La mémoire et l'écriture de l'histoire dans les rapports algéro-français ont fait l'objet samedi d'un colloque dans la capitale française, intitulé " France-Algérie : comprendre le passé pour mieux construire l'avenir", organisé à l'initiative et au siège du sénat. Cette rencontre qui prit fin dans la soirée, avait pour ambition surtout d'aborder de façon apaisée les épisodes de la colonisation et de la guerre d'Algérie pour se tourner vers l'avenir et le renforcement souhaitable des relations algéro-françaises dans un esprit de réconciliation et de coopération. Intervenant dans cet esprit, le président du groupe d'amitié France-Algérie du sénat français Claude Domeizel a estimé que Cinquante ans après l'indépendance algérienne, " le temps est venu de regarder l'histoire en face et de tenter de réconcilier les mémoires". Il a souligné aussi que "certains ont craint que la commémoration du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie puisse être l'occasion de ranimer une polémique inutile", ajoutant, " je ne l'ai pas cru un instant ". "Une chose est sure, le groupe d'amitié France Algérie du sénat, ne pouvait pas rester inactif en de telles circonstances. Et le fait que vous soyez venus si nombreux assister à cette journée du colloque, prouve la puissance de ce lien indéfinissable et pourtant si palpable qui existe entre l'Algérie et la France", a-t-il poursuivi. Il a ajouté également que ce colloque qui suscite la réflexion, est aussi l'occasion de rappeler que "rien ne pouvait justifier le traitement que la France coloniale a réservé à ceux que nous appelions à l'époque +les indigènes+ ou +les musulmans+". "Dès lors que l'immense majorité de la population était reléguée dans un statut politique, économique, social et culturel inférieur, interdite d'accéderà la pleine citoyenneté, la France était en contradiction avec ses idéaux républicains", a-t-il dit. Pour le président du groupe d'amitié France ûAlgérie du sénat, " tant que l'immense majorité de la population était de jure et de facto exclue de la vie politique citoyenne nationale, alors l'idée d'une nation algérienne ne pouvait qu'exploser parmi la population dite musulmane". II a saisi l'occasion du colloque pour adresser un message au président de la République française François Hollande, consistant à lui dire qu' "il est dans mon rôle du président du groupe d'amitié France Algérie de dire combien, il est important d'être clair au sujet de l'Algérie, car beaucoup de nos compatriotes attendent des mots d'apaisement et de réconciliation". "Nos amis algériens aussi, attendent un message de la France. Pas une repentance, pas une contrition, simplement une reconnaissance des erreurs que nous avons pu commettre", a-t-il poursuivi. "Cinquante ans se sont écoulés depuis l'indépendance de l'Algérie. Il n'est nul besoin d'attendre un geste symétrique des autorités algériennes pour que la France choisisse d'assumer aujourd'hui ses responsabilités", a estimé Claude Domeizel. "C'est important d'entendre la voix de la France dire les choses telles qu'elles sont parce que les conséquences en seront considérables sur le plan national et international", a-t-il dit, faisant par de son " espérance en faveur d'un partenariat rénové, bâti sur des bases sereines et purgé d'un passé mortifère". Lui emboitant le pas , Denis Bauchart, diplomate, ancien président de l'IMA, a jugé que le temps est venu de surmonter "les rancoeurs du passé", ajoutant que "notre objectif est de surmonter le mur de la méfiance, et les arrières pensées, essayer de tirer les leçons du passé pour être dans le présent et préparer l'avenir". Il a dans ce contexte cité plusieurs domaines où la coopération entre la France et l'Algérie "pourrait être prospère". Il a ainsi jugé indispensable que du coté français, on essaye d'ouvrir plus aux jeunes et particulièrement aux étudiants, la politique des visas. Il a également évoqué la situation préoccupante au Sahel où les deux pays pourraient trouver des coopérations conjointes, et estimé par ailleurs que le domaine de l'énergie et en matière de protection des investissements étrangers, la France et l'Algérie " pourraient fructueusement coopérer ". De même que sur le plan culturel et éducatif, où il serait intéressant, selon lui, de tenter d'instituer une sorte d'Erasmus français qui permettrait à des étudiants français de passer une année en Algérie et réciproquement du coté algérien, tout comme il a suggéré l'élaboration d'un manuel d'histoire commune entre les deux pays. Pour Jean-Pierre Chevènement, sénateur, président de l'association France-Algérie, "Il faut regarder sans complaisance l'histoire coloniale de la France en Algérie, car elle a été un phénomène de dépossession". "La France, a-t-il dit, a même voulu faire quelque chose en Algérie qu'elle ne voulait faire nulle part ailleurs. Elle a voulu s'étendre, assimiler et nier l'identité profonde du peuple algérien. Et ça c'est une forme de colonialisme que nous n'avons développé ni au Maroc ni en Tunisie. C'était un colonialisme tout à fait particulier qui était négateur de l'identité du peuple algérien". Sur la question de la mémoire, l'historien Gilles Manceron a pour sa part relevé que pour réconcilier les mémoires, "il faut faire appel à la notion d'histoire car, a-t-il dit, " ce n'est pas de manière directe que des mémoires peuvent se réconcilier, si on ne fait pas un travail historique". "Il faut une médiation de l'histoire car c'est par elle qu'on arrivera à diffuser des connaissances et à contrebalancer les mémoires construites y compris la mémoire diffuse et les discours construits par de groupes politiques". Il a ainsi estimé que l'Etat français doit faire "des gestes forts de reconnaissance de ce que la colonisation était en contradiction avec les principes même des droits de l'homme , des droits des peuples à l'indépendance et les principes qui étaient par ailleurs proclamés et reconnus dans l'espace européen mais qui étaient implicitement niés dans l'espace colonial". Du point de vue de l'historien, la réconciliation des mémoires passe aussi par la multiplication des échanges avec les historiens algériens. "Ces échanges existent mais il faut que les Etats qui, sans construire d'histoire officielle, car ce n'est ni au parlement, ni à l'exécutif de faire l'histoire, aident à encourage des échanges entre historiens des deux pays et d'autres pays également" a souligné l'historien. Bariza Khiari, vice-présidente du sénat a admis que la France vient de sortir d'une "séquence politique difficile" et qu'aujourd'hui, une nouvelle équipe " qui n'est pas dans le même état d'esprit, est en place ". "Nous pouvons considérer que s'agissant de l'Algérie, le Maghreb et avec l'Islam, nous rentrons dans une séquence où la primauté de la citoyenneté l'emportera sur l'identité" a-t-elle dit. "Les relations franco-algériennes sont des relations difficiles. Elles peuvent même être exemplaires et on peut construire une relation exemplaire à partir de la difficulté que nous avons vécue pendant cinquante ans. Et ceci peut servir d'exemplarité pour les relations avec le monde arabe", a-t-elle conclu.