Les heurts qui ont récemment opposé musulmans et bouddhistes en Birmanie rappellent au monde qu'il existe une population musulmane persécutée dans ce pays, classée par l'ONU comme l'une des minorités les plus opprimées au monde. A l'origine de l'embrasement, fin mai 2012, une jeune birmane est violée et assassinée dans l'état de Rakhine (également appelé Etat Arakan) à l'Ouest du pays. Immédiatement, des photos de trois personnes désignées comme les suspects de ce crime circulent sur internet et les réseaux sociaux. Est mise en avant leur appartenance a une minorité musulmane vivant dans cet état : les Rohingyas. En réponse, le 3 juin, un groupe d'individus de confession bouddhiste attaque un bus transportant des musulmans et lynche à mort 10 des passagers. Depuis, le cycle de la violence ne semble plus s'arrêter, si bien que le dimanche 10 juin, le président Thein Sein a imposé un couvre feu et décrété l'état d'urgence dans la région, dépêchant l'armée sur place afin de restaurer le calme. Reporter Sans Frontières, dans son rapport remis le 27 juin à Aung San Suu Kyi, rappelle que les informations sur la situation sur place sont très limitées, du fait de la censure et de la désinformation opérées principalement par le gouvernement. Pour comprendre comment une telle flambée de violence, si intense et si rapide, a été possible il faut revenir sur la situation des Rohingyas en Birmanie. Les Rohingyas, une ethnie musulmane de 800 000 personnes, cohabite avec une majorité de bouddhistes dans l'état de Rakhine. Amnesty International rapporte que depuis 1978, cette ethnie fait l'objet de violations constantes de ses droits fondamentaux, d'entrave à la liberté de circulation, d'étudier, de se marier. Ils sont également victime d'une imposition arbitraire et de confiscations de leurs biens. En 1982, suite à l'amendement de la loi sur la nationalité, les musulmans se retrouvent déchus de la nationalité birmane et deviennent de fait apatrides. Il devient dès lors commun de les designer comme les « étrangers » ou les « bengalis » du fait de leur ressemblance physique avec ces derniers. Jusqu'à l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement civil en 2011, les militaires utilisaient régulièrement les Rohingyas dans des camps de travaux forcés, perpétraient des viols et des assassinats en toute impunité, créant à chaque occasion une nouvelle vague de réfugiés principalement vers le Bangladesh voisin, mais aussi vers la Malaisie, l'Indonésie et l'Arabie Saoudite. Suite aux violences de juin 2012, environ 500 Rohingyas tentant de fuir vers le Bangladesh voisin ont été refoulés à la frontière. Ironiquement, cet épisode a eu lieu au moment même de la journée mondiale des réfugiés, forçant ces derniers à retourner en Birmanie. Le Bangladesh ne souhaite pas accueillir de nouveaux réfugiés dans ses camps où s'entassent déjà quelques 29 000 réfugiés Rohingyas enregistrés et environ 400 000 réfugiés non déclarés. La situation des réfugiés non enregistrés, autrement dit vivant hors du camp de des Nations Unies et privés de statut juridique dans le pays d'accueil est alarmante. Entassés dans des bidonvilles, abandonnés autour des camps officiels, sans accès aux soins, à l'eau, à la nourriture, sans travail et souffrant de conditions sanitaires s'aggravant de jour en jour, les réfugiés vivent dans le dénuement le plus total. L'instinct de survie ne semble leur laisser d'autre choix que de se tourner vers des activités parfois illégales et dangereuses : travail non déclaré, vols, trafic de bois et prostitution. A cela s'ajoutent les violences qui seraient exercées par les autorités locales : intimidations, harcèlement, emprisonnement arbitraire afin d'inciter les réfugiés à retourner en Birmanie. Les espoirs de la communauté rohingya se tournent aujourd'hui vers Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix 1991, récompensée pour son action en faveur de la démocratie en Birmanie, une décoration reçue le 17 juin 2012, après plus de 15 ans passés en résidence surveillée. Cette dernière, également députée de la Ligue Nationale pour la démocratie, ne s'est jusqu'à aujourd'hui prononcé que timidement sur le sujet, appelant principalement à une clarification des lois sur la nationalité et leur mise en conformité avec les normes internationales. Sa marge de manœuvre semble limitée par le fait que ses soutiens politiques sont de confession bouddhiste et hostiles, comme une large part de la population, à la communauté rohingya. Dès lors, les perspectives de voir évoluer favorablement la situation des Rohingyas sont inexistantes et rien ne semble pouvoir arrêter le nettoyage ethnique des musulmans en Birmanie.