L'arroseur arrosé. L'émirat de Qatar (11 427 km2 dont le tiers est occupé par une base américaine et 1 500 000 d'habitant dont 90 % sont des immigrés corvéables à merci), fort de sa chaîne emblématique Al-Jazeera, qui lui coûte annuellement la bagatelle d'un milliards de dollars et qu'il instrumentalise pour déstabiliser les pays arabes et diffuser le message intégriste, est pris à son propre jeu. En voulant trop jouer dans la cour des grands (il reçoit le Groupe de contact sur la Libye qui étale au grand jour ses divisions), il vient d'être ciblé par sa propre jeunesse qui ne comprend pas comment un régime wahhabite, héréditaire, putschiste (l'actuel émir est arrivé au pouvoir en déposant son propre père, qu'il a assigné à la résidence forcée), se permet d'exporter vers les pays voisins la démocratie dont la population qatarie est privée. C'est le quotidien Le Monde du 12 avril 2011 qui l'écrit sans complaisance : « Sur Facebook, les hostilités ont déjà commencé, qui ont vu la création au cours du mois de février d'une page intitulée "Révolution de la liberté le 16 mars au Qatar". Rejointe en quelques jours par plus de 32 000 membres, celle-ci conspuait abondamment le régime "héréditaire, arriéré et sioniste" du cheikh Hamad Ben Khalifa, accusé de laisser "le peuple qatari sans droit politique ni syndical" et d'accaparer "la richesse du pays". Elle faisait la part belle à Al-Jazeera, accusée de dissimuler l'opposition qatarie et de minimiser les révoltes bahreïnie et iranienne. Piratée le 27 février, remplacée par une tribune de propagande en faveur de l'émir, la page s'est immédiatement recréée et poursuit son offensive. Elle a depuis fait des émules, et il existe à l'heure qu'il est une dizaine de sites du même acabit. Celui des "Jeunes Qataris pour le 16 mars, Révolution Epuration et Changement" articule des revendications limpides : départ de la plus grande base américaine du territoire national ; retour d'Al-Jazeera au peuple et non pas au régime ; éloignement définitif de la seconde épouse de l'émir des affaires de l'Etat ; arrêt des bonnes relations avec l'Iran et Israël. Guerre virtuelle Si les acteurs de cette guerre virtuelle restent difficilement identifiables, celle-ci témoigne cependant des enjeux qui se nouent aujourd'hui dans l'émirat autour d'une chaîne qui incarne pour beaucoup de nationaux l'ouverture contestée à Israël, la domination des Frères musulmans sur les wahhabites et la marginalisation professionnelle des Qataris. La question de la couverture par Al-Jazeera de l'actualité proche est susceptible de provoquer des tensions originales au sein de la famille régnante, où le ministre des Affaires étrangères, fervent défenseur de la normalisation avec l'Etat hébreu et initiateur d'un réchauffement diplomatique avec l'Arabie saoudite et la Syrie, est en inimitié avec la première dame, elle-même en proie aux critiques des conservateurs. Signe de la tension qui s'accumule entre les clans de la famille régnante et de leur propension à exploiter les revendications populaires, des éditorialistes de renom (Myriam Al-Saad et Mohammed Al-Kubaysi) protestent aujourd'hui haut et fort contre la censure dont ils s'estiment victimes dans certains quotidiens nationaux et contre le silence d'Al-Jazeera sur leurs malheurs. Si cette dernière devra sans doute inéluctablement faire la place aux Qataris, et à une couverture accrue de l'actualité locale, les Al-Thani n'ont pas tous intérêt aux mêmes critiques, et d'ici à ce que chacun des clans en présence trouve une influence égale sur la chaîne, le risque encouru est celui d'un coup d'Etat, dont le pays est coutumier (le dernier en date remonte à l'été 2009). »