Des amis du sociologue algérien Abdelmalek Sayad (1933-1998), fondateur de la question de l'émigration-immigration, ont été assassinés par l'OAS, a affirmé le chercheur français Claude Seibel dans une conférence animée jeudi à Oran. M. Seibel figure parmi les anciens collègues du penseur algérien Sayad dans le cadre des enquêtes sociologiques conduites avec Pierre Bourdieu (1930-2002) dans les quatre années ayant précédé l'indépendance de l'Algérie. "C'est le basculement de l'année 1962 qui a scellé l'amitié indéfectible Sayad-Bourdieu. Des amis de Sayad ont été assassinés par l'OAS, l'obligeant à se cacher et c'est épuisé qu'il est recueilli par Bourdieu en août 1962, d'abord au centre de sociologie européenne à Paris, puis quelques jours plus tard dans sa famille", a confié M. Seibel. Ce rapprochement, a-t-il ajouté, a ouvert la voie à une longue phase de travaux en collaboration et de rédaction d'ouvrages scientifiques qui récapitulent toutes les observations conduites en Algérie, dont celles sur les camps de regroupement avec "Le déracinement". L'enquête sur les centres de regroupement (créés par les forces coloniales pour interner des milliers de civils algériens après des déplacements massifs de la population rurale) fut un sujet "très sensible", a souligné le conférencier, en rappelant que les travaux sociologiques et ethnographiques furent menés par Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad. "Malgré les précautions prises par les auteurs pour objectiver le plus possible leurs conclusions, celles-ci étaient évidemment accablantes du point de vue des commanditaires", a-t-il révélé, faisant encore savoir que les auteurs "ne purent rendre public leur enquête que deux ans plus tard dans une publication sous le titre +Le déracinement+". L'enquête sur les centres de regroupement engagée par Sayad et Bourdieu fut menée dans un climat marqué par "l'hostilité des autorités coloniales et des militaires présents dans ces zones", a également relaté M. Seibel qui a rappelé, dans sa conférence, que "c'est à la faculté d'Alger, en février 1958, que Sayad rencontra pour la première fois Bourdieu qui dira plus tard avoir choisi d'y enseigner par amour pour l'Algérie". L'œuvre de Sayad, qui est conservée dans la médiathèque inaugurée à son nom en mars 2009 à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI, France), comporte des milliers de documents, photos et enregistrements sonores contenus dans 420 boîtes d'archives. Ce fonds documentaire avait été répertorié à l'initiative de l'Association de prévention du site de la Villette (ASPV, France) sous la direction du formateur Yves Jammet, également présent à la conférence donnée par M. Seibel. M. Jammet a annoncé, dans ce cadre, que l'œuvre de Sayad sera au centre d'une Journée d'échanges entre chercheurs algériens et français le 16 novembre prochain à Paris, sous le thème générique "Pour ouvrir un débat citoyen sur l'immigration : médiations sociales et culturelles autour d'Abdelmalek Sayad". La conférence, animée par M. Seibel, constitue la 8ème rencontre autour de l'œuvre de Abdelmalek Sayad depuis le lancement de ce cycle thématique en février 2010 à Oran, à l'initiative du Centre national algérien de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) et de l'Institut français d'Oran. Pour mieux valoriser l'œuvre de Sayad et la mettre à la disposition des universitaires algériens, le CRASC a déjà procédé à la transcription en langue nationale de plusieurs ouvrages du penseur. Des étudiants issus des différentes écoles doctorales algériennes d'anthropologie bénéficient également d'ateliers dédiés aux analyses conceptuelles des textes de Sayad, a indiqué la directrice du CRASC, Mme Nouria Benghabrit Remaoun, annonçant à ce titre la prochaine soutenance d'une première thèse de doctorat autour de l'œuvre de Sayad. Né en Algérie, Abdelmalek Sayad est le troisième et unique garçon d'une famille de cinq enfants. Il fait ses études primaires dans son village natal, en Kabylie, puis poursuit sa scolarité au lycée de Béjaia avant d'entreprendre une formation d'instituteur à l'Ecole normale de Bouzaréah (Alger). Il est ensuite nommé instituteur dans une école à la Casbah. Il poursuit ses études à l'université d'Alger où il fait la rencontre de Pierre Bourdieu. En France, il exerça d'abord en tant qu'enseignant vacataire au Centre de sociologie européenne de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). En 1977, il intégra le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) où il sera nommé directeur de recherches en sociologie. Il décède le 13 mars 1998.