A l'approche du mois de Ramadhan, les ménagères consacrent une petite part de leur budget familial au renouvellement de la vaisselle de table. Le souci du respect de la tradition est cependant de plus en plus freiné, par l'obligation d'établir une hiérarchie dans le chapitre des dépenses familiales. A la veille du mois de ramadhan, les grands marchés de l'agglomération algéroise connaissent un regain d'affluence. A Meissonnier, Dubaï, El Harrach, ou Badjarrah, les ménagères s'empressent à faire leurs emplettes pour accueillir comme il se doit le mois sacré. Ahmed, gérant d'une grande boutique de vaisselle au quartier commercial de Dubaï, sis à Bab-Ezzouar, à la périphérie Est d'Alger, confirme que le rituel du renouvellement de la vaisselle est scrupuleusement respecté. "Le mois de Chaabane est la période où l'on réalise notre meilleur chiffre d'affaires. Les mères de famille affluent pour changer leur vaisselle et accueillir le mois sacré avec une table bien garnie", constate-t-il avec plaisir. Sur les étals des boutiques, une large variété de produits est proposée: services de table, bols à " chorba ", coupes pour salade de fruits, marmite en terre cuite, plats à gratins... Les articles proposés à la vente sont en général importés. Pour l'origine des produits, la Chine, la France et la Turquie sont cités comme étant les principaux pays fournisseurs. Des montants moyens allant de 1000 à 10.000 DA Concernant le niveau des budgets consacrés à ce type de dépense, les réponses des vendeurs évoquent des montants moyens allant de 1000 à 10.000 DA. "Ce sont surtout les classes moyennes qui constituent le gros de notre clientèle. Les plus aisés acquièrent des services de table, les autres se contentent de bols à chorba, ou d'une série de ramequins", relève Abdellah, diplômé en sciences financières, reconverti dans le commerce de la vaisselle au marché de Badjarrah. Il confirme sans hésitation que le mois de Chaabane est le mois des affaires juteuses pour le marché de la vaisselle. Mais il met un bémol à cette affirmation en relevant que " pour cette année les ménagères ont nettement révisé à la baisse le budget dédié au renouvellement de la vaisselle. Pour lui, "l'explication a un nom : elle s'appelle AADL". "Beaucoup de ménages ont désormais en perspective l'acquisition d'un logement, en conséquence, ils ont tendance à rationaliser leurs dépenses", explique-t-il ajoutant que " l'achat de vaisselle est dès lors une dépense superflue par rapport à l'acquisition d'un logement". Poursuivant son analyse, il admet que le niveau de vie des algériens a notablement progressé ces dernières années, mais nuance-t-il "les foyers doivent désormais faire face "à plus de dépenses courantes avec les frais d'entretien du véhicule, les téléphones portables et autres gadgets informatiques". L'AADL freine la frénésie dépensière des ménagères Accompagnée de son jeune enfant, Fatma croisée dans une grande boutique d'articles ménagers à El Harrach confirme qu'elle est une accroc de la belle vaisselle, mais elle nuance tout de suite son propos pour déclarer que cette année "elle ne fera pas de folie". "Notre dossier de logement a été retenu à l'AADL, alors pour cette année, je ne pourrai pas dépenser plus de 1000 DA. Je me contenterai de renouveler les bols à chorba pour marquer la venue du mois sacré", confie-t-elle. A ces facteurs, "il faut aussi adjoindre la proximité des vacances estivales et la perspective de la rentrée scolaire" ajoute-t-elle. Ce sont là autant d'arguments qui incitent les ménagères à arbitrer leurs dépenses familiales et freiner leur envie d'exhiber la plus belle vaisselle de table, en ce mois sacré du ramadhan. Changer de vaisselle à l'orée du mois sacré n'est cependant pas une obligation. "L'achat d'une vaisselle neuve est un fait de société relativement récent assure Aicha une septuagénaire rencontrée à l'entrée d'un magasin d'articles ménagers à la rue Ferhat Boussaâd (ex Meissonnier) à Alger centre. "J'ai souvenir dans ma jeunesse qu'à la Casbah, à la veille du ramadhan, on s'affairait surtout à faire le grand ménage. On faisait reluire tous les cuivres de la maison, et on blanchissait les murs de nos maisons à la chaux. C'était l'époque coloniale, la majorité de la population musulmane était de condition très modeste et les gens avaient des besoins de subsistance plus impérieux que le renouvellement de la vaisselle", évoque-t-elle avec une pointe d'amertume. La vieille dame reconnaît qu'aujourd'hui "les choses ont bien changé, le niveau de vie de la population algérienne a connu une indéniable amélioration", admet-elle. S'invitant dans la conversation, Amina, femme au foyer, souligne que le renouvellement de la vaisselle est aussi une dépense démonstrative révélatrice d'une aisance sociale. "Le mois de ramadhan est une période où l'on reçoit beaucoup d'invités à la maison, exhiber une vaisselle de grande marque sur sa table est aussi une façon de marquer son rang social", soutient-elle. La belle vaisselle sur une table, poursuit-elle, c'est la même sensation que de rouler en 4x4 sur une autoroute. C'est aussi une façon de montrer sa différence par rapport aux autres.