En cette journée mémorable du 17 octobre 1961, s'écrivait, en plein cœur de Paris, une des pages les plus sanglantes de la répression coloniale menée contre un peuple déterminé à lutter pour recouvrer sa souveraineté. Cinquante-deux ans sont passées depuis le massacre perpétré ce jour-là contre des milliers d'Algériens, hommes, femmes et enfants, sortis manifester pacifiquement pour protester contre le couvre-feu discriminatoire qui leur a été imposé et répondre à l'appel à la mobilisation de la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN) suite à plusieurs cas de violence policière et de tueries contre la communauté algérienne. Plus tard dans la soirée, les rues de Paris étaient jonchées de corps d'Algériens dont un grand nombre fut jeté dans les eaux froides de la Seine. Les consignes impitoyables ordonnées par le préfet de police Maurice Papon, qui lui-même appliquait les instructions dictées en hauts lieux, pour réprimer dans le sang cette manifestation pacifique, furent exécutées avec zèle. Difficile à ce jour d'établir le bilan macabre de cette répression d'Etat d'une extrême gravité perpétrée par quelque 7 000 policiers chauffés à blanc et déployés en cette nuit glaciale et pluvieuse contre une marche pacifique organisée pour appuyer la revendication d'indépendance d'un peuple en proie à une guerre sanglante. Les historiens et la Fédération de France du FLN évoquent plusieurs centaines de morts et de disparus. Plus de onze mille Algériens sont arrêtés, détenus, dans des conditions atroces durant plusieurs jours. Des autobus de la RATP ont même été réquisitionnés pour les déporter dans des stades, ou les enfermer dans des commissariats pour être sauvagement torturés, souvent à mort. Les survivants au massacre ont été expulsés massivement vers l'Algérie. Pour de nombreux historiens, les massacres du 17 octobre 1961 marquent l'apogée d'une répression meurtrière déjà renforcée depuis le mois de septembre de la même année. En effet, dès ce mois-ci déjà, les harkis, ces supplétifs de l'armée française s'installaient au bidonville "La Folie" de Nanterre pour pratiquer des méthodes éprouvées de quadrillages, de terreur et de torture. Les contrôles policiers, que les Algériens subissaient déjà, les insultes, les brimades, les rétentions de plusieurs jours se multipliaient. On constatait alors que les décès d'Algériens, dont on retrouvait les cadavres sur la voie publique, augmentaient chaque jour. Dévoiler la grande visibilité d'une communauté portée par le désespoir Lorsqu'à plus de cinquante ans de distance, on évoque cette manifestation, on ne fait que dévoiler la grande visibilité d'une communauté sortie ce jour-là portée par un immense désespoir imposé par les injustices coloniales mais aussi par un immense espoir de se faire entendre et se faire reconnaître dans sa pleine dignité d'êtres humains. Aujourd'hui, la communauté internationale sait ce qui fut fait de cette dignité sous les ordres de Papon, exécuteur de consignes dictées par les plus hautes autorités d'un Etat colonial répressif. Largement dissimulés par le mensonge de l'Etat et recouverts par l'indifférence dominante, les massacres perpétrés cette nuit là, sont restés pendant plusieurs décennies délibérément occultés. Une amnésie officielle s'est alors installée. Pendant longtemps aussi, la France refusait de reconnaître officiellement ce crime pour diverses raisons, mais aussi, parce que les responsables ont continué durant longtemps à occuper d'importantes fonctions dans l'Etat français. Maurice Papon, Préfet de police en 1961, a été ministre jusqu'en 1981 et Roger Frey, ministre de l'Intérieur en 1961, a présidé le Conseil constitutionnel jusqu'en 1983. Il a fallu le développement de recherches de la part d'historiens, de chercheurs, la publication de livres, un mouvement inlassable de la société civile pour que, peu à peu, la vérité se fraye un chemin. Le procès intenté en 1999 par Maurice Papon contre l'historien et écrivain Jean-Luc Einaudi qui, à travers ses enquêtes et recherches a dressé un panorama étourdissant de la répression anti-algérienne, a été un moment crucial qui a permis que ce massacre soit reconnu pour la première fois. Depuis, un mouvement de reconnaissance a pris forme de la part de nombreuses municipalités. A commencer par Paris. Une plaque commémorative au pont Saint-Michel Le 17 octobre 2001, Bertrand Delanoë, maire de Paris, a fait un geste fort en inaugurant une plaque commémorative au pont Saint-Michel, où furent jetés les corps de centaines d'Algériens et où est écrit "à la mémoire de nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961". Le 17 octobre 2011, le candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande déposait une gerbe de fleurs au pont de Clichy, d'où des Algériens furent également jetés à la Seine, affirmant que "trop longtemps cet événement a été occulté des récits historiques" et ajoutant qu' "il est important de rappeler ces faits". Un an plus tard, le 17 octobre 2012, c'est un communiqué de l'Elysée tant attendu depuis des décennies des deux côtés de la Méditerranée qui exprime la reconnaissance officielle de ces faits tragiques. Dans ce communiqué, brisant le silence de l'Etat français, le président François Hollande déclarait alors que 1⁄2 le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression". "La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes", a-t-il ajouté. Toutes les associations qui se sont mobilisées depuis des décennies pour réclamer une telle reconnaissance ont salué cette déclaration assimilée à une "victoire importante" dans leur combat pour la vérité sur cet épisode parisien sanglant. Pour elles, elle marque la fin du déni et des mensonges officiels qui ont longtemps cherché à dissimuler ce crime d'Etat, même s'ils estiment que cette déclaration ne couvre pas tous les crimes coloniaux commis en Algérie. Pour nombre d'observateurs cependant, au-delà du geste politique, cette déclaration devrait être le signal de la poursuite du travail des historiens pour que soient établies les circonstances de ce drame, ce qui implique un plus large accès à toutes les archives qui s'y rapportent et qui doivent être apportées à la connaissance du public longtemps mis à l'écart de la vérité.