La grande bataille de Souk Ahras, dont le 57ème anniversaire sera commémoré dimanche prochain, est, sans conteste, un des moments les plus cruciaux de la glorieuse Révolution, estiment des historiens. Cette bataille d'une semaine débuta à Oued Chouk le 26 avril 1958 pour s'étendre jusqu'à Ouilene, non loin de Souk Ahras, puis vers les hauteurs de Hammam N'bails, dans la wilaya voisine de Guelma. Pas moins de 639 martyrs combattant dans les rangs de l'Armée de libération nationale (ALN) tombèrent au champ d'honneur durant cet âpre engagement qui a aussi fait 300 morts et plus de 700 blessés parmi les troupes de l'armée coloniale française. Selon des sources historiques, le site de la bataille, accidenté et très difficile d'accès, avait rendu difficiles les déplacements des combattants de l'ALN, ce qui contraignit le commandement du 4ème bataillon de l'ALN basé près de Sakiet Sidi Youcef (Tunisie) à franchir la ligne électrifiée Morice, près de Dehaoura (Guelma), pour expédier des armes en direction de la wilaya II historique. C'est la découverte par les forces d'occupation, le 26 avril 1958, de cette tentative d'approvisionnement des maquis en armes et en munitions qui déclencha la grande bataille de Souk Ahras. "Les combats furent tellement féroces que les affrontements finirent par des engagements au corps à corps", se souvient le président de l'association des rescapés de cette bataille, le moudjahid Hamana Boulaâras qui affirme aussi que la première "étincelle" eut pour théâtre le site montagneux d'Oued Chouk, dans la région de Zaârouria, lorsque des troupes du 4ème bataillon de l'ALN ont tenté de forcer la ligne électrifiée Morice à partir d'Ain Mazer près de Sakiet Sidi Youcef. Selon M. Boualaâras, les instructions du commandement étaient fermes et claires : "il fallait éviter tout accrochage avec l'ennemi pour ne pas mettre en péril la vie des moudjahidine et réduire la quantité d'armes et de munitions transportées". C'est sur le mont Boussalah que les premiers accrochages se produisirent entre l'armée d'occupation et l'une des trois katibas qui réussit à couvrir le passage de la caravane d'armes escortée par le reste des troupes de l'ALN, raconte M. Boulaâras. Les générations montantes doivent savoir Les générations montantes "doivent savoir qu'elles ont un passé glorieux dont elles peuvent légitimement s'enorgueillir", souligne Djamel Ouarti, professeur d'histoire à l'université de Souk Ahras. Ce fut, soutient-il, "l'une des plus grandes batailles de la guerre de libération nationale, comparable à certaines grandes batailles de la seconde guerre mondiale". L'armée françaises y avait engagé ses unités d'élite les plus aguerries, dont les 9ème et 14ème régiments de parachutistes, les 8ème et 28ème régiments d'artillerie et les 26ème, 151ème et 152ème régiments d'infanterie mécanique dont la plupart des soldats et des officiers avaient pris part à la seconde guerre mondiale et à la guerre d'Indochine. En face, se sont dressées, ajoute M. Ouarti, les unités de l'ALN composées du 4ème bataillon commandé par Mohamed-Lakhdar Sirine et ses adjoints Ahmed Draia et Youcef Latreche, ainsi que plusieurs katibas chargées de transporter des armes vers les maquis de Taher (Jilel), de Mila et de Skikda. Il rappelle aussi que La Dépêche de Constantine (quotidien colonial remplacé à l'indépendance par An-Nasr, ndlr) avait évoqué, au 1er jour de la bataille, l'ALN qui "tente de franchir la ligne Morice, conduisant à des actions des forces françaises pour intercepter les combattants arabes et leur armement". Deux jours après, le même journal change de ton et parle désormais de "franchissement réussi des rebelles" et "d'affrontements féroces près de Souk Ahras". Les français aussi se souviennent et témoignent Si le souvenir de cette grande bataille est toujours vivace dans la mémoire collective des habitants de la région de Souk Ahras et des moudjahidine de la base de l'Est, il a aussi marqué les esprits dans les rangs de l'armée française. Cette dernière, en opération dans la région, n'a pas compris ce qui lui arrivait, comme en témoigneront, plus tard, le sergent Lasne et le lieutenant Saboureau, commandés alors par le capitaine Serge Beaumont, officier parachutiste français, qui tombera avec 32 de ses hommes. "Que s'est-il passé ? Nous sommes tombés en plein dispositif ennemi. Très supérieurs en nombre, très bien équipés et armés, les +fellaghas+ dissimulés dans les arbousiers ont usé d'un stratagème. Notre habitude de l'emporter sur l'adversaire est telle que lorsque, à quelques mètres, les +rebelles+ se découvrent, vision impressionnante de casquettes kaki, et feignent de se rendre les bras levés, nos parachutistes cessent de tirer et se lèvent pour les capturer. A ce moment-là, un coup de sifflet strident déclenche avec une violence extrême des tirs à la cadence très rapide de mitrailleuse MG 42 (excellente arme allemande qui équipe fréquemment l'ALN, ndlr) qui déciment les nôtres". Si la grande bataille de Souk Ahras ne décida pas du sort de la Révolution, elle prouva à la France coloniale, mais aussi au monde entier, que l'armée française n'avait pas affaire à des groupes de "rebelles" mais à une armée de libération née d'un peuple opprimé plus que jamais déterminé à vivre libre.