Les anciens membres de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) sont les bénéficiaires majoritaires de la loi française du 23 février 2005 glorifiant les "bienfaits" du colonialisme français, a affirmé jeudi à Oran l'historien français Romain Bertrand. La loi en question bénéficie aux partisans de l'Algérie française, dont une grande majorité se compose d'anciens membres de l'OAS, a-t-il indiqué lors d'une conférence animée au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC). Sa communication, intitulée "La France et son passé colonial : loi, mémoire, histoire", a été principalement axée sur le processus de fabrication de cette loi qui, avant son abrogation partielle en 2006, avait été adoptée par l'Assemblée française puis entérinée par le Sénat dont un seul membre s'y était opposé. L'historien a rappelé dans ce cadre que si l'article 4 de cette loi faisant état du "rôle positif de la colonisation" a été abrogé en janvier 2006, en revanche l'article 13, lui, est toujours en vigueur, ouvrant droit à indemnisation aux partisans de l'Algérie française, dont les membres de l'OAS. M. Bertrand a fait savoir que ses investigations lui ont permis d'apprendre qu'environ 500 demandes d'indemnisation ont été déposées auprès des instances compétentes chargées de la mise en œuvre de l'article 13 de la loi du 23 février 2005. Il a également révélé qu'au terme du délai d'un an fixé pour le dépôt des demandes, 120 dossiers ont fait l'objet d'un accord de principe d'acceptation de traitement, déposés majoritairement par des anciens membres de l'OAS qui avaient fait l'objet d'une condamnation pour s'être opposés avec violence à l'indépendance algérienne. L'historien a rappelé que l'article 13 concerne précisément "les personnes de nationalité française ayant fait l'objet, pendant la période du 31 octobre 1954 au 3 juillet 1962, de condamnations ou de sanctions amnistiées, de mesures administratives d'expulsion, d'internement ou d'assignation à résidence, ayant de ce fait dû cesser leur activité professionnelle". La mise en place d'un tel dispositif qui permet aux anciens membres de l'OAS de faire valoir leurs droits à l'indemnisation s'apparente à une "réhabilitation de la mémoire des militants terroristes", a déploré M. Bertrand en insistant sur la gravité des exactions de cette organisation terroriste tant en Algérie qu'en France où "74 morts furent enregistrés suite à des attentats perpétrés en l'espace de 18 mois". Il a observé à cet égard que "l'adoption de la loi glorifiant le colonialisme, qui aurait été impensable trente ans auparavant" a été révélatrice, selon lui de "profonds changements politiques motivés plus par le marchandage électoral que par les organisations (anciens rapatriés) qui la réclamaient, sachant que celles-ci constituent des acteurs extrêmement minoritaires de la scène politique". "La demande d'indemnisation a vu sa nature de requête transformée en article de loi par un groupe de députés élus pour la première fois à l'Assemblée nationale française (en 2002) et qui avaient de ce fait, une faible expérience du débat parlementaire", a indiqué M. Bertrand en relevant que "l'âge moyen de ces députés ne dépassait pas 12 ans le jour de l'indépendance algérienne, le 5 juillet 1962". A l'occasion de sa conférence, l'historien n'a pas manqué de rendre hommage aux voix qui se sont élevées pour dénoncer la loi en question, même si leurs efforts, dit-il, ont abouti à l'abrogation d'un seul article (4) après avoir gagné l'adhésion de certains députés. Directeur de recherches à "Sciences Po", structure rattachée au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Paris, Romain Bertrand a écrit plusieurs ouvrages autour des dominations coloniales européennes, dont "Mémoires d'empire : la controverse autour du fait colonial", édité en 2006 et dans lequel il revient sur la loi du 23 février 2005.