ajoutant: «L'Algérie, vous savez, ce n'est pas un pays facile». Mercredi soir, un deuil national de huit jours a été décrété en Algérie.